IMMIGRATION : balayer les mensonges et les manipulations !

Publié le par FSC

IMMIGRATION : l'extrême droite en a fait son fond de commerce dans la plus pure tradition du bouc émissaire dans la crise vécue et subie par le peuple et les couches populaires.

Parallèlement, en gros, du côté de l'oligarchie gouvernementale, de la gauche bien pensante et du gauchisme libertaire en tout cas au plan déclaratif et idéologique ce qui est mis en avant c'est en quelque sorte le droit de circulation sans aucune espèce de restriction, la promotion d'un monde sans frontières, pendant de la mondialisation économique.

Récemment le débat a été relancé par l'initiative de la dirigeante de la gauche allemande Die Linke, Sahra Wagenknecht fondant un mouvement qui se fixe pour objectif concernant la question, à la fois le respect du droit d'asile ET  un contrôle des mouvements migratoires.

Aussitôt les médias dominants (par exemple ce dimanche encore sur la 5 dans l'émission "C Politique  la position de " Sahra Wagenknecht" est carrément qualifiée d'anti-immigrante rejoignant en quelque sorte le positionnement raciste de l"AfD en Allemagne ou du FN en France.

Alors pourquoi ce travestissement et ces mensonges(Voir ci-après les déclarations de Sahra Wagenknecht elle-même) ?

Pour bien saisir l'enjeu à la fois sur le long terme et dans l'immédiat (le rôle que l'oligarchie entend faire jouer à la question migratoire dans la fuite vers une intégration fédérale européenne notamment au cours des prochaines élections en 2019) il faut avoir en tête ce qui distingue radicalement une analyse de classe de la question, des analyses dominantes qui précisément évacuent le point de vue de classe. Voir à ce propos également ci-après le texte de Gilles Questiaux du site Réveil Communiste.

Dès le départ cette analyse de classe distingue la question humanitaire (l'impératif du secours à des êtres humains dans la détresse et en danger) du positionnement politique sur les migrations dans le cadre du système capitaliste.

Les grands traits de cette analyse de classe anti-capitaliste et anti-impérialiste étant les suivants :

  • au plan économico-social la libre circulation sans contrôle des populations est prioritairement promue, favorisée, valorisée par les forces patronales en manque de main d'oeuvre (c'est le cas du patronat allemand) jouant sur la mise en concurrence des travailleurs et abondant l'armée de réserve du capital afin de peser à la baisse sur les salaires et de manière plus générale sur les droits sociaux.

 

  • dans les rapports Nord-Sud l'exil des cerveaux est une aggravation du sous-développement, situation illustrée notablement par la démarche des entreprises allemandes qui vont dans les camps des migrants trier les qualifications.

 

  • Au plan politique cette situation est exploitée pour diviser les travailleurs, procéder à des catégorisations ethnico-religieuses qui visent à masquer les contradictions de classe et qui mettent à l'abri l'oligarchie d'une contestation de leur système de domination.

 

  • L'approche purement compassionnelle, morale masquant par ailleurs la responsabilité des puissances occidentales par leur exploitation économique du Sud et leur responsabilité dans les interventions guerrières dans la production d'un chaos dans de vastes régions du monde qui aggravent considérablement les déplacements de population (Irak, Lybie, Syrie, Amérique latine ...).

D'où les contre-propositions :

  • la mise en avant de la nécessité des luttes syndicales pour l'égalité des salaires pour TOUS (immigrés, sans papiers, femmes ...) et contre toutes les dispositions institutionnelles, européennes de mise en concurrence comme le statut des travailleurs détachés, les politiques des multinationales jouant sur la disparité des situations fiscales, des législations du travail et qui constituent l'écosystème juridique organisant cette mise en concurrence.

 

  • La lutte pour la paix et le désarmement étroitement associée à l'organisation de la solidarité entre les peuples sur la base du respect de leur indépendance, du respect des lois internationales, de la charte de l'ONU et de la dénonciation des entreprises impérialistes d'ingérence permanente, d'interventions guerrières sous le masque mensonger des droits de l'homme et qui débouchent sur l'instabilité chaotique de régions entières de la planète.

 

  •  le déploiement d'une contre-offensive idéologique mettant à nu l'instrumentalisation de la question de l'immigration à la fois par l'extrême droite ET de manière symétrique par l'oligarchie pro-européenne mettant en scène sa fausse opposition au racisme de la-dite extrême droite qu'elle soutient directement comme c'est le cas du pouvoir ukrainien largement dominé par d'authentiques nazis.

Revenons à nos enjeux immédiats :

Pour s'en tenir à la France, pour Macron et les partisans du fédéralisme européen il s’agit sur le plan idéologique d’installer le clivage « progressistes » dans lesquels il se rangent partisans de l’ouverture au monde, à l’Europe, au libre échange … ET « nationalistes » partisans de la souveraineté, du protectionnisme dans lesquels ils entendent ranger indistinctement et l’extrême droite et les mouvements se réclamant de la gauche disons sur des bases de classe, de défense des intérêts des couches populaires et de la souveraineté populaire et nationale.

Ce faisant leur propagande visant de fait à rabattre les mécontents des politiques d’austérité et de destruction des conquis sur le vote d’extrême droite désigné comme le plus conséquent et le plus installé. Afin dans la droite ligne de l’instrumentalisation récurrente du rejet de l’extrême droite dans de larges couches de rassembler ces couches et forces politiques dans le projet fédéraliste européen.

De ce point de vue, valoriser l'extrême-droite, la renforcer, la désigner comme l'alternative naturelle et incontournable est totalement compatible avec sa dénonciation à des fins d'utilisation comme repoussoir rassembleur!

Alors effectivement, ce qui se passe en Allemagne paraît donc important et pourrait servir de base à une contre-offensive politique et idéologique à la fois contre l’oligarchie européiste mais aussi contre l’emprise de l’extrême droite sur des couches populaires trompées par son discours articulé sur l’usage du bouc émissaire et qu’il s’agit de regagner sur une base de classe anti-capitaliste.

D'où effectivement la nécessité pour l'oligarchie et ses chiens de garde de caricaturer/distordre le contenu réel de ce positionnement.

Alors ne nous laissons pas intimider par cette offensive et renouons sans timidité avec une analyse et des initiatives qui permettent de rassembler les travailleurs et le peuple contre l'oligarchie, ses intérêts et ses manœuvres de division en même temps que contre le leurre fasciste !

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*position qui n'est pas sans contradiction dans la réalité où par exemple un Macron qui fait la leçon au gouvernement italien ou hongrois, dans le même temps par exemple refoule manu-militari les migrants à la frontière italienne et poursuit judiciairement ceux qui apportent une aide humanitaire à des migrants en danger.

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LES REMARQUES de Danielle BLEITRACH sur son site Histoire et Société parties de la réflexion initiale ci-dessus :

1) je suis tout à fait consciente de la manière dont les propos réels de Sahra Wagenknechte sont tronqués et pourquoi ils le sont. Effectivement il y a un enjeu pour ces européennes, comment les Macron et Merkel qui mènent en fait une politique xénophobe (Merkel a même comme ministre de l’intérieur un soutien officiel des mouvements d’extrême-droite) feignent d’être les opposants à la montée des populistes d’extrême-droite alors qu’ils sont complices dans l’exploitation favorisée partout par le drame que l’on organise autour de l’accueil de ces derniers.


2) c’est pourquoi la seule réponse possible me parait être dans l’exigence de salaires égaux qui dégouteraient le patronat d’un tel emploi.


3)Je ne confond pas avec l’extrême droite, l’argumentation de Sahra wagenknechte sur le fait que l’immigration en particulier celle des cerveaux est une aggravation du sous développement; C’est parfaitement exact et j’ai souvent entendu entendu chez Fidel Castro dénoncer cette forme d’impérialisme,  cette opinion  est largement partagée par les populations du Tiers monde. Et je sais qu’il existe des entreprises allemandes en particulier qui vont dans les camps des migrants trier les qualifications. Nous ne devons pas l’abandonner, pas plus que nous ne devons cesser de nous élever contre les guerres que nos propres gouvernements développent et qui génèrent des flux de migrants.


4) Mais car il y a un mais, je ne suis pas die linke, pas plus que Corbyns et encore moins Bernie sanders, je suis communiste (marxiste je l’espère) et je sais que quand partout les migrants subissent ce qu’ils subissent, il est des priorités et si je veux bien que le débat ait lieu, je n’adhérerais certainement pas à un regroupement dont la seule caractéritique serait cette question de l’immigration sous l’angle auquel il est abordé. Etre communiste ce n’est pas seulement dénoncer les conditions de la mondialisation capitaliste, la mise en concurrence des travailleurs et la mise en coupe réglée des souveraineté nationales, c’est adopter une perspective qui ne donne en rien caution aux conditions actuelles de l’exploitation et aux leurres d’extrême-droite.
Donc je ne suis pas le moins du monde tentée par une contre-offensive idéologique de ce type et elle me parait plus concerner la France insoumise du moins une partie d’entre elle que nous communistes, mais le débat se poursuit. (note de danielle Bleitrach)

 

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Ce que dit réellement Sahra Wagenknecht

Lu dans le journal LIbération du 4 septembre 2018
Check News a traduit pour vous plusieurs extraits d’interviews et de discours, où Sahra Wagenknecht expose sa vision d’une politique d’immigration en Allemagne.

La traduction journalistique de son positionnement :


Ainsi Le Monde parle de «l’émergence d’une gauche antimigrants», le HuffPost titre «un mouvement politique de gauche radicale et anti-migrants lancé en Allemagne», Libération note au sujet de Wagenknecht que «l’une des cadres de Die Linke va lancer début septembre un mouvement qui reprend les accents de l’extrême droite sur la question migratoire» et Grazia ose même la présenter comme «l’Allemande à cheval entre Mélenchon et Le Pen». Dans ces articles, on peut lire que cette égérie de la gauche radicale allemande a décidé de défendre une politique antimmigrants pour récupérer le vote des
électeurs des couches populaires qui se seraient tournées vers le parti d’extrême-droite Alternative für Deutschland (AfD).

Son positionnement effectif résumé :

Vous souhaitez savoir ce que propose ou du moins ce que déclare exactement Sahra Wagenknecht sur le sujet de l’immigration. Check News a donc consulté ses discours et ses interviews récents sur ces sujets et publie ici des extraits traduits : Pour un respect du droit d’asile, dont il faut combattre les causes, mais pour la critique d’une immigration de travailleurs étrangers

On peut résumer ses positions ainsi. Sahra Wagenknecht défend le droit d’asile dans sa forme actuelle et s’est opposée à son durcissement. Elle estime cependant que pour régler la crise des réfugiés, il ne suffit pas d’ouvrir les frontières du pays, mais de traiter les causes, qui justifient que des personnes quittent leur pays en guerre. Ainsi elle est contre la vente d’armes à des pays étrangers, notamment la Turquie ou l’Arabie Saoudite.

En ce qui concerne les immigrés, qui ne relèvent pas du droit d’asile, elle estime qu’une position d’ouverture totale des frontières n’est pas une position de gauche, car l’immigration de main-d’œuvre étrangère augmente la concurrence entre les travailleurs allemands et immigrés et tire, selon elle, les salaires vers le bas. Elle y voit une politique souhaitée par le patronat pour baisser le coût de la main-d’œuvre.

Aussi Sahra Wagenknecht considère que cette main-d’œuvre supplémentaire pour l’Allemagne, notamment les travailleurs qualifiés, est un manque à gagner pour les pays d’origine de ces immigrés. Elle défend la mise en place de «limites à la libre circulation des marchandises» pour que ces pays en voie de développement ne soient pas abusés par les pays industrialisés.

Extraits de son discours au congrès de Die Linke le 10 juin 2018


Elle commence ce discours par se féliciter des résultats de Die Linke en progrès lors des élections fédérales du Bundestag, puis insiste sur le fait que Die Linke doit capter l’électorat ouvrier, qui s’est éloigné du parti dans des zones sinistrées, telles que le bassin ouvrier de la Ruhr ou les Länder de l’Allemagne de l’Est. Les propos traduits ici, font suite à un passage, où elle explique qu’elle est fière que son parti s’oppose à la livraison d’armes aux pays étrangers.

"Chers camarades, nous sommes également d’accord pour dire que les guerres sont une cause majeure des mouvements de migration mondiaux. Et nous convenons que les personnes persécutées doivent se voir accorder l’asile. Je suis fier que le groupe parlementaire au Bundestag ait voté contre tout
durcissement de la loi sur l’asile et qu’il continuera à le faire. Je pense que cela montre où nous en sommes dans ce dossier. Et nous sommes également d’accord sur le fait que les réfugiés de guerre doivent être aidés. Il n’y a personne dans Die Linke qui s’interroge à ce sujet. Et je ne pense pas qu’il soit élégant de toujours prétendre que c’est différent. Non, ce n’est pas différent.

Ce dont nous discutons, c’est de savoir si un monde sans frontières dans des conditions capitalistes peut vraiment être une revendication de gauche. Même là, il y a quelque chose qui n’est pas controversé. Nous défendons le droit des pays pauvres de défendre et de protéger leurs marchés, leurs économies, avec des tarifs douaniers contre nos exportations agricoles. Mais cela signifie aussi fixer des limites à la libre circulation des marchandises. Nous exigeons un contrôle des capitaux pour empêcher les spéculateurs financiers de décider des devises, des taux d’intérêt et du sort d’économies entières. C’est pourquoi nous voulons bien entendu fixer des limites à la libre circulation des capitaux.
Oui, beaucoup d’entre nous sont probablement d’avis qu’il est irresponsable de priver les pays pauvres de leurs spécialistes qualifiés parce que la pauvreté et la misère sur le terrain ne font qu’augmenter. Oui, nous discutons de la question de savoir s’il devrait y avoir des limites pour la migration de main-d’œuvre et, si tel est le cas, quelles sont-elles. Mais pourquoi ne pouvons-nous pas le faire objectivement, sans diffamation ?

Le politicien de gauche Bernie Sanders a également une opinion très tranchante à ce sujet. Je cite Bernie Sanders : «Ouvrir les frontières. Non. C’est une suggestion des frères Koch.» Ce sont de grands industriels avec 40 milliards d’actifs. Je cite Bernie Sanders : «Ce que la droite aime dans ce pays, c’est une politique
d’ouverture des frontières. Amenez beaucoup de gens qui travaillent pour deux ou trois dollars de l’heure. Ce serait formidable pour eux. Je n’y crois pas. Je crois que nous devons travailler avec le reste des pays industriels pour lutter contre la pauvreté dans le monde. Mais nous ne pouvons pas le faire en appauvrissant la population de ce pays.» Voilà ce que dit Bernie Sanders. Et quand Jeremy Corbyn parle sur le sujet, ça sonne pareil. Vous n’avez pas à partager cette opinion, mais Bernie Sanders et Jeremy Corbyn ne sont en aucun cas des gens qui courent après la droite et adoptent leurs arguments. Qu’est-ce que c’est que cette non-culture du débat!

Je ne m’attends pas à ce que tout le monde soit d’accord avec moi non plus. Bien sûr que non. Mais ce que j’attends, c’est une discussion solidaire. Et si moi et d’autres camarades de mes propres rangs sommes accusés de nationalisme, de racisme et de proximité avec l’AfD, ou si l’on suppose que nous cédons à l’ère du
temps droitiste, alors c’est le contraire d’un débat solidaire !»

Interview avec la Frankfurter Rundschau le 11 août 2018

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texte de Gilles QUESTIAUX sur Réveil Communiste "Faut-il soutenir politiquement le droit aux migrations?" (ça commence à bouger à gauche sur la question!)

5 Septembre 2018

Republié (septembre 2018) au moment où le tabou de l'immigration prégnant chez les militants de gauche commence à sauter, notamment avec la création du mouvement Aufstehen par Sarah Wagenknecht, en Allemagne.

Je demanderais aux lecteurs de bien vouloir faire l'effort de distinguer la pratique humanitaire de la pratique politique, ou s'ils ne le peuvent pas, de s'abstenir de lire la suite !

Depuis maintenant près de dix ans nous croisons dans les rues de nombreux réfugiés et sans-papiers qui se retrouvent en France dans une situation humaine et matérielle très difficile, qui suscite la sympathie des militants associatifs, des actes de solidarité, de soutien, et la mobilisation des associations d’aide. Cette solidarité est nécessaire et louable.

Mais faut-il aller au delà, et passer du soutien particulier à des personnes en difficulté, à un soutien politique, qui approuve et valide leur démarche de rechercher à tout prix et dans l’illégalité l’installation en France ou dans d’autres grands pays capitalistes ?

Il faut être clair : un tel soutien signifie que l’on adhère à une revendication politique, exposée clairement d’ailleurs par certaines organisations d'extrême gauche comme par les organisations patronales : pour une liberté totale de circulation internationale des personnes dans le monde, qui implique du même coup la liberté totale de mouvement de la main d‘œuvre. La satisfaction de cette revendication contribuerait-elle à l'avènement du monde sans frontière que les communistes veulent créer?

Il apparait certain que la revendication de la mobilité internationale de la main d’œuvre est une de celle qui est chère au patronat. Il s’agit d’un des piliers du néo-libéralisme. Le but est de mettre en concurrence les travailleurs entre eux, de faire baisser les salaires, et aussi de déstructurer le prolétariat en le divisant en communautés ethnico-religieuses adverses.

Il est douteux, malgré les apparences du fait qu’utilisent abondamment l’extrême droite dans sa propagande que l’immigration cause le chômage (car la présence des travailleurs immigrés ouvre des postes d'encadrement aux autochtones, et comme ils sont aussi des consommateurs, pour produire leur consommation il faut davantage de travail). Mais il est certain que cette perception explique en grande partie la montée électorale de l’extrême droite qui est contemporaine de l’installation durable du chômage de masse dans ce pays, dans les années 1980. Le racisme n'était certainement pas moins répandu en France avant cette date, mais il ne s'exprimait pas par le bulletin de vote.

C'est un fait politique que l'immigration provoque une réaction populaire hostile qui est utile électoralement à l’extrême droite. Or les organisations de défense des travailleurs ne peuvent pas aisément faire campagne contre la poursuite de l'immigration, car une telle campagne serait immédiatement présentée par les médias, aux mains des libéraux, comme une forme de racisme et amalgamée à une campagne pour obtenir le départ des immigrés déjà présents. Par contre elles peuvent éviter par leurs prises de positions redondantes avec celles de l'idéologie libérale dominante, de donner à entendre qu'elles seraient favorables à encore davantage d'immigration. On a parfois l'impression que la seule logique des interventions de la gauche et des syndicats sur toutes les questions liées à l'immigration réside dans la terreur d'être amalgamé à l'extrême droite, même par des médias ou des politiciens hostiles et d'une évidente mauvaise foi.

Les migrations font pression à la baisse des salaires et des conditions de travail (sinon il n'y aurait pas de migrations). Certains s'en lavent les mains en remarquant que ces bas salaires et ces mauvaises conditions de travail seront, justement, le lot des immigrés, et que "c'est bien pire dans le pays d'où ils viennent". Mais la condition globale de la classe ouvrière en est affectée. Cette conclusion économique en application de la loi de l’offre et la demande est parfaitement conforme à l’économie marxiste, il suffit de lire le Capital pour s’en rendre compte, car l'immigration est le moyen le plus simple d'augmenter les effectifs de l'armée de réserve du capital qui sert précisément à cela. Soutenir politiquement les migrations va à l'encontre des intérêts de la classe ouvrière considérée comme un tout (y compris et surtout aux ouvriers immigrés déjà installés, et à leurs enfants).

Le ralentissement de l'immigration est une condition de la bonne intégration sociale et du niveau de vie des travailleurs immigrés déjà présents. Mais ce n'est certainement pas la priorité du patronat qui les exploite sans aucun scrupule.

Les droits de l’homme (dans leur version limitée, bourgeoise, de 1789, sans les droits réels de 1948) sont aujourd’hui détournés pour faire passer en fraude cette exigence, pour maquiller une revendication du patronat en revendication des travailleurs.

Sans-papiers et réfugiés sont des travailleurs et il est donc normal que les organisations de défense des travailleurs s’occupent d'eux. Mais ils ne sont pas à ce stade des travailleurs en lutte organisée, et le but de leur déplacement à travers les frontières du monde capitaliste reste individualiste : leur rêve n’est pas la promotion de leur classe mais leur promotion individuelle. Leur rêve est un "rêve américain", il n’est pas de lutter contre l’exploitation, mais de devenir riche, ou au moins d’être exploité dans des conditions meilleures, pensent-ils, que dans leur pays d’origine. Beaucoup atteignent d'ailleurs leur but et deviennent de fait les nouveaux composants d'une bourgeoisie du Sud délocalisée dans le Nord qui aggrave le lien de dépendance néocolonial de leur pays d'origine.

Les migrations sont devenues aujourd'hui la forme majeure du pillage du Tiers-Monde : le pillage de sa « ressource humaine ». Les sans-papiers et les réfugiés dont il est actuellement question sont loin d’être recrutés parmi les plus pauvres et les plus misérables de leurs compatriotes, ils appartiennent au contraire pour la plupart à une classe moyenne urbaine ou au groupe des diplômés et des travailleurs qualifiés, dont le pouvoir d'achat comparativement élevé par rapport à la moyenne du pays d'origine est effectivement inférieur à celui des ouvriers du Nord.

En ce qui concerne les réfugiés syriens, qui furent la majorité de ceux qui firent l’actualité tragique depuis 2011, il faut savoir qu’ils ne venaient pas directement de Syrie, mais de Turquie, où ils étaient parqués dans des camps de réfugiés, et que leur envoi en Europe était une pression de ce pays pour accélérer une intervention militaire contre leur pays. Et l’organisation par la terreur de masse de l’exode syrien est une arme stratégique pour faire plier l’État Syrien, dans la guerre d’agression que lui mène l’impérialisme, notamment l'impérialisme français, depuis 2011.

Le sentiment d'humanité élémentaire qu'on doit ressentir pour ceux qui se retrouvent à la rue dans le froid hiver européen ne dispense pas de recul critique. Aider les personnes en détresse oui, soutenir l'impérialisme et le pillage du Tiers Monde, non. Certains militants humanitaires ont d'ailleurs acquis sur le terrain cette conscience politique critique et refusent de se laisser manipuler dans le spectacle compassionnel.

Le soutien à la cause des migrants comme telle (c'est-à-dire au principe même de la libre migration universelle) n'est pas seulement une erreur politique. Elle finit par se retourner directement contre la sécurité même des migrants, car elle a pour effet pervers d’encourager le trafic d'êtres humains à grande échelle. L'action des associations humanitaires, et la prégnance du libéralisme moral dans les mouvements sociaux contribuent à faire de la migration illégale une roulette russe où l’on peut gagner : pour un migrant illégal renvoyé au pays d’origine, vingt ou trente installations définitives. Pour un mort, cent passages réussis.

Aucun État bourgeois ne peut abandonner sa souveraineté au point de laisser complètement libre le passage de ses frontières, mais il peut accepter le compromis bancal qui consiste à régulariser a posteriori tous ceux qui ont pris le risque de franchir les obstacles qu'il a lui même placé sur leur chemin. Les gauchistes et/ou humanitaires deviennent alors la main gauche de l’État qui accueille les migrants après leur avoir empêché l’entrée sur son territoire de la main droite, par sa police. Selon le fameux principe des "pieds secs, pieds mouillés" qui caractérisait la politique migratoire des États-Unis, à l'encontre de Cuba, depuis 1959 : les États-Unis ne délivraient pas de visa à la Havane aux candidats à l'émigration, mais régularisaient les naufragés, lorsqu'ils arrivaient vivants sur les plages de Floride.

Aujourd'hui, en Europe, une situation intolérable sur le plan social et simplement humain se pérennise, faute d'analyse politique consciente, la place de la conscience étant prise par l'émotion.

Pour terminer un dernier point : le droit de l’homme inaliénable, concernant la liberté de circulation, est celui de pouvoir sortir et revenir dans son propre pays ; ce n’est pas celui de pouvoir entrer dans tous les autres pays. La possibilité de fermer son territoire est une condition de la souveraineté d'un État indépendant, et sans souveraineté, il n'y a pas de "droits de l'homme". Ni d'ailleurs de droits sociaux.

La solution à la crise humanitaire ne sera pas l'ouverture des frontières qui n'est pas une option en régime capitaliste : la même opinion que l'on manipule maintenant par sa compassion le sera dans une heure en sens inverse par sa peur du terrorisme, et elle va implorer des frontières partout. La bourgeoisie aime les migrants, à condition qu'ils n'en demandent pas trop, et qu'ils restent des travailleurs clandestins.

Un monde sans frontières est possible, à conditions de dépasser le mode de production capitaliste, et dans les conditions présentes les migrations encouragées par la bourgeoisie mondialisée ont précisément pour but d'empêcher ce dépassement. L'effacement des frontières d'État, dans le contexte capitaliste, aboutit à leur renforcement à l'échelle continentale le long de la ligne de séparation Nord-Sud, et à leur réappar

texte de Gilles QUESTIAUX sur Réveil CommunisFaut-il soutenir politiquement le droit aux migrations? (ça commence à bouger à gauche sur la question!)

5 Septembre 2018

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BRUNO AMABLE : « AUFSTEHEN DÉFEND L’ACCUEIL DES MIGRANTS DANS LES MEILLEURES CONDITIONS POSSIBLES »

Économiste reconnu pour ses travaux critiques sur le libéralisme, Bruno Amable a publié en 2017 « L’illusion du bloc bourgeois », avec Stefano Palombarini (Raisons d’agir), qui revient sur les recompositions politiques en Europe. Installé en Allemagne, il revient avec nous sur les polémiques autour de Sahra Wagenknecht et son mouvement, Aufstehen.

La polémique enfle depuis quelques jours des deux côtés du Rhin. Le 4 septembre dernier, Sahra Wagenknecht, membre importante de Die Linke, lance son mouvement, Aufstehen. Dans l’Hexagone beaucoup dénoncent ou saluent une gauche anti-migrants. Pour nombre d’observateurs, son but est de concurrencer l’Alternative pour l’Allemagne (AfD), parti d’extrême droite en pleine ascension outre-Rhin. Pourtant, à bien y regarder, la réalité pourrait être toute autre. Bruno Amable décrypte pour nous tout cela.

Le Média : Ce mardi 4 septembre, Sahra Wagenknecht a lancé son mouvement, Aufstehen. Beaucoup ont parlé d’un mouvement « anti-immigration ». Qu’en est-il réellement ?

Bruno Amable : C’est au choix une incompréhension ou une intoxication. Le mouvement a été très clair sur sa position vis-à-vis de l’immigration. Il défend l’accueil dans les meilleures conditions possibles. En revanche, et c’est très lié au contexte allemand, Aufstehen refuse l’ouverture inconditionnelle des frontières, le « No Border ». Il s’agit d’une position qui est portée par une partie de la gauche et des Verts en Allemagne. Derrière, il peut y avoir des raisons idéologiques strictes. Pour eux, personne ne doit être illégal, les individus peuvent s’installer où ils veulent. Il y a souvent de l’anti-étatisme chez eux. Sinon, les raisons sont tactiques. Cette position est défendue par des gens qui savent que c’est inapplicable, dans cette situation concrète de gouvernement. Cela leur permet de s’afficher comme plus à gauche que les autres, sans que cela leur coûte quoi que ce soit. En revanche, cela a une influence sur une partie de l’électorat effrayée par ce type de position, dans un contexte où, en 2015-2016, donc en relativement peu de temps, l’Allemagne a accueilli plus d’un million de migrants, suite aux événements internationaux. Cela a évidemment posé des problèmes d’accueil. Il faut noter que l’accueil des migrants en Allemagne se déroule dans des conditions nettement meilleures qu’en France, où seuls quelques dizaines de milliers de migrants sont arrivés. Il faut remettre les choses en contexte. Ce n’est pas une position anti-migrants, c’est juste contre le « No Border » d’une partie de la gauche et contre la politique de Merkel.

Celle-ci s’est déroulée en trois temps. La chancelière a d’abord appliquée une politique de fermeture. Peu de temps avant d’ouvrir ses frontières dans les conditions que j’ai évoquées, elle était pour expulser les migrants, même présents depuis longtemps en Allemagne. Il y a eu un épisode très célèbre à la télévision allemande, où elle a dit à une jeune fille présente depuis des années, mais qui avait un mandat d’expulsion, qu’elle ne pouvait rien faire pour elle. Deux raisons l’ont poussé à changer de politique. Une partie du patronat allemand avait besoin de main d’œuvre et a poussé dans ce sens. Ensuite, la question migratoire créait des tensions en Europe, qui risquaient de gêner l’Allemagne. Peu de temps après l’ouverture des frontières, et des problèmes que cela a posé, elle s’est à nouveau montrée ferme. Elle a poussé à un accord entre Erdogan et l’UE, pour garder les migrants hors des frontières européennes.

Lire aussi : « Migrants : La gauche ne peut pas se contenter d’un discours humanitaire ! »

Les médias expliquent que l’ambition de Sahra Wagenknecht est de concurrencer l’AfD. Le spectre de la coalition M5S-Ligue du Nord, ou encore d’une réunion des populismes de gauche et de droite, agitent de nombreux esprits. Aufstehen pourrait-il finir allié avec l’AfD ?

Non pas du tout ! Mais il constate que l’AfD a gagné énormément de voix en peu de temps, au point que selon les derniers sondages, il pourrait être le deuxième parti, après la CDU et devant le SPD. Selon eux, il existe des gens qui votent pour l’AfD et ne devraient pas, parce que c’est un parti d’extrême droite traditionnel. La politique sociale affichée, c’est de la poudre aux yeux. En réalité, ils sont très libéraux sur le plan économique. Le cœur de l’AfD est le même que celui de n’importe quel parti d’extrême droite : il s’agit plutôt de gens relativement aisés et ultra-conservateurs. En revanche, elle prospère chez les populations délaissées, qui se sentent abandonnés par la gauche, comme le FN en France. Le SPD a quand même été le parti qui a lancé les grandes réformes néolibérales en Allemagne. L’idée est d’essayer de retirer des griffes de l’AfD des gens désemparés, qui, au lieu de se soucier des migrants en premier lieu, devraient se préoccuper des questions sociales, de l’investissement public ou de la faiblesse des salaires, etc. Ils veulent s’adresser à des électeurs perdus, mais ne désirent pas concurrencer l’AfD.

L’immigration économique est de plus en plus critiquée à gauche, pas seulement en Allemagne. Le concept marxiste d' »armée de réserve des travailleurs » ressurgit. Qu’en pensez-vous ?

Il faut contextualiser tout cela. L’impact des migrants sur la situation des salariés autochtones dépend de beaucoup de choses. Cela dépend des institutions du marché du travail. Est-ce qu’il y a des salaires minimums ? Est-ce qu’il y a des conventions collectives protectrices ? Il y a aussi la question de l’accès aux services publics, aux écoles, aux garderies, etc. Cela dépend beaucoup des investissements publics. Or, en Allemagne, ces dernières décennies, celui-ci a été faible. Dans le même temps, il y a eu une pression à la baisse sur les salaires. Évidemment, l’arrivée des migrants ne devrait, a priori, pas avoir un impact positif. Quand l’investissement public est insuffisant, il est clair qu’une population supplémentaire ne va pas améliorer la situation pour ceux qui ont déjà du mal à trouver une place dans les structures d’accueil normales. C’est la même chose pour les salaires, et c’est le calcul d’une partie du patronat et des conservateurs. Ils utilisent le prétexte de l’insertion professionnelle des migrants pour dire que le salaire minimum doit être levé. Ce n’a pas marché, mais ils ont tenté à la faveur de l’arrivée massive des migrants de faire sauter des protections sur le marché du travail.

Justement, comme vous l’avez souligné, en 2015, l’Allemagne accueillait 1,1 million de migrants. Qu’elles ont été les conséquences sur l’opinion publique ?

Elles ont été très diverses. La première réaction n’a pas été une réaction de rejet. Il y a certes eu un peu d’inquiétude, notamment sur les structures d’accueil. Merkel a surtout laissé les administrations locales se débrouiller. Du coup, les Landers et les communes où sont arrivés les premiers migrants ont été mises en grandes difficultés. Pour le reste de la population, nous avons aussi eu des démonstrations de solidarité, d’associations, églises, etc. Il n’y a pas eu, au départ, des pogroms d’extrême droite. En revanche, ce qui a beaucoup joué dans l’opinion, c’est Cologne et les incidents du 1er janvier 2016. Ils ont lentement, mais sûrement, instillé l’idée que les migrants ne sont pas forcément les bienvenus. Ajoutons une campagne active de l’AfD, classique de l’extrême droite. Nous en avons eu une triste illustration lors des violences à Chemnitz ces derniers jours.

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