Anicet LE PORS : Le service public, une question de volonté politique !

Publié le par FSC

Interview d'Anicet LE PORS

30 janvier 2018 , le site VOIX de l' HEXAGONE

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 Anicet Le Pors a été, sous le gouvernement Mauroy, ministre délégué auprès du Premier ministre (1981-1983) puis secrétaire d’État (1983-1984) chargé de la Fonction publique et des Réformes administratives. Cet économiste de formation, qui n’a jamais été un homme d’appareil, reste un électron libre de la politique française. Il continue de s’exprimer assidûment sur son blog et de sillonner la France pour évoquer les sujets qui lui sont chers : la fonction publique et le droit d’asile.

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DEBUT de l'interview :

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Voix de l’Hexagone : Les EHPAD étaient en grève mardi pour protester notamment contre le manque de personnel et l’alignement progressif des dotations du public sur le privé. Les hôpitaux sont à bout de souffle et manquent de moyens. Du côté des services pénitentiaires, les gardiens de prison dénoncent leurs conditions de travail. La gestion de la SNCF fait quant à elle l’objet de vives critiques depuis quelques semaines. Assiste-t-on à une crise paroxystique des services publics ?

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La grève des surveillants de prison a attiré l’attention sur la précarisation des services pénitentiaires

Anicet Le Pors :

Ce n’est pas une crise objective, c’est comme ça parce que des puissants le veulent. Ce n’est pas une fatalité. Laurent Berger qui était mardi matin sur France inter a dit des choses banales mais justes : « Il y a un budget de l’État français, où va l’argent ? » S’il ne veut pas le mettre dans les EHPAD, s’il ne veut pas le mettre dans les prisons, bien évidemment ça crée une crise. C’est une question de volonté politique, c’est incontestable. On peut arguer de la dette, il n’en reste pas moins que la France consacre un effort important au service public, en comparaison d’autres pays. Lors de la crise de 2008, les journalistes ont parlé « d’amortisseur social », s’agissant du service public en raison de sa dimension (sa masse salariale, l’emploi garanti, la protection sociale, les retraites). C’est effectivement un amortisseur social. Il y a à la fois en France un effort qui résulte de l’histoire, d’une tradition, de services publics importants, d’un appareil d’État important, d’une vie locale importante et de socialisation des services hospitaliers grâce à l’Église qui, jusqu’à la moitié du XIXe siècle, avait la main sur ces services-là comme c’est toujours le cas en Allemagne. L’Église y a créé des associations avec lesquelles l’État passe contrat : il n’y a donc pas de prélèvements obligatoires correspondant à cet effort des associations, qui trouvent leurs ressources directement… C’est pour cela que le taux de prélèvements allemand est bien plus bas qu’en France.

VdH : Emmanuel Macron a promis de réduire de 120 000 le nombre total d’agents publics d’ici 2022 : seraient supprimés 50 000 postes dans la fonction publique d’État, et 70 000 dans la fonction publique territoriale. Qu’est-ce qui justifie cette politique ?

 

A.L.P. :

Il ne faut pas nécessairement fétichiser cette annonce d’Emmanuel Macron. Pourquoi a-t-il fait ça ? Parce que toute la droite le faisait. Il a voulu montrer qu’il n’était pas aussi droitier que les annonces faites pour la primaire par les candidats de droite. Il a fait a minima la même chose que la droite a fait, mais le a minima signifiant qu’il était moins de droite que les autres. À mon avis, c’est une question de positionnement. Bien entendu, il va essayer de le faire, mais vous avez vu que pour la première année, c’est insignifiant. Son vrai problème est profondément idéologique et politique. C’est un homme du libéralisme, du marché. Ce qu’il veut, c’est tirer les conséquences de ce postulat de base sur des services publics qui sont, de son point de vue, pléthoriques en France et qui pour une bonne partie d’entre eux doivent rejoindre l’économie de marché. D’où des mots comme « le statut de fonctionnaire est inapproprié », prononcés pendant sa campagne. Il a affirmé dans un article du Point cet été qu’il était contre – c’est intéressant car il l’a dit en anglais – les insiders, ceux que Raymond Barre aurait appelés les nantis, ce qui veut dire les gens protégés, les gens à statut. Il est contre les statuts : les statuts réglementaires des grandes entreprises publiques et surtout le statut des fonctionnaires. Sa vision est aussi celle de la vice-présidente de l’Assemblée Nationale, Cendra Motin, qui dans un article pour Le Monde du mois d’août a déclaré : « La fonction publique, c’est comme un groupe : il y a une holding et puis des filiales. Et les filiales sont les différentes fonctions publiques. ». Donc la vision d’En Marche ! est celle-ci : la fonction publique ne doit pas être différente du privé, elle doit être organisée comme le privé, avec le nouveau management public comme instrument idéologique pour gérer ce grand ensemble.

 

VdH : C’est la France des start-up finalement…

 

A.L.P. 

Oui c’est exactement ça. Mais c’est aussi la France à l’allemande car en Allemagne, c’est comme ça. On y trouve une fonction publique réglementée, puisque 700 000 fonctionnaires sont sous statut pour une population supérieure à la France. Chez nous, le chiffre correspondant est 5,6 millions. Ça ne veut pas dire que les Allemands ont moins d’agents publics, à l’exception des services hospitaliers dont j’ai parlé tout à l’heure. Mais moins d’agents publics sous statut. C’est ce que veut faire Emmanuel Macron.

« La vision d’En Marche ! est celle-ci : la fonction publique ne doit pas être différente du privé, elle doit être organisée comme le privé, avec le nouveau management public comme instrument idéologique »

 

VdH : Le statut des fonctionnaires est donc régulièrement attaqué. Comment évolue-t-il sous la Ve République ?

A.L.P. :

La loi du 19 octobre 1946 a été le statut fondateur de la catégorie des fonctionnaires, tandis que le statut des employés des entreprises publiques était, lui, réglementaire. Ce statut de 1946 a été annulé et révisé par l’ordonnance du 4 février 1959 de De Gaulle, mais sur le fond il n’a pas été changé ; l’ordonnance était simplement une conséquence de l’installation de la Ve République. Quand j’ai été ministre délégué en charge de la fonction publique, le gouvernement a conservé les principes de 1946 mais en concevant un statut fédérateur qui a été approfondi : nous y avons mis par exemple le droit de grève (qui n’était que d’origine jurisprudentielle), la liberté d’opinion, le pouvoir de négociation reconnu aux organisations syndicales. On a surtout étendu le statut à la fonction territoriale. C’est cela qui pose problème aujourd’hui : ce serait une « anomalie ». D’ailleurs, le Conseil d’État a utilisé cette expression dans certains de ses rapports. Le statut a été attaqué dès la première cohabitation, puis par le rapport Pochard du Conseil d’État en 2003 qui a voulu faire du contrat une source autonome du droit de la fonction publique. Ensuite, nous avons assisté à la tentative de « révolution culturelle » de Nicolas Sarkozy en 2007 qui a échoué. Il était prévu qu’elle soit suivie d’un Livre blanc de Jean-Ludovic Silicani, mon collègue au Conseil d’État, finalement mis à la poubelle en raison de la crise financière. Macron a tenu compte de tout cela pour dessiner sa stratégie.

J’ai été surpris par Emmanuel Macron car je m’attendais à ce qu’il attaque le statut tout de suite pour en faire un symbole. Il a sans doute préféré installer une grande référence sociale par la réforme du Code du travail avant de tenir un raisonnement simpliste mais qui va marcher dans l’opinion : « Il y a un nouveau Code du travail rénové, c’est la référence. Alors pourquoi y’a-t-il cette exception de la fonction publique ? » Il a retenu la leçon qu’il était dangereux, en France, d’attaquer le statut de front alors il a conçu un leurre : le CAP22. C’est un comité technocratique dont les membres sont absolument inconnus. Il va procéder à des auditions. Ça ne débouchera sur rien sui generis mais les conclusions sont déjà prêtes : ce sont celles d’Edouard Philippe et d’Emmanuel Macron. Ils voudront aller vers une fonction publique de 600 000 à 700 000 personnes, sous statut mais avec des statuts qui ne seraient pas les mêmes qu’aujourd’hui, avec une plus grande réglementation du droit de grève (ce qui se fait déjà comme conséquence de la Loi sur la Sécurité intérieure), avec probablement plus de sévérité dans le contrôle de la liberté d’expression (on va reparler de l’obligation de réserve).

 

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Gérald Darmanin, ministre de l’Action et des Comptes publics et Bruno Le Maire, ministre de l’Economie et des Finances

Donc, dans un premier temps, il y a le leurre du CAP22. Dans un second temps, je pense qu’il va y avoir une grande campagne idéologique, pour tenter de stigmatiser cette « anomalie » des personnels à statut. La troisième et dernière étape sera la mise en place de ce nouveau statut. Ce n’est pas la première fois qu’on s’y essaye : Gérard Longuet, alors député, avait été l’auteur d’une proposition de loi à la fin des années 1970 pour promouvoir un statut à l’allemande, ce qui lui a probablement coûté sa réélection.

 

VdH : Au ministère puis au secrétariat d’État à la Fonction publique, vous avez contribué à l’essor des services publics à l’échelle des collectivités. Quel regard portez-vous aujourd’hui sur votre action et plus généralement sur les services publics territoriaux ?

A.L.P. :

À l’époque, dans les collectivités, personne n’était prêt à devenir fonctionnaire. François Mitterrand avait décidé d’accorder la priorité à la décentralisation, dont il avait chargé le ministre de l’Intérieur Gaston Deferre. Dans l’article 1er de la loi du 2 mars 1982 (« Acte I » de la décentralisation) il était fait mention de « garanties plus importantes pour les age« Philippe et Macron voudront aller vers une fonction publique de 600 000 à 700 000 personnes, avec des statuts qui ne seraient pas les mêmes qu’aujourd’hui, avec une plus grande réglementation du droit de grève, avec plus de sévérité dans le contrôle de la liberté d’expression »nts publics ». Je me suis donc senti concerné et me suis interrogé sur la traduction effective à donner à ces garanties. Le Code des communes caractérisait une fonction publique d’emplois et, d’ailleurs, les agents publics de ces collectivités ne se considéraient pas comme fonctionnaires. Il se définissaient comme « assimilés » et ne demandaient pas un statut de fonctionnaire. Les élus s’opposaient également à toute une réglementation venue d’en haut. Or, j’ai pensé qu’en laissant faire, nous aurions deux fonctions publiques en France : la fonction publique d’État couverte par la loi et une fonction publique d’emplois qui comporterait bien moins de garanties, avec le risque, à terme, que le mauvais statut finisse par chasser le bon. Je défendais l’unité, Defferre la diversité. Alors, j’ai demandé à Pierre Mauroy, lui-même fonctionnaire d’État et maire de Lille, d’intervenir dans la discussion. Il m’a autorisé à intervenir après le projet Defferre. J’en ai profité pour déclarer qu’il n’y aurait pas deux fonctions publiques en France et que la seule envisageable était celle qui offrait le maximum de garanties aux agents : ce ne pouvait donc être qu’une fonction publique de carrière. Puisque personne au gouvernement n’a moufté, j’ai pu considérer que la parole avait été donnée. Cela a abouti à la décision de Mauroy de faire une fonction publique à trois versants (puisque se sont ajoutés les hospitaliers), traduite par quatre lois. La première d’entre elles a constitué le « Titre Ier » du statut des fonctionnaires, regroupant leurs droits et obligations communs. Aujourd’hui, les 5,6 millions de fonctionnaires bénéficient de ce statut, même s’il faut préciser que, sur ce chiffre, 900 000 agents sont des contractuels de droit public. Toutes les associations d’élus, à l’époque, se sont montrées défavorables au statut unique des fonctionnaires. Celles qui étaient proches du PS ou du PCF ont dû faire profil bas mais elles étaient mécontentes.

Le grand progrès à mes yeux, c’est que trente-cinq ans plus tard, les élus, quel que soit leur bord politique, sont d’accord avec ce statut. Ils y voient désormais une sécurité juridique dans un monde troublé. Ça les a aussi déchargés d’une prise de responsabilité personnelle. Dans le même temps, les agents publics territoriaux ont compris tout le parti qu’ils avaient à tirer d’être classés au même niveau que les fonctionnaires de l’État. Le principe de libre administration des collectivités territoriales tend même à les avantager : par exemple, quand Nicolas Sarkozy a voulu réduire la fonction publique, il n’a pas pu empêcher le recrutement de fonctionnaires au niveau territorial puisque ce sont les élus locaux qui décident ! Enfin, la fonction publique territoriale est très novatrice : elle regroupe aujourd’hui une extraordinaire diversité de métiers .

 

TEXTE COMPLET à l'adresse :

https://voixdelhexagone.wordpress.com/2018/02/02/la-crise-du-service-public-nest-pas-une-fatalite-mais-une-question-de-volonte-politique-entretien-avec-anicet-le-pors/

 

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