Odessa : 2 mai 2014 Maison des syndicats, le crime camouflé!
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Le site histoiretetsociete :
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Le sang, la douleur et les larmes d’Odessa La guerre civile en Ukraine a commencé il y a un an avec le massacre dans la Maison des syndicats
Le 2 mai marquera le premier anniversaire du pogrom d’Odessa, où, selon les chiffres officiels, 48 personnes ont été tuées. La tragédie a été le résultat d’affrontements entre partisans et adversaires du nouveau gouvernement ukrainien. Des manifestants pro-gouvernementaux, dont beaucoup étaient des extrémistes de droite et des hooligans ont attaqué le camp de l’opposition, qui était sur la place devant la Maison des syndicats.
Les personnes ont cherché refuge dans le bâtiment. Les deux parties se sont bombardées de cocktails Molotov, provoquant un incendie. Sur Internet, il y a beaucoup de vidéos qui montrent comment les gens désespérés tentent de sauter par les fenêtres, parfois du 4ème étage pour échapper à l’incendie. Les militants pro-gouvernementaux situés à l’extérieur de la Maison des syndicats ont réagi de diverses manières. Certains ont essayé de secourir les malheureux, d’autres se sont jetés sur eux et les ont achevés avec des bâtons et des barres de fer.
La police et les pompiers sont arrivés sur les lieux seulement après une heure er demie, alors que le feu avait tué plusieurs dizaines de personnes. Beaucoup de ceux qui ont survécu à l’incendie ont été arrêtés par la police, tandis que la majorité des agresseurs sont toujours en liberté.
Les autorités ukrainiennes ont été promptes à dire que la Maison des syndicats était défendue par un grand nombre de citoyens russes et de Transnistrie. Cependant tous les morts étaient des citoyens de l’Ukraine.
Selon les résultats de l’enquête provisoire publiés récemment, le parquet cherche à jeter le blâme sur l’opposition. Bien qu’il existe beaucoup de preuves vidéo que les partisans du Maidan jetaient des cocktails Molotov et tiraient avec des armes à feu sur les défenseurs. Le premier Vice-Procureur général de l’Ukraine, Volodymyr Guzyr a déclaré récemment que son institution estime malgré tout que ce sont les opposants qui sont coupables : «Ils ne se sont pas brûlés eux-mêmes, mais ils ont mis le feu à l’intérieur. »
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Officiellement il y a aujourd’hui 22 personnes impliquées dans l’affaire. Parmi elles, 19 de l’opposition. De plus, le procès des partisans du gouvernement n’a pas été fixé, alors que l’opposition est déjà assise sur le banc des accusés.
Les accusés, leurs proches et leurs avocats estiment que l’enquête a falsifié des preuves et le procureur a été accusé de partialité. Ils soulignent de nombreuses violations de procédure lors du procès. « C’est une telle douleur, c’est tellement horrible … De la fenêtre voir des gens voler en bas tels une torche enflammée. C’était une fiction, pas une enquête : ils se sont enfermés eux-mêmes, ont mis le feu et ont brûlé « – dit Elena Gorbounova, une des personnes qui étaient dans la Maison des syndicats 2 mai et ont réussi à en réchapper.
Le rédacteur en chef du portail indépendant d’information et d’analyse Timer.od.ua Youri Tkatchev, qui fait partie de « la Commission du 2 mai » qui se charge d’enquêter sur la tragédie, est persuadé que «l’enquête officielle ne sera pas menée à terme, et le tribunal condamnera uniquement les partisans de l’opposition « . Il a dit que les autorités sous prétexte du secret ont refusé de coopérer avec la «Commission du 2 mai. » Ils ne donnent pas les résultats d’autopsie des victimes, les conclusions des experts ni les autres documents.
Amnesty International dans son rapport annuel sur l’Ukraine a également critiqué les autorités pour l’atmosphère de secret qui entoure l’enquête sur la tragédie. Les militants des droits de l’homme ont écrit que les actions des enquêteurs et des procureurs suscitent leur « préoccupation quant à leur efficacité et leur impartialité ».
« Le premier mois, dans la crainte d’être arrêtée, j’ai vécu dans un bureau où travaillait une amie – dit Elena Gorbounova – puis tous les trois mois je me suis arrangée pour changer d’appartement et d’emploi. » Selon elle, en dépit de la « propagande patriotique » agressive, la majorité des citoyens sympathisent avec l’opposition, ils craignent et haïssent le nouveau régime. Les autorités aussi sont conscientes de cet état d’esprit. « Les pro-ukrainiens à Odessa ne constituent pas la majorité. Selon des prévisions optimistes ils ne sont que 20% « – a déclaré lors d’un forum des médias à Lvov le vice-gouverneur de la région d’Odessa Zoe Kazanzhi.
Dans ces circonstances, le gouvernement et les nationalistes font tout pour détruire dans la ville toute opposition légale. Même parler d’une zone économique libre dans la région peut être considéré comme une manifestation de séparatisme. « Dès qu’apparaît un mouvement organisé actif, une association des citoyens de la ville, alors ce mouvement est tué dans l’oeuf. Peu importe que les slogans soient politiques ou sociaux, par exemple, l’augmentation de 6 à 7 fois des tarifs des services publics, ou la chute du niveau des salaires et des pensions. Soyez sûr qu’il y aura quelques gros bras en uniforme militaire, qui commenceront à battre les gens, ou à disperser les rassemblements, « – dit Elena.
– Uniquement pour le mois d’avril 2015, Odessa a connu environ 40 arrestations de citoyens politiquement déloyaux. Ils sont accusés de préparation d’actes terroristes, atteinte à l’intégrité territoriale de l’Etat et trahison – dit Youri Tkatchev. Mais beaucoup ne craignent pas tant la répression par les autorités que les attaques de la part des nationalistes totalement hors contrôle. « Pour le moment je sens que je pèse trois kilos de trop – dit Tkatchev en réponse à la question sur ce qui a changé pour lui ces derniers mois -. Ma femme refuse de me laisser sortir de la maison sans gilet pare-balle »
Tant les autorités que les partisans d’euromaïdan utilisent activement la thématique des événements le 2 mai. Si du point de vue de l’enquête officielle, les gens de l’opposition se sont « brûlés eux-mêmes », dans certains milieux politiques, ces événements sont considérés comme « une page glorieuse de l’histoire d’Odessa. » Même le président ukrainien actuel a déclaré que les événements de cette journée ont permis de «défendre la ville» contre les séparatistes, et dans la bouche des politiciens «patriotes» locaux une telle rhétorique sonne constamment, Tkatchev a déclaré: «Si les événements du 2 mai par eux-mêmes peuvent être appelés – mais à l’extrême rigueur – un tragique accident, la réaction de ceux qui essaient d’en faire un « Jour de Victoire sur le séparatisme », est franchement indécente du point de vue moral « .
D’une part, le gouvernement et les radicaux sont intéressés à la suppression de l’opposition, de l’autre – ils s’efforcent d’approfondir la scission dans la société, explique la militante des droits de l’homme et le chef du Parti social libéral « Spilna diya » (« action ordinaire ») Tatiana Montyan. «Ils détournent les gens du fait qu’il n’y a pas de réformes, qu’il n’y en a pas eu et qu’il n’y en aura pas, mais seulement le détournement des budgets militaires. Simplement il devient de plus en plus difficile de dire au public que Poutine est sur le point de nous attaquer « . Seule une propagande hystérique permanente, la mise en avant du « danger séparatiste» permet de maintenir la mobilisation «patriotique» de la société et de légitimer la répression de la dissidence.
Mais dans le même temps, une telle rhétorique suscite la colère de la part d’une très grande partie de la société divisée. Le niveau de la haine contre le gouvernement de la part de ceux qui sympathisaient avec l’antimaïdan d’Odessa est extrême. Tatiana Montyan décrit l’état d’esprit et l’état émotionnel de ce milieu : «Les gens n’attendent qu’un prétexte, « bientôt, vous serez foutus et nous ne vous épargnerons pas » – disent-ils. »
Zoe Kazanzhi dans un de ses discours a dit que les Odessites mobilisés dans l’armée ukrainienne passent souvent dans le camp des séparatistes. Selon Youri Tkatchev, aujourd’hui dans les groupes armés du Donbass il y a au moins 2.500 habitants d’Odessa qui se battent contre les autorités ukrainiennes. Et beaucoup d’entre eux ont littéralement été forcés par le gouvernement ukrainien à prendre les armes.
Le sort de l’activiste de gauche d’Odessa Vladislav Wojciechowski, qui a également survécu à l’incendie dans la Maison des syndicats en est une bonne illustration. En septembre 2014 il a été arrêté quelques heures après avoir donné une interview à un journaliste suédois. Il a passé quatre mois en prison. Le 26 Décembre, lui et 64 autres prisonniers «politiques» de la prison d’Odessa ont soudainement été mis dans une voiture et conduits à Kharkov. Là, ils ont été rejoints par environ 200 autres prisonniers. Et tous ensemble ont été livrés aux séparatistes dans l’échange de prisonniers de guerre.
Vladislav dit que la plupart de ses codétenus, qui étaient officiellement accusésde terrorisme, de trahison et séparatisme, avaient été le plus souvent arrêtés après des déclarations imprudentes sur les réseaux sociaux ou dans les lieux publics. Parmi eux, il n’y avait personne qui, avant son arrestation, ait combattu du côté des séparatistes. En revanche, ils étaient tous des militants du mouvement de protestation à Odessa.
Le dernier jour en prison on a donné à Vladislav un papier disant que son affaire avait été classée pour manque de preuves. « Mais au lieu d’être autorisés à rentrer à la maison il a été menotté et emmené à Donetsk » – a-t-il dit. Autrement dit, les autorités ukrainiennes organisent sur leur propre territoire la mobilisation de soldats pour l’armée rebelle.
Selon Vladislav, sur les quelque 200 personnes qui avec lui ont été transférées aux rebelles, « la moitié est allée en Russie, et l’autre moitié est allée rejoindre les volontaires de la milice. » Il a travaillé comme correspondant de guerre en République auto-proclamée populaire de Lougansk. Sur sa page de réseau social, il déclare: « Attends-moi, ma ville natale, je vais bientôt être de retour » avec en dessous cette photo de lui – en tenue de camouflage avec un pistolet.
Vladislav dit qu’il veut revenir dans sa ville en libérateur. Interrogé pour savoir s’il croit en des formes pacifiques de lutte, il dit: «Chaque jour, j’apprends de nouvelles arrestations. Et qui est arrêté? Tout ceux qui luttent pacifiquement – qui écrivent des tracts, déploient des banderoles, qui exigent un référendum. Ils sont mis en prison. Tant qu’il y aura ce pouvoir, la paix est impossible. »
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Pour l’anniversaire de la tragédie du 2 mai, les adversaires du pouvoir préparent à travers les réseaux sociaux une cérémonie de commémoration avec dépôt de gerbes à la Maison des syndicats. En prévision de cet événement la tension monte dans la ville. Sept grandes « organisations patriotiques », possédant des « fractions armées » (c.-à-formations paramilitaires), y compris le pro-fasciste »Secteur droit » *, ont annoncé la création d’un « état-major interarmées des forces patriotiques ». Ils promettent une «action directe» pour empêcher toute tentative de « déstabiliser la situation dans la ville. »
Un des leaders de la force de coalition, Mark Gordienko, a écrit dans son « Facebook », se référant aux manifestations des mineurs qui ont lieu à Kiev, exigeant qu’on leur paie les arriérés de salaires et le maintien de leurs emplois: « A Odessa, les manifestations des mineurs ne seront pas admises. Nous les enverrons tous creuser des tranchées « .
Il a été soutenu par le chef du Département des enquêtes du Service de sécurité de l’Ukraine Vasily Vovk. Il a dit que les « forces pro-russes » veulent utiliser l’anniversaire de la tragédie pour proclamer une » république d’Odessa. » « Nous vous assurons, et qu’il soit entendu pour tout le monde – ça ne marchera pas » – a-t-il souligné.
« Des vauriens extrémistes de droite ont détruits les stands avec des photos de victimes sur le champ de Koulikovo » – se plaint la mère du militant de gauche Andrei Brazhevski mort à la maison des Syndicats. « Les autorités se sont également engagées à assurer la sécurité lors de la réunion commémorative du 2 mai. Mais le pourront-elles et le voudront-elles? « – Elle demande. Pendant ce temps, les militants de l’opposition disparaissent sans laisser de trace, en plein jour, comme il est arrivé le 24 avril à Shelamov Alexandre, qui a été arrêté par le SBU avec la participation de militants d’extrême-droite.
Aux yeux des militants d’antimaydan et de leurs familles, le gouvernement et les extrémistes de droite – c’est presque la même chose.
« Sans aucun doute, le fait que les politiciens occidentaux ferment les yeux sur les excès et les crimes, tels que la tragédie du 2 mai, au nom de leur soutien aux autorités ukrainiennes, favorise le développement des formes les plus extrêmes – dit Youri Tkatchev – Seulement une pression systématique de l’Occident sur ce gouvernement pourrait peut-être l’amener à agir autrement. Et c’est la contribution que l’Europe pourrait apporter à la situation en Ukraine, si, toutefois, elle veut que près de ses frontières règnent le calme et la paix « .
Mais jusqu’à présent on ne voit rien venir. L’année dernière, l’ancien ministre des Affaires étrangères de Suède, Carl Bildt, a fait reposer la responsabilité de la tragédie d’Odessa sur les « forces pro-russes. » Le nouveau chef du gouvernement, le social-démocrate Stephen Louvain, lors d’une visite en Ukraine en mars 2015 a déclaré que la Suède appuie fermement la nouvelle Ukraine et lui fournira une assistance financière d’un montant de 850 millions de couronnes.
Est-ce que ce soutien ira également aux milliers d’habitants d’Odessa, qui vivent maintenant dans la peur d’une répétition du massacre et ont vraiment besoin d’aide, l’histoire ne le dit pas.
* – L’organisation « Secteur droit » a été reconnue par la Cour suprême de la Fédération de Russie au 17 Novembre 2014 comme une organisation extrémiste, ses activités sur le territoire de la Russie sont interdites.
Illustration: Odessa. L’incendie de l’immeuble du conseil régional des syndicats, mai 2014 / Photo: Andrew Borovsky / TASS