GM&S : même si ça risque de déplaire !

Publié le par FSC

SOURCE : France TV info

Toujours dans le flou sur l'avenir de l'usine GM&S de la Souterraine, dans la Creuse, la CGT menace d'organiser des actions de blocage pendant l'été et de perturber des événements médiatiques "comme le Tour de France ou le 14 Juillet à Paris". Le tribunal de commerce de Poitiers a décidé vendredi 23 juin de remettre sa décision, sur une éventuelle liquidation du site, à vendredi prochain.

Des actions qui "risquent de déplaire"

"Ce n'est pas trop la joie. On en a plein le cul, comme à chaque fois qu'on sort du tribunal", a réagi sur franceinfo, Yann Augras, délégué CGT.

Ces actions "risquent de déplaire à beaucoup de gens mais ce n'est pas grave. Quand on risque de perdre son emploi à 45 ou 50 balais et que derrière tu sais que tu n'as plus rien, que les actions soient fortes ou pas fortes, tu n'en as plus rien à foutre", a martelé le délégué CGT de GM&S.

En attendant, les négociations vont se poursuivre pour éviter une fermeture définitive du site de La Souterraine et le licenciement de ses 277 salariés. 

 

GM&S : des actions "risquent de déplaire à beaucoup de gens", explique Yann Augras, délégué CGT
 
 
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Le portrait de Yann Augras selon 

 

Il a une gouaille de loulou parisien, le goût des belles sapes, de la table et des copains. Il est terrestre, Yann Augras, avec sa silhouette plantée : large carrure et torse bombé surplombé d’une mine insolente. Et voici comment, le fils du cantonnier, propulsé caillou social dans les mocassins «en marche» du gouvernement, se dilua dans le collectif. Un portrait ? Pourquoi diable parler de lui, syndicaliste CGT et élu au CE du sous-traitant automobile GM&S Industry menacé de liquidation, quand il s’échine à donner de la voix au nom de tous les salariés de son usine ? Comme dans une négociation d’entreprise, il aura fallu argumenter longtemps pour le convaincre.

Littéralement habité par la bataille qu’il mène pour sauver sa boîte, à l’heure de la décision du tribunal ce vendredi, et tandis que le bal de prétendants plus ou moins recommandables bat la mesure, ce sale gosse n’a pourtant rien du soldat : ni docile ni obéissant. La preuve, il lui aura fallu moins de dix ans pour prendre trois avertissements. «Dont un le jour de mon mariage !» se vante-t-il sous l’œil dubitatif de sa femme, Maryline.

C’est à 19 ans, frais émoulu de son école des métiers de la métallurgie, qu’il rejoint GM&S, sous-traitant automobile et fleuron de l’économie creusoise. Grande gueule en chef, il a toujours estimé que «chacun a sa légitimité, et que le chef a beau être le chef, si je connais, ma machine ou que sa méthode ne respecte par les gars, eh bah ! je l’dis». Ce qui ne l’empêche pas d’avoir un vrai culte du «patron». Et en particulier, celui qui l’a recruté voilà vingt-six ans. Bernard Godefroy : «Ça, c’était un mec.» Il revenait le samedi, et grimpait sur le Fenwick en bretelles et pantalon à pinces. Il est ému, Yann Augras, par cette figure qui, malgré son grand âge, a pris la peine de lui témoigner son soutien. «Tu vois, je suis pour le dialogue avec les patrons, mais des patrons, y en a plus. Y a que des financiers, des fonds de pensions et leurs avocats.»

A la maison, le taulier, c’était son père, «un homme dur, mais avec un cœur immense», juste et légitime, deux qualités primordiales pour lui. «Il distribuait les danses et les marrons. Y avait intérêt à être dégourdi ! Grâce à lui, j’ai jamais eu peur du boulot.» A l’inverse de son frère, Yann Augras est un peu le Robinson de sa famille. «Lui, c’était la tête, et moi, c’était les bras.» D’un tempérament vagabond, il s’est élevé à l’aventure en gambadant à travers cette Creuse qu’il aime tant. De Les Bétoulles, le village où il a grandi, à la Barderie, où il vit toujours avec Maryline et Justine, leur fille, il connaît chaque recoin, chaque arbre et chaque brin d’herbe. «Il m’est arrivé de dire aux journalistes que j’étais le maire du Maupuy», confesse-t-il dans un éclat de rire. Le Maupuy, c’est le massif de son enfance : 296 hectares de forêt, vides de tout homme, sur lesquels il veille au sein d’une association.

Le sale gosse un peu farceur est toujours là, en embuscade. Du haut de son éperon rocheux qui culmine à 683 mètres, il se livre, songeur. «Macron voudrait que les gens comme nous aillent bosser ailleurs, mais c’est parce qu’il n’est jamais venu ici.» Ici, il y a l’espace. Il y a la pêche et les balades, il y a les chevaux et les copains, la famille, le potager partagé avec Michel, les week-ends d’hiver à préparer les pâtés autour d’un canon de Tavel en racontant des blagues grivoises. Et puis, il y a les animaux qu’il sauve, recueille et place. Il y a ses chiens, Domino et Lili, Jacqueline, la brebis qu’il nourrit au biberon. «J’aurais aimé être vétérinaire, mais j’étais pas bon à l’école, assume-t-il. Je me suis toujours intéressé aux gens. J’ai passé beaucoup de temps à aider les anciens quand j’étais ado. Ils m’ont tout appris, et moi je leur ai rendu des services. Grâce à eux, mes parents n’ont jamais eu à me donner d’argent de poche !»

Gagner sa vie, rester indépendant, c’est vital. «A l’époque, il suffisait d’être débrouillard, attentif et volontaire, et on pouvait se faire une place. Ce qui me rend malade aujourd’hui, c’est de voir nos jeunes qui, avec des bac + 5, s’en vont en ville pour faire caissière.» Et puis, pour cet électeur de La France insoumise, il y a la campagne qui se vide, les services publics qui ferment, les trains qui ne s’arrêtent plus «et ce foutu FN qui monte alors qu’ici on n’a pas vu d’étranger depuis la guerre !»

A 44 ans, la guerre, il ne l’a pas vécue. Enfant, il écoutait les récits captivants de papi André, l’aventurier à moto, le maquisard communiste. De sa voix éraillée, couverte d’un voile granuleux, toujours prête à casser sous les coups de gueule, il avoue que cette histoire l’a forgé. «A la maison, ça parlait politique, et j’ai eu très tôt conscience qu’il y a un tas de gens bien qui n’ont pas forcément la personnalité pour se défendre.» Dans la cour de récré déjà, sous l’œil bienveillant de l’institutrice, à laquelle il continue de rendre visite, il prenait fait et cause pour les maigrichons et les persécutés.

Yann Augras a la tête dure, sa femme peut en témoigner. Il n’a pris sa carte à la CGT qu’en 2005. «C’est le temps qu’il m’a fallu pour comprendre que gueuler tout seul, ça ne servait pas à grand-chose.» C’est là qu’il rencontre Labrousse, «[son] cerveau», Brun, alias P’ti Lu, et Ducourtioux, avec lesquels il mène la bataille pour son usine. «Nous quatre, on a les mêmes valeurs. La première, c’est d’être au boulot, les mains dans l’huile avec les gars. On n’est pas le genre à boire des cafés à l’Union départementale toute la journée.» Ainsi depuis le début du conflit n’ont-ils jamais dérogé à leur règle : les salariés d’abord, quel que soit le gratin journalistique qui piétine à l’entrée. Aux portes de l’atelier, c’est souvent lui qui fait l’appel pour les AG. Macho vieille école, c’est l’occasion pour Yann Augras de distribuer des «faudra attendre ma p’tite dame» ou des «salut bouclette» aux femmes journalistes. Quelle que soit la bataille, «être capable d’aller au bout», voilà ce qui définit les gens valables à ses yeux. Pour ça, il faut ce qu’il faut, y compris piéger l’usine avec des bombonnes de gaz et des bidons d’essence. «Quitte à aller en prison ?» s’agace son épouse inquiète. «Même si une centaine d’emplois est sauvée ?» l’adjure-t-elle encore. Jusqu’au-boutiste, il tranche : «Cette usine, elle est à nous, et si nous n’arrivons pas à la sauver, personne ne l’aura.»

Quand il y pense, malgré la fatigue et l’abattement, «nous les petits Creusois qu’on prenait pour des ploucs, on a réussi à se faire entendre de trois ministres, trois candidats à la présidentielle, deux chefs d’Etat et les médias de toute l’Europe». Maintenant qu’il y songe, «ce qu’on a vécu, depuis trente ans, ça mériterait un film». Et dans un murmure préoccupé, «ce qu’il y a, c’est que les meilleurs films se terminent souvent mal».

 

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