Ils veulent TUER le SNCF !

Publié le par FSC

 

Entretien du député François RUFFIN et de l' ingénieur de la SNCF à la retraite Philippe Mühlstein

SOURCE : Fakir et Commun Commune

François RUFFIN:

Ça fait douze ans que Philippe Mühlstein, ingénieur de la SNCF à la retraite, ancien rapporteur du Conseil supérieur du service ferroviaire, militant de Sud-Rail, me sert de conseiller sur les questions de transports.
Je l’ai revu, pour une très brève histoire de la SNCF.

François RUFFIN:

La première fois qu’on s’est rencontrés, c’était à Annecy. J’effectuais un reportage sur les camions, sur les transports inutiles…

Philippe Mühlstein :

Oui, tu revenais de Suisse, et déjà, à l’époque, on se disait qu’en la matière, on pouvait s’inspirer du modèle suisse. Là-bas, l’Etat fait du financement intermodal : il taxe les modes de transports polluant et néfastes, comme le transport routier et poids-lourds, pour financer le mode de transport préféré, le train et le ferroutage.

François RUFFIN :

Et c’est en ce sens que s’orientent les décisions de Macron ?

Philippe Mühlstein :

Pas du tout. Ils veulent tuer la SNCF.
Macron est énarque, et c’est un vieux rêve des énarques, tuer la SNCF. A la sortie de la guerre, déjà, en 1945, quand l’ENA est créée, le rail est déjà perçu par cette élite comme appartenant au passé. Pour eux, c’est le moyen de transport du XIXe siècle. Et mieux vaudrait se tourner pleinement vers l’avenir, la route, en finir avec la SNCF. L’occasion est parfaite : la moitié du réseau est déjà détruite, il suffit d’achever le boulot !
Sauf que pour reconstruire le pays, il faut transporter des matériaux partout en France, et le fret ferroviaire se révèle indispensable à cette tâche. Le réseau sera donc reconstruit et même étendu. La SNCF sera principalement un transporteur de fret, jusqu’aux années 1970, avec un pic du fret en 1974. A ce moment-là, en revanche, la SNCF est en perte de vitesse sur le trafic voyageurs, qui stagne ou qui diminue.

François RUFFIN :

Jusqu’à l’arrivée du TGV…

Philippe Mühlstein :

Oui, voilà. Et c’est cette année-là, d’ailleurs, en 1974, qu’est prise la décision de construire la ligne TGV Paris-Lyon. Elle est à moitié en service en 1981, et entièrement en 1983. Le TGV change les mentalités de l’énarchie : ça démontre que le rail est un mode de transport d’avenir, moderne. C’est le TGV qui sauve la SNCF.

Là où ça coince, en revanche, c’est sur le financement. Certes, les premières lignes de TGV (vers l’ouest, vers Marseille) sont extrêmement rentables, mais ça demande un fort investissement. Et l’Etat n’investit jamais, jamais, dans les lignes TGV. La SNCF doit donc s’endetter pour construire les lignes : c’est de là que vient l’essentiel de sa dette.

C’est doublement injuste.
D’abord, parce que l’Etat paie, et sans compter, pour les infrastructures routières, pour les autoroutes, etc.
Surtout, parce que c’est l’Etat, les politiques, qui décident des créations de lignes. Et tous les élus locaux veulent leur TGV ! Le TGV Est, par exemple, qui dessert Strasbourg, la SNCF savait qu’il ne serait jamais rentable. Tours-Bordeaux ça se fait via un PPP, un partenariat public privé, avec une filiale de Vinci, ça a creusé le déficit de la SNCF. La gare de Lille, comme Pierre Mauroy, le maire, est un copain de Mitterrand, c’est la SNCF qui règle la note. Et en même temps on a l’Eurostar et le tunnel sous la Manche…

François RUFFIN :

Arrivent les grèves de 95.

Philippe Mühlstein :

Oui, et c’est la deuxième fois que Chirac et Juppé doivent affronter les cheminots, la première c’était en 1988. Là, en décembre 1995, c’est un mouvement géant.
Après ça, la droite va prendre sa revanche. Ils vont utiliser une directive européenne de 1991, qui demande l’ouverture à la concurrence, ils vont utiliser ça pour séparer le train et le rail, pour en faire deux sociétés différentes. La directive ne réclamait pas ça, seulement une séparation comptable. Eux vont plus loin. Leur idée, c’est de casser le métier, de casser l’unité. Et ça marche. Je veux dire, ça marche politiquement. Sur le terrain, c’est la confusion la plus totale, les gens ne savent plus pour qui ils travaillent, ça donne lieu à des tas de litiges entre les deux entités. Il faut des centaines de personnes, et pas des petits salaires, des cadres, pour gérer les contentieux, toute une bureaucratie de la concurrence…

François RUFFIN :

Mais en 1997, la “gauche plurielle” revient aux affaires ?

Philippe Mühlstein :

Mais ça ne change rien. Dans l’opposition, ils étaient contre. Mais une fois au pouvoir sous Jospin, ils laissent faire.

Le gros de la dette, 20 milliards d’€, est alors transféré vers RFF, Réseau Ferré de France. Il en reste 7 à charge de la SNCF, qui va décroître d’ailleurs, puisqu’aujourd’hui SNCF Mobilités n’a plus que 4 milliards d’€ sur le dos. C’est tout à fait dans les clous.

A l’inverse, RFF est créée, d’emblée, en situation de quasi-faillite. Et ça ne va faire que s’aggraver, avec plus de 45 milliards aujourd’hui. A cause du TGV, pour une large part, à cause d’une politique de prestige. Tandis qu’on laisse tomber les petites lignes, qu’on n’effectue plus les travaux : sur 28 000 kilomètres de rail, on compte aujourd’hui 5 500 kilomètres de ralentissement ! Presque un quart du réseau ! Jusqu’aux années 2000, c’était très peu.

François RUFFIN :

Tout est de la faute du TGV, alors ?

Philippe Mühlstein :

Non. D’abord, je vous l’ai dit, les premières lignes se sont avérées rentables, et dans une péréquation, comme c’était le service public, elles ont servi à financer d’autres lignes, plus rurales, moins fréquentées.

Surtout, un réseau ferroviaire n’est jamais rentable, il ne l’a jamais été, en France ou ailleurs, il ne le sera jamais. Il faut toujours le financer publiquement. C’est pareil que la route, ou même les canaux, c’est l’Etat qui paie tout ça. Mais on crée une exception pour le rail: à lui de s’auto-financer, et donc de s’auto-endetter. C’est une manière de le condamner.
On marche sur la tête : c’est le moyen de transport le moins nocif pour l’environnement qui est pénalisé…

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