UNIVERSITE : la grève et les blocages s'étendent

Publié le par FSC

 

SOURCE : Libération

Université Paris 1 TOLBIAC

Tout à coup, l’amphithéâtre N s’est levé. Pas comme un seul homme, ce serait assez peu démocratique, mais massivement. Avec un enthousiasme sonore. A la tribune, des étudiants de Tolbiac (l’un des sites de l’université Paris-I) venaient d’annoncer le résultat du vote à main levée : la reconduction du blocus, pour une durée illimitée, l’a emporté. Ce mardi matin, plus de 1 500 étudiants du site de Tolbiac se sont réunis en assemblée générale (AG) pour discuter de leur action contre la loi orientation et réussite des étudiants (ORE), qui organise la sélection à l’université. Le même jour, les étudiants des campus de Clignancourt (Paris-IV) et de Saint-Denis (Paris-VIII), votaient eux aussi le blocage, rejoignant le mouvement de blocus mené par des étudiants de Nantes (campus du Tertre), Nice (campus Valrose), Nancy (fac de lettres), Poitiers (fac de sciences humaines), Toulouse (Jean-Jaurès), Montpellier (Paul-Valéry) ou encore Bordeaux (campus des Victoires).

François, en troisième année d’histoire à Paris-I, estime que la mobilisation «va croissant, on est de plus en plus nombreux. Le blocage illimité, c’est une base pour construire toutes les actions qu’on va mener contre la réforme, s’organiser». «Le mouvement devient de plus en plus politique, juge de son côté Emma, en première année de licence d’histoire. Il y a un mois, on devait expliquer dans les détails [la réforme, ndlr], maintenant, c’est plus simple d’expliquer qu’on est dans un mouvement [de réformes] global qui veut faire que la société ne soit plus capable de se défendre contre les attaques du patronat. La mobilisation éveille les consciences.»

A la sortie de l’AG, qui a réuni cinq fois plus de personnes qu’au début du mouvement il y a quelques semaines, Lucie (1), en deuxième année de licence d’histoire et de sciences politiques, semble ravie. Contrairement à Emma, encartée au Nouveau Parti anticapitaliste (NPA), elle n’a jamais pris part à une manifestation ou milité auparavant : «Tout ça, c’est nouveau pour moi. Mais cette réforme ferme la porte de l’université à beaucoup d’étudiants. Moi, je suis fille d’agriculteurs, je suis très attachée à ce que l’université reste ouverte à tous.» Même si elle aurait préféré que le blocus ne soit voté que pour une durée prédéfinie, reconductible : «Je trouve important de demander aux gens leur avis régulièrement. J’ai aussi peur que comme le blocage est illimité, les étudiants ne viennent plus du tout et que ça soit mauvais pour la mobilisation.» Si le principe du blocage a effectivement été approuvé à une très confortable majorité, son caractère illimité ne l’a été qu’à une courte tête.

«Ségrégation sociale»

Présent à la tribune, Antoine s’est engagé il y a quelques semaines, «grâce à ceux qui tractaient à l’entrée de la fac». «J’étais déjà au courant, mais comme je redouble ma deuxième année d’histoire, je faisais plus attention à mes cours. Là, le blocus permet d’être plus présent», explique-t-il. Ce mouvement contre le plan étudiants, c’est pour lui aussi beaucoup de premières fois : première nuit d’occupation, première participation à l’organisation de l’AG depuis la tribune, première mobilisation militante… «Tout n’est pas mauvais dans le texte, mais le point le plus important, c’est qu’il réduit la mobilité sociale. L’université permet le mélange des cultures», estime-t-il.

Même idée chez Emma : «La loi ORE, la réforme du bac, ça entérine une ségrégation sociale dans les études supérieures. Le nivellement des facs va devenir plus officiel.» Ou chez Kévin, en première année de licence AES (administration économique et sociale), qui suit le mouvement un peu de loin mais a pris tout de même part au vote : il faut préserver «le droit de tout le monde à étudier. C’est sûr, c’est un peu [embêtant] qu’on ne sache pas si les exams vont avoir lieu, mais le plus important c’est que le texte soit retiré».

Pendant l’AG, plusieurs étudiants ont d’ailleurs suggéré des moyens pour ne pas pénaliser les étudiants, comme de demander aux enseignants de mettre 10/20 à tout le monde pour que personne ne perde son semestre. Ce contre quoi le président de l’université, Georges Haddad, s’est insurgé dans le Figaro : «Ce serait contre mes valeurs et ma déontologie de donner le diplôme à tous les étudiants. Le diplôme n’aurait plus aucune valeur, ce qui va dans le sens inverse de la volonté de 95% des étudiants de la Sorbonne.»

«La fac ouverte, c’est participatif»

Autre suggestion : organiser des séances de travail, sur la base des annales, avec des étudiants de master qui serviraient de tuteurs à ceux de licence. Cette proposition illustre bien l’esprit qui anime les plus impliqués des étudiants. Quelques-uns occupent, depuis le 26 mars, les lieux, dans lesquels ils organisent des conférences, des débats (le 2 avril, c’était entre autres : «Pourquoi être révolutionnaire aujourd’hui ?»), des cours alternatifs, par exemple sur l’histoire de la Commune ou le féminisme, animés par des professeurs venus parfois d’autres universités, des projections de films documentaires, comme sur l’environnement ou les prisons… Lundi, des cheminots sont venus rencontrer les étudiants ; mardi soir, l’économiste Frédéric Lordon, proche de Nuit Debout et qui s’était déjà exprimé à la tribune de Tolbiac lors du mouvement de 2016, était attendu.

Les étudiants expérimentent ainsi une université autonome, autogérée, et surtout ouverte, à l’opposé, disent-ils, de l’esprit du texte de la ministre de l’Enseignement supérieur. «J’apprécie qu’on intellectualise ce qu’on fait et que la fac fonctionne en autonomie», commente François. Caroline (1), qui étudie le droit et la philosophie à cheval sur les campus du Tolbiac et René-Cassin, qui lui n’est pas mobilisé, s’enthousiasme : «On n’arrête pas d’apprendre. La fac ouverte, ça veut dire que c’est participatif.» Si elle ne peut pas passer les examens cette fois, pas de problème pour elle, pas plus que pour sa copine Daphnée (1) : «Au pire, pour nous, c’est six mois de perdu. Les conséquences pour les suivants, ce sera toute leur vie.»

«On est avec les cheminots»

Alors qu’une partie des étudiants de Tolbiac se met en route, à l’issue de l’AG, pour rejoindre le cortège des cheminots au départ de la gare de l’Est, Antoine prône la convergence des luttes :

«Elle nous permettra d’avoir un poids plus important. D’autant que le système des cheminots est honorable, je soutiens leur cause.» «La colère est grande dans tellement d’endroits, dans les hôpitaux, chez les profs… abonde Emma. Attaquer les cheminots, c’est attaquer le bastion des luttes sociales. Le gouvernement frappe sur tout le monde en même temps, il y a un lynchage médiatique des cheminots, tout est fait pour diviser. Montrer des mecs à 1 200 euros par mois comme des privilégiés, c’est délirant !» 

Clope roulée au bec, face à la gare de l’Est, François dit être sur la même ligne :

«La loi ORE fait partie d’un ensemble, d’une attaque néolibérale. C’est aussi pour ça qu’on est ici avec les cheminots. Les revendications communes vont dans le sens de la défense du service public. On doit partir du service public pour conquérir des droits pour tous.» 

(1) Le prénom a été changé à la demande de l’intéressé.e.

Kim Hullot-Guiot

 

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