Le 13 mai 1968 : les travailleurs entrent en scène !
Ce dimanche 13 mai 2018 dans ses informations de 13 heures la 2 fait référence au 13 mai 1968 : notamment la grande manifestation à Paris rassemblant des centaines de milliers de participants et voyant la jonction ouvriers /étudiants.
Mais c'est comme le veut le récit dominant répété à l'envie pour présenter l'intervention des travailleurs, des syndicats et de la CGT comme une sorte de ralliement aux luttes étudiantes (Sous-titre de la 2 : LES OUVRIERS REJOIGNENT LES ETUDIANTS)
Ce qui est en partie une narration erronée des événements et en omettant de dire que les organisations et les travailleurs interviennent pour condamner la répression policière dont les étudiants ont été l'objet notamment au quartier latin dans la nuit du 10 au 11 mai, par solidarité donc et ensuite sur leurs propres objectifs revendicatifs et sociaux.
Toujours la sous-estimation ou la déformation du rôle propre des travailleurs, de la classe ouvrière et des ses organisations de lutte.
L'ampleur de la réplique sera telle qu'effectivement à partir de ce moment là la confrontation avec le pouvoir gaulliste prend une tout autre tournure et constitue en enjeu de classe dépassant la seule opposition étudiants /gouvernement.
Et incontestablement sans cette intervention délibérée du mouvement ouvrier et syndical mai 68 aurait sans doute connu un autre cours et constitue dans le flot d'évènements mondiaux similaires la spécificité du mai français.

Georges SEGUY et Aimé HALBEHER au cours du compte-rendu aux travailleurs de l'Ile Seguin
du constat de Grenelle
Constat qui lui aussi fera d'ailleurs l'objet de manipulations répétées.
Pour une appréciation plus globale se reporter à notre article :
"Les travestissements du mai 68"
http://www.frontsyndical-classe.org/2018/03/les-travestissements-du-mai-68.html
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A TITRE D'EXEMPLE voilà comment Laurent JOFFRIN de Libération compte le 14 mai 1968
Le genre de déformation récurrente à propos de mai 68 toujours au détriment de la CGT sur le plan syndical et pour vanter les mérites des grands "révolutionnaires" du type Cohn-Bendit dont on dit qu'ils ont changé en ralliant Macron ce qui est faux : par anti-communisme vicéral ils ont toujours été (y compris en 68) au service des classes dirigeantes!
LIBERATION 13 mai 2018
Par Laurent Joffrin, Directeur de la publication de Libération
De Gaulle s’en va… Après une longue hésitation, malgré la crise, le Général maintient le voyage qu’il avait prévu de longue date en Roumanie. Pompidou l’a assuré que le mouvement était maintenant sur le déclin. Drôle d’assurance… La veille, 13 mai, les «groupuscules» ont réuni plus de 300 000 personnes. De la République à Denfert-Rochereau, un fleuve de manifestants hérissé de drapeaux noirs et rouges s’est écoulé joyeusement, aux cris de «dix ans, ça suffit !», «De Gaulle à l’hospice», «le pouvoir recule, faisons-le tomber». C’est le dixième anniversaire de la Ve République. Toute la gauche est réunie derrière les étudiants, Cohn-Bendit, Geismar et Sauvageot au premier rang, les bras sur les épaules, sous une énorme banderole où l’on peut lire : «Etudiants, enseignants, travailleurs, solidaires !» C’est le jour de gloire des leaders étudiants, qui ont réussi en une semaine de combats de rue, de meetings et de défilés, à remuer la France entière et à rallier la gauche. «Ce qui m’a fait plaisir, dira Cohn-Bendit le soir même, c’était d’être en tête d’un défilé où les crapules staliniennes étaient dans le fourgon de queue.» Le préfet Grimaud a disposé 10 000 policiers le long du cortège. Mais cette fois pas d’émeute, un seul incident quand un car de police a été secoué par les manifestants, et une dispersion lente mais calme assurée par les gros bras de la CGT. Un jeune secrétaire d’Etat a établi une liaison avec l’un des dirigeants du syndicat, Henri Krasucki. Il s’appelle Jacques Chirac.
La jonction entre travailleurs et étudiants a eu lieu. Mais c’est pour une manif pacifique, massive, qui fête la victoire plus qu’elle ne prépare l’insurrection. L’autre événement, c’est la naissance de la commune étudiante. Dès le samedi soir une petite troupe emmenée par Marc Kravetz, Jean-Louis Péninou et quelques militants, a occupé Censier, aussitôt changé en forum permanent. Le lundi matin, c’est au tour de la Sorbonne de tomber. Le même groupe y entre et s’installe dans l’amphi Turgot, nommant aussitôt des commissions, faisant venir un camion sonorisé, un piano, un orchestre de jazz. Sur le mur apparaît le premier slogan : «On ne peut plus dormir tranquille quand on a une fois ouvert les yeux». C’est un fait qu’on dormira peu et qu’on parlera beaucoup. La commune étudiante, symbole de la révolte, laboratoire de rêves et d’espoirs, est à son premier jour.
En conseillant au Général de partir malgré tout, ce mardi 14 mai, le Premier ministre a sans doute une arrière-pensée : rester seul aux manettes, sans l’encombrante présence d’un Président qui demande la fermeté quand le gouvernement joue l’apaisement. Pompidou, le gaulliste plus conservateur que son chef, prépare déjà l’après-De Gaulle. Il veut montrer qu’il résout les crises et tient bon dans la tempête. Il ne sera pas déçu : ce même 14 mai, à Bouguenais près de Nantes, les ouvriers emmenés par un leader anarcho-syndicaliste, Alexandre Hébert, occupent l’usine de Sud-Aviation, séquestrent le patron, Pierre Duvochel, et votent une grève illimitée. Sud-Aviation est présidée par un homme-symbole au lourd passé : Maurice Papon, le préfet de police qui, entre autres exploits, a réprimé violemment les manifestations du FLN à Paris. A Renault-Cléon, René Youinou, délégué CFDT, sent lui aussi que l’atmosphère est propice : il s’apprête à lancer la grève. A Paris, Eugène Descamps, secrétaire général de la CFDT, reçoit maints coups de fil annonçant un mouvement d’ampleur. Le choc du 10 mai touche désormais la classe ouvrière. Malgré la CGT, qui veut à tout prix éviter une jonction salariés-étudiants, un orage peu ordinaire se prépare…