Marie-Hélène, ouvrière, militante syndicale ...

Publié le par FSC

SOURCE : Ballast

https://www.revue-ballast.fr/a-lusine/

Marie-Hélène Bourlard est membre d’une section syndicale depuis ses 16 ans. De ses débuts d’ouvrière textile à sa reconversion comme ambulancière jusqu’à sa retraite en 2017, elle a toujours milité au sein de la CGT et du Parti communiste. Celle que le grand public a découvert dans le documentaire Merci patron ! nous accueille un samedi ensoleillé à Orsinval, petite commune du département du Nord. Ce qui devait être un entretien prend rapidement la forme d’un joyeux déjeuner en famille : le mari, le fils et le frère partagent avec nous un couscous — spécialité familiale — et se joignent à la discussion. Retour sur une vie, une époque et un espoir : que la politique se fasse au porte-à-porte !

 


À l’époque il y avait une bonne ambiance, on se connaissait tous. On se mariait à l’usine, on avait des enfants et même certaines devenaient grands-mères : c’était comme une famille. Même si c’était dur, j’étais contente d’aller à l’usine et de retrouver mes camarades. Il y avait de la solidarité. Parfois des filles manquaient d’argent pour payer leur électricité, elles avaient 100 euros d’électricité à payer et venaient nous voir. Alors là, tout de suite, dans la chaîne on faisait une quête et on payait sa facture à la camarade. Pareil, une camarade qui avait perdu sa maison suite à un incendie, dans le quart d’heure on lui amenait des vêtements et des meubles. Ça se fait plus ça. Parce que le Parti [communiste] a abandonné aussi — les partis devraient faire le tour des gens. Aujourd’hui, les retraités ils peuvent faire du porte-à-porte mais ils le font pas. Le Parti n’est plus si fort qu’avant. On avait beaucoup de militants. Une partie vieillit aussi. On n’arrive pas à accrocher les jeunes.

« J’ai eu un accident de travail : j’ai pris ma main dans une presse. Pour aller plus vite ils avaient enlevé la cellule de sécurité — elle nous protégeait mais ralentissant la production : ils l’ont retirée. »

Mon père était syndiqué CGT à USINOR : il a fait grève en 1968, mais c’était pas un militant. C’est dans l’usine que je suis devenue militante, au contact des camarades. Quand j’ai commencé, on nous faisait passer une période d’essai puis on nous embauchait. Ils m’ont gardé. Une semaine après mon embauche, il y avait grève ! C’était sur les conditions de travail et les salaires. C’est qu’il faisait une sacrée chaleur là-dedans, on se croyait chez les fous. Alors la déléguée de l’époque est venue me voir et m’a sortie : « Toi, tu fais grève comme tout le monde. Et puis tu viens d’être embauchée, tu dois prendre ton timbre syndical, c’est obligatoire. » Je venais d’arriver, je ne savais pas, alors je les ai suivis à la cantine pour commencer la grève et puis j’ai pris ma carte à la CGT — ça s’est fait comme ça. Deux ans plus tard, à mes 18 ans, ils m’ont inscrit sur la liste des élections de délégué syndical et les autres m’ont désignée. En ce temps-là c’était aux syndiqués d’élire les candidats aux élections de délégué, ça permettait un contrôle. Ça ne se fait plus à présent. Mon engagement s’est construit progressivement. Au début, quand on allait en réunion, je ne parlais pas. C’est vrai que c’est intimidant et puis j’avais pas l’habitude. C’est Josiane qui me disait « Allez, il faut que tu parles maintenant ». Donc j’ai commencé à intervenir et puis au bout d’un moment elle m’a proposée d’être déléguée syndicale. Le syndicalisme, ça fait partie de moi. On apprend plein de choses et la défense des salariés c’était un peu mon job.

J’ai toujours vécu ici, à Orsinval. J’ai presque toujours travaillé à Poix-du-nord, chez ECCE1. J’y suis entrée en 1974 à l’âge de 16 ans puis je suis partie en 2009 lors d’un plan de licenciement. Quand j’ai commencé, je sortais à peine de l’école. Chez ECCE, on faisait le costume entièrement. Moi j’étais presseuse, je pressais des vêtements. Dans cette usine, on travaillait pour les grands noms de la mode : Pierre Cardin, Yves Saint-Laurent, Kenzo, Givenchy, Eden Park… Toutes ces marques étaient des griffes de Bernard Arnault et nous étions la sous-traitance. Avec Saint-Laurent, on a fait le mondial de football de 1998 puis aussi le mondial de rugby. C’était une grosse affaire à l’époque, ECCE, on était la dernière entreprise française du luxe prêt-à-porter masculin. Maintenant, tout est à l’Est ou en Asie. En 1980, j’ai eu un accident de travail : j’ai pris ma main dans une presse. Pour aller plus vite ils avaient enlevé la cellule de sécurité — elle nous protégeait mais ralentissant la production : ils l’ont retirée. L’accident a été un accélérateur. (Son frère précise : « Je pense que t’as été plus chieuse après quand t’es revenue de ton accident. Parce que t’as ouvert les yeux, t’as regardé partout. ») Je me suis mise au Comité hygiène sécurité condition de travail, le CHSCT. On n’était pas beaucoup payées et puis les conditions étaient archaïques. Le toit c’était de la taule, il n’y avait pas l’air climatisé. On a dû faire grève pour avoir un ventilateur. Il y avait des femmes d’un certain âge qui avaient des jambes énormes à cause de la chaleur. Et puis c’était hallucinant, les cadences étaient très impressionnantes. Mais ça n’était pas la seule bataille qu’on a menée. Il y avait la question de la polyvalence, on bougeait d’un poste à l’autre mais on gardait à chaque fois le même salaire alors qu’il y a des postes qui sont très difficiles à faire et que le passage d’une tâche à l’autre n’était pas évident. On a obtenu que ça soit reconnu, on a eu des améliorations. La fille qui faisait cinq postes différents était un peu mieux payée. Après mon accident j’ai eu un poste à la machine à coudre ; globalement, on était tous polyvalents.

 

 

ECCE, c’était un gros groupe avec 8 000 salariés au total, en 1980, quand la délocalisation a débuté. En 2003, on a connu un important plan de licenciement, le suivant était en 2006. Puis en 2009 il y a eu toute la bataille durant le dernier « plan de sauvegarde de l’emploi2 » — ils appellent ça comme ça pour parler des licenciements. Un jour, François Ruffin est venu pendant le plan social et il a dit : « Pourquoi vous ne voulez pas avoir Bernard Arnault ? » Bernard Arnault, ça ne nous disait trop rien, on s’attaquait plutôt au patron d’ECCE, de notre usine. Il nous répondait que c’était pourtant lui, Bernard Arnault, le donneur d’ordre. C’est vrai que dans une délocalisation, nous, les ouvriers, on s’attaque aux dirigeants de l’usine mais jamais au donneur d’ordre. Alors il est venu avec une frise — c’est du François, ça — où il avait marqué ce que Bernard Arnault gagnait par jour, et que nous il nous fallait des vies entières pour gagner tout ça ; c’était très bien expliqué. Alors il nous a donné l’idée d’acheter des actions LVMH et de faire une action au carrousel du Louvre. Je leur disais « Vous montez dans le bus et on vous expliquera, on va faire une opération coup de poing » ; « Ah bon, on te suit » qu’elles répondaient. Donc on est allés avec deux bus au Louvre, il y avait des médias, des élus et puis le Parti communiste, le maire d’Aulnoye-Aymeries aussi.

« Il y a la poussée du FN depuis que l’usine a fermé : dans le village, le FN faisait rien avant la fermeture, maintenant il explose. »

 

 

Dans mon usine on était 1 000 salariés puis on est passé à 147 en 2009, pour finir à une soixantaine quelques années plus tard avec une unité à côté de Prouvy. On a eu beaucoup de licenciés et quelques reclassements. Ils m’ont proposé d’être reclassée mais j’ai refusé, je préférais partir avec mes camarades. Je ne voulais pas rester grâce à mon statut de syndicaliste. C’était pas un « bon » plan social parce que ça n’existe pas, mais on a quand même fait des choses. Celle qui faisait une formation elle était toujours à l’effectif et était licenciée après. Donc il y a des gens qui ont fait trois ans de formation en étant payés comme s’ils travaillaient à l’usine. Et ça c’est grâce à la pression qu’on a mise, nous. Les gens pouvaient avoir la formation qu’ils voulaient, on n’était pas toutes obligées de nous reconvertir dans l’aide à la personne : tu pouvais te former comme éducatrice par exemple. L’unité de Prouvy a fermé cette année, aujourd’hui il n’y a plus rien. Il y a la poussée du FN depuis que l’usine a fermé : dans le village, le FN faisait rien avant la fermeture, maintenant il explose. À l’époque on avait quand même des filles qui étaient des Arabes et il n’y avait pas de problème de racisme dans l’usine. C’est vrai que quand on est au contact des salariés, qu’on fait du syndicalisme et de la politique, les gens nous écoutent. Les problèmes viennent quand il n’y a plus personne dans l’usine pour expliquer les raisons du pourquoi, du comment, quand on abandonne l’usine à elle-même.


 

En 2009, je suis donc partie en même temps que beaucoup de mes camarades. J’ai fait une formation et j’ai passé le concours pour être ambulancière. J’avais quitté l’école à 16 ans alors j’avais des lacunes. Je suis retournée trois mois à l’école à faire du calcul, de la grammaire, tout ça. Ça ne m’a pas fait de tort. Quand je suis arrivée je me suis syndiquée au transport avec Michelle, Régis et Jacques. On était cinq syndiqués sur quinze salariés. Lorsqu’il y avait des manifestations, on y allait ensemble. Mais quand tu es ambulancière, c’est pas simple de travailler et de militer. J’y ai travaillé pendant huit ans. On faisait entre 10 et 12 heures par jour, tu ne sais jamais l’heure à laquelle tu vas finir. On ne peut pas dire au malade « Bah, on vous laisse là parce qu’on s’en va manifester ou revendiquer ». (rires) Dans ce métier-là, c’est pas simple. À l’usine, c’était mieux, moins compliqué. On se voyait toutes tout le temps. Tu as ton poste de travail et il y a toujours quelqu’un à côté ou derrière avec qui discuterLe syndicalisme de terrain c’est une question de syndicalisme de proximité. Le syndicalisme doit se faire au poste de travail, c’est un boulot au cas par cas, au corps à corps même ! Si on ne fait pas ça, c’est sûr qu’on n’aura personne au syndicat, personne dans la grève. Et malheureusement ça se fait moins. Je ne sais même pas comment ils font une grève aujourd’hui. (Son mari ajoute : « C’est la réunionite. On réunit les délégués dans telle et telle ville, tu dois prendre ta voiture et aller à l’Union locale, à l’Union départementale, et on se réunit. C’est de la parlote, on n’est plus au contact du terrain auprès des gars. T’es en dehors de l’usine, t’es pas sur le terrain. C’est aussi simple que ça. ») Quand on allait à l’usine et qu’on faisait un tract, par exemple, on décidait entre nous au local et ensuite on le distribuait à chaque poste de travail. C’est vrai que la loi interdit de distribuer dans l’usine mais nous on a toujours distribué dedans. C’est un rapport de force. Alors ils m’ont sanctionnée : j’ai eu des jours de mise à pied mais j’en n’ai rien eu à faire. J’étais quand même au poste de travail et après ils ont dû s’écraser parce que l’inspecteur du travail avait statué que c’était un usage. Donc nous on l’a toujours fait au poste de travail et on allait discuter avec les gens. Ça, ça se fait plus. Maintenant ils vont à la sortie. Forcément à la sortie, les gens, hop, ils se barrent.

 

Par Ptolémé Lyon

Il y a de moins en moins de délégués. Et avec la loi Travail c’est encore pire. Le CHSCT n’existera même plus. Mais il faut aussi que les gens, ils se prennent en main. Il faut un syndicalisme qui soit plus fort parce que là on est à peine à 9 % de syndiqués. Moi je n’ai jamais été permanente, justement pour être tranquille. Le directeur il voulait que je me mette en permanente pour me tenir. Sinon tu n’es plus au contact des salariés, tu es toujours dans ton bureau, tu vas à toutes les réunions. Les salariés après ils te disent « Toi tu travailles pas, tu donnes des leçons et tu travailles pas », alors on n’est pas légitimes. Moi j’ai toujours perdu du salaire avec les salariés les jours de grève. Parce qu’autrement t’es pas crédible. C’est facile de dire « On fait grève » puis ensuite de rattraper tout ça par des heures supplémentaires. Il n’y a pas que l’usine pour militer syndicalement. Nous on allait à Poix-du-Nord, dans le village, on tractait pour la CGT, on informait sur ce qu’il se passait à l’usine. À l’époque il y avait la taxe professionnelle, donc les gens étaient concernés par ce qu’il se passait dans les usines du coin. Une fois on a même fait une exposition de notre savoir-faire à Maubeuge. Il y avait pas mal de gens, ça amenait notre travail et nos talents dans la rue aux yeux de tout le monde.

 

L’année dernière j’ai pris ma retraite, le 1er mai : c’était tout un symbole ! François Ruffin est passé, d’ailleurs, en plein dans les législatives. Et chez les retraités, c’est différent aussi. Là on bataille sur la hausse de la CSG3. À l’investiture de Macron, les retraités n’avaient pas encore vu le retrait sur leur pension. Mais quand ça sera fait les gens vont se bouger. Ils pensent qu’avec une pension de 800 euros ils ne vont pas être concernés, mais si. (Son frère commente : « Moi je dis que les gens sont résignés. ») La journée d’action du 15 mars 2018, il y a tout de même eu du monde ! Alors voilà, il faut réveiller les consciences. Il faut refaire du porte-à-porte : quand j’étais à l’usine et même après, je les lâchais pas. Avec la CGT ou avec le Parti on allait les secouer les gens, chez eux, les samedis et dimanches. Il y a que comme ça qu’on réussira ! 


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