CGT : Quitter la CES ? Bernard Thibault très inquiet !
- en procédant à une appréciation rapide des conditions de l'adhésion de la CGT à la CES dans les années 90
- en justifiant le maintien de cette adhésion par la nécessité de réponses syndicales à l'échelle européenne et internationale face aux multinationales.
- en justifiant les " insuffisances " de la CES
- en insistant sur la nécessité de la lutte contre la tentation d’un " repli national " autant que du « nationalisme politique »
- en assimilant le retrait à un isolement de la CGT et en désignant donc cette décision comme une démarche catastrophique.
- en désignant la CES comme un outil indispensable qui pourrait être davantage mis au service d’une nécessaire transformation institutionnelle et politique de l’Union Européenne
En concluant sur son souhait de la confirmation des engagements internationaux de la CGT.
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Nous insisterons sur un point crucial : les conditions de l'adhésion de la CGT à la CES dans les années 90.
Car, ce sur quoi B. Thibault passe allègrement ce sont les circonstances de l'adhésion de la CGT à la CES dans les années 92-99.
S'il est exact que la CGT demandait son adhésion à la CES dès 1973 il faut aussitôt rajouter qu'à cette époque la CGT entendait ce faisant, demeurer telle qu'elle était : une organisation de classe et de masse.
Cette demande se soldant jusqu'au début des années 90 par un refus des dirigeants de la CES ET des autres dirigeants des syndicats français (FO, CFDT) au nom de l'incompatibilité des "valeurs" de la CGT avec celles de la CES et de ses organisations.
Qu'est-ce qui rend donc possible dans les années 90 ce qui ne l'était pas dans les années 70 ?
Est-ce que c'est la CES qui a changé ou plutôt la CGT ?
Dans les faits ce sont les dirigeants de la CGT qui ont changé et qui en 92-99 acceptent les conditions imposées par la CES pour y adhérer : acceptation du "dialogue social", de la signature des accords avec le patronat, du "syndicalisme rassemblé", des institutions européennes et de l'Union européenne comme horizon indépassable d'un internationalisme rabougri et vidé de son sens de classe, et ... quitter la Fédération Syndicale Mondiale (FSM).
Ce virage fondamental étant souligné par contraste par la position de la CGT jusque là d'opposition radicale au marché commun et de l'UE définis comme un « instrument antinational et antisocial au service des trusts ».
Et par Henri Krasucki en 1991, alors secrétaire général qui dans la continuité des demandes de 1973 mettait en garde en répondant aux partisans de l'abandon de tous principes :
« Ne jamais renoncer à un devoir international mondial, même complexe, dans l'espoir, d'ailleurs illusoire, d'être admis dans une organisation ouest européenne qui boycotte la CGT, non pour son adhésion à la FSM, mais parce qu'elle est la CGT, par anticommunisme, sur des bases politiques et idéologiques. Une question de dignité et d'efficacité »
Oui jusqu'au début des années 90 les dirigeants de la CES et ceux des syndicats français ont boycotté la CGT pour des raisons de classe et par anticommunisme, par soumission à l'impérialisme.
Et dans les années 90-99 c'est l'acceptation de leurs conditions humiliantes par les dirigeants de l'époque, Louis Viannet en tête suivi de Bernard Thibault qui explique l'accord en retour des dirigeants réformistes européens.
Voilà la réalité de l'histoire de l'adhésion de la CGT à la CES.
Voir à ce propos l'ensemble de notre document publié il y a quelques années :
" Que s'est-il passé dans la CGT ily a vingt ans ?"
http://data.over-blog-kiwi.com/0/94/60/80/20141002/ob_d4e84f_cgt-20-reduit.pdf
Et maintenant ?
Les justifications formulées à présent par B. Thibault en faveur du maintien de la CGT dans la CES nous paraissent faibles, alignées sur les idées des classes dominantes et passer allègrement sur le bilan effectif de ces plus de 20 année d'appartenance.
En taisant au passage l'alignement de B. Thibault lui même sur les exigences de l'UE avec l'épisode pourtant significatif de 2005, au moment du vote sur le traité constitutionnel qui l'a vu mis en minorité au Parlement de la CGT alors qu'il refusait un appel net et clair de l'organisation en faveur du NON ! Il fallait pour le moins neutraliser la position de la CGT pour que l'emporte le OUI de la CES, vulgaire appendice syndical des institutions européennes!
Positionnement issu lui d'une véritable rupture stratégique et historique avec les fondamentaux de la CGT et sa profonde et longue histoire.
Car si Bernard Thibault craint à présent une rupture stratégique et historique avec la CES c'est en négation de la véritable rupture stratégique et historique avec les fondamentaux essentiels de la CGT, autrement dit la mutation syndicale qui a précisément eu lieu dans les années 90 au moment de l'adhésion de la CGT à la CES.
A l'inverse, revenir sur ce choix constituerait un retour fondamental stratégique et historique aux références de classe de la CGT de Gaston Monmousseau, de Benoît Frachon et d'Henri Krasucki !
Le retour à la véritable CGT de classe et de masse !
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L'intervention de Bernard Thibault
LA CGT DANS LE SYNDICALISME EUROPEEN
Convoqué en mai à Dijon, Le prochain congrès confédéral de la CGT verra les syndicats se prononcer sur l’activité menée ces dernières années par la confédération, fixer le cap pour l’avenir et élire la direction nationale de l’organisation.
A cette occasion diverses opinions s’exprimeront : c’est le propre d’une organisation démocratique que de permettre l’expression des différents points de vue.
C’est dans ce contexte que quelques militants semblent vouloir obtenir du Congrès une rupture stratégique et historique en prônant une sortie de la CGT de la Confédération Européenne des syndicats à laquelle nous avons adhéré il y a 20 ans après avoir surmonté bien des obstacles pour y parvenir.
Minimisant l’événement, d’autres pourraient considérer que ce n’est pas là un enjeu prioritaire pour les syndiqués, que ce serait une question secondaire, éloignée du quotidien des adhérents confrontés d’abord à la précarité, au chômage et aux conséquences dévastatrices des choix dictés par les néolibéraux en France et en Europe. Il serait donc inutile de faire toute une histoire des engagements internationaux de la CGT.
Bien au contraire, au travers de ce débat nécessaire c’est toute la conception de notre organisation et de sa vision du syndicalisme qui est en question.
Je suis persuadé qu’une grande majorité des syndiqués a bien conscience de la nécessité pour la CGT d’étre présent sur la scène internationale et donc européenne face aux directions d’entreprises et aux gouvernements organisés et coordonnés au-delà des frontières.
Il faut donc accepter la polémique et je souhaite y participer.
Dès sa création en 1973 la CGT a revendiqué toute sa place dans la Confédération Européenne des Syndicats. Georges Séguy, Henri Krasucki puis enfin Louis Viannet ont inlassablement milité pour que le syndicalisme européen soit uni par-delà les parcours historiques et les pratiques syndicales différentes.
Concours de circonstance c’est quelques jours après le congrès de Strasbourg de février 1999 que J’ai eu l’honneur de représenter la CGT pour l’installer au comité exécutif de la CES et consacrer ainsi notre adhésion en mars de la même année.
Une seule organisation s’y opposa lors du vote final : FO qui tenta de se justifier en rappelant les origines de la scission avec la CGT en …1947 sur une base anticommuniste ! Toutes les autres organisations convenaient enfin que la crédibilité et la représentativité de la CES elle-même passaient par la reconnaissance de la CGT comme acteur syndical incontournable et nécessaire aux objectifs que s’assignaient les syndicalistes en Europe.
Notre volonté d’apporter notre contribution à la construction des convergences et des luttes en Europe et au-delà ne découle pas d’un phénomène de mode mais s’enracine dans une conviction affirmée et une tradition historique : la CGT se doit d’étre unitaire et internationaliste.
Toutes les étapes de nos engagements internationaux ont été très largement validées par chacun des congrès de la CGT.
La confédération Européenne des syndicats est aujourd’hui composée de 89 organisations issues de 39 pays disposant de 45 millions de membres. Conformément à ses statuts, elle est constituée de « syndicats libres, indépendants, démocratiques » et s’affirme « unitaire, pluraliste, représentative de l’ensemble du monde du travail, sur le plan européen ». C’est donc une évidence de constater qu’y siège des syndicats dont la démarche peut- étre pour certains proche de celle de la CGT et pour d’autres plus éloignées.
C’est une autre évidence de constater que ce pluralisme syndical peut provoquer des confrontations de points de vue lorsqu’il s’agit de définir les objectifs et les moyens d’action à mettre en œuvre pour assurer la défense des travailleurs en Europe.
Doit-on pour autant déserter le terrain quand la tâche est difficile ?
Pourquoi vouloir faire un cadeau à ceux qui s’efforcent d’isoler la CGT systématiquement et sur tous les plans et plus largement d’affaiblir le mouvement syndical, pour être plus à l’aise dans la conduite de leur politique ?
L’action syndicale au niveau national, dans chaque pays reste indispensable mais ne suffit pas. La coopération syndicale en Europe dans les entreprises et les groupes multinationaux est incontournable pour combattre le néolibéralisme et la mise en concurrence des travailleurs. Des milliers de militants de la CGT dans leur entreprise, leurs fédérations s’efforcent au quotidien de construire l’unité avec des camarades d’autres pays tout simplement parce que c’est une dimension incontournable de l’action syndicale. La Confédération Européenne est le cadre naturel et commun à tous pour ce travail unitaire par-delà les frontières.
L’un des arguments pour tenter de justifier notre désertion repose sur la critique d’une CES « pas assez revendicative et combative ». Je peux entendre cette critique et la partager, elle n’est pas nouvelle et à ma connaissance la CGT ne s’est jamais privé d’exprimer son opinion sur la conduite de l’organisation, de faire des propositions pour susciter davantage de luttes coordonnées pour des conquêtes communes. Il n’y a aucune raison que cela change à l’avenir
Quelques soient les griefs à adresser à sa direction il faut aussi convenir que la Confédération Européenne est d’abord le fruit de ce que veulent en faire chacune des organisations membres.
La plupart des syndicats sont confrontés à l’urgence et à la pression des événements dans leur propre pays. Réformes drastique du droit du travail, des systèmes de protection sociale, mise en concurrence exacerbée des travailleurs. La « troisième guerre mondiale est sociale ».Elle se développe aussi sur le théâtre européen. Il n’est donc pas surprenant que chaque organisation soit « aspirée » par la tentation d’un repli national d’autant que le « nationalisme politique » progresse en de nombreux endroits en Europe comme en France.
Il faut donc agir et intervenir sans relâche pour convaincre que la dimension internationale de l’intervention syndicale n’est pas un supplément d’âme, qu’elle ne saurait se contenter de l’expression ponctuelle de solidarités de principe, face à un capitalisme mondialisé, cohérent sur l’essentiel en dépit de sa diversité.
Pour peser sur les événements il faut étre présent dans le concert européen. Il faut y jouer notre partition CGT, forte et fière de sa réputation et respectueuse de celle des autres. Nous ne devons étre ni censeurs ni donneur de leçons mais plus simplement engagés délibérément, avec toutes les autres bonnes volontés, pour renforcer les capacités du syndicalisme et prétendre ainsi modifier le cours des choses.
Ne sous estimons pas l’impact de l’opinion de la CGT dans la marche du syndicalisme international. L’avis de la CGT ne laisse pas insensible qu’on partage ses analyses ou pas son avis est attendu.
Quel message serait envoyé si nous décidions de renoncer ? Ce serait l’incompréhension la plus totale chez tous nos partenaires syndicaux.
Comment expliquer à tous les autres syndicalistes d’Europe qu’ils font fausse route ? Qu’ils n’ont rien compris « à la lutte des classes » et qu’à ce titre la CGT décide de faire cavalier seul en Europe en quittant la CES ?
Il faut en étre conscient la CGT serait la seule organisation en Europe dans cette situation. Je n’ose y croire.
On peut comprendre que, face aux ravages générés par l’Union Européenne dans sa forme actuelle, le sentiment puisse se développer que la CES joue un rôle insuffisant et insatisfaisant. La CES est un outil indispensable qui peut étre davantage mis au service d’une nécessaire transformation institutionnelle et politique de l’Union Européenne. Sans elle il ne peut y avoir d’Europe sociale.
La CES doit retrouver le chemin de la rue européenne comme elle le fera par une euro manifestation le 26 avril prochain à Bruxelles. L’insistance de la CGT pour construire ce rendez-vous a été essentielle, tout comme pour la préparation de la première manifestation internationale à Genève le 17 juin en défense du droit de grève et des libertés syndicales partout dans le monde.
En siégeant sur les bancs des représentants des travailleurs à l’Organisation Internationale du Travail, depuis juin 2014, je côtoie des militants syndicaux du monde entier. Certains assument leur engagement dans des conditions de précarité et d’insécurité intolérables. Je constate leur intérêt permanent pour l’apport qui est celui de la CGT au plan international.
Je suis convaincu qu’ils attendent du 52e Congrès la confirmation des engagements internationaux de la CGT.
B. Thibault
Montreuil avril 2019