McDonald’s MARSEILLE : plateforme logistique au service de la solidarité

Puisqu’ils n’ont pas pu faire avec, ils feront sans. « On utilisera les locaux pour stocker et redistribuer la nourriture, avec ou sans leur accord », affirme Ralph Blindauer, avocat des anciens salariés du restaurant de Saint-Barthélemy, dans le 14e arrondissement de Marseille, qui se sont battus contre sa fermeture. « D’ailleurs, on pense à déposer une plainte au civil contre la direction de McDonald’s pour non-assistance à personne en danger. »
Malgré le refus de la célèbre enseigne, plusieurs collectifs et associations marseillaises, ainsi que certains des anciens salariés du McDonald’s Saint-Barthélemy, devenu une véritable institution dans le quartier, se servent des locaux pour entreposer la nourriture dans les réfrigérateurs avant de la distribuer dans les quartiers populaires, à ceux que la crise sanitaire a le plus fragilisés.
Trois fois par semaine, les Marseillais les plus pauvres pourront donc recevoir à la maison ou venir chercher des colis d’urgence, directement au McDonald’s, via le drive, ou dans des relais de distribution situés dans plusieurs arrondissements pauvres de Marseille. Beurre, huile, fromage, pommes de terre, jus de fruit : « On ne distribue que des denrées de première nécessité », font valoir les associations. Les militants, équipés des gants et des masques qu’ils récupèrent çà et là, assureront la distribution.
« Tout un pan de la population a été abandonné pendant cette crise, explique Salim Grabsi, responsable du Syndicat des quartiers populaires marseillais (Sqpm). Dans les quartiers populaires, il y a des travailleurs pauvres. Beaucoup faisaient des ménages ou des jobs au black. Là, ce n’est plus possible. S’ils sortent, ils se prennent une amende. À cette perte de revenus s’ajoutent les licenciements et les cantines fermées, celles où de nombreux jeunes mangeaient pour quasiment rien », ajoute le militant de 49 ans. Alors, face à la faim, ils se sont organisés.
« On reçoit régulièrement des appels des gens dans les quartiers populaires qui n’arrivent plus à se nourrir », insiste Salim Grabsi.
« L’attestation n’est valable que pour une heure et, dans le quartier, il n’y a que le Carrefour devant lequel il y a une queue pas possible. Au-delà de la galère financière, c’est parfois difficile pour les habitants des quartiers de se ravitailler », rapporte aussi Kamel Guemari, ancien salarié à la tête de la contestation du McDonald’s Saint-Barthélemy.
« Il y a quelques jours, je passais devant un arrêt de bus. Trois fois le bus ne s’est pas arrêté, parce qu’il y avait déjà le nombre maximum de personnes autorisées dans le véhicule. Alors, les gens restaient sur place et attendaient encore le bus d’après pour aller faire leurs courses », ajoute-t-il, dépité.
Ils sont nombreux à se sentir délaissés et à se tourner vers les associations de quartier. « Ils savent qu’on ne laissera pas tomber les nôtres, alors, plutôt que de reprendre son rôle, l’État se repose sur nous », s’agace Cédric, agent de quai pour une société de transport et membre de l’association Ahsa. Parfois, l’habitué des maraudes hésite. Et si les collectifs et les associations n’étaient pas là ? Cela ne forcerait-il pas l’État à la solidarité, même dans les quartiers nord de Marseille ? Puis, rapidement, la réalité le rattrape.
Comme celle de cette vieille dame, venue la semaine dernière à Marseille depuis Aubagne avec son caddie pour rapporter les denrées les plus élémentaires à sa famille. « Elle attendait là, avec son caddie, ça m’a fait trop de peine », souffle-t-il. Et elle n’est pas la seule. « Place Colbert, il y a encore quelques jours, une vingtaine de migrants dormaient à même le sol en pleine crise sanitaire. Si nous, on n’est pas là pour eux, personne ne les aide », ajoute Cédric.
Depuis deux ans, une lutte acharnée opposait plusieurs salariés syndiqués du McDonald’s Saint-Barthélemy, dans les quartiers nord de Marseille, au numéro 1 du fast-food. Comme nous l’avions déjà écrit, c’est tout le quartier qui avait alors pris la défense des salariés. Ils reprochaient à la chaîne de vouloir rayer de la carte leur restaurant, important pourvoyeur d’emplois au cœur des quartiers nord et épicentre de la contestation sociale chez McDonald’s.
Le 12 décembre, le restaurant fermait définitivement ses portes et « pour la première fois de l’histoire de McDonald’s, ils ont fait une liquidation judiciaire », explique l’avocat des salariés. Mediapart avait suivi ce conflit et il semblerait que, depuis, le climat social soit resté très tendu entre l’enseigne et ses anciens salariés.
« Ils ne veulent plus rien avoir à voir avec les anciens salariés », explique Salim Grabsi, responsable du Syndicat des quartiers populaires marseillais (Sqpm). Pourtant, insiste-t-il, les anciens salariés de l’enseigne sont loin d’être les seuls à l’origine de cette initiative. On compte parmi les initiateurs de nombreuses associations et collectifs, à l’instar, entre autres, d’Emmaüs, Un pas en avant, Quartier nord-Quartier fort ou encore le Collectif du 5 novembre. Les citoyens ne sont pas en reste.
« On reçoit des dons de partout », explique le militant du Sqpm. Il cite, en exemple, ce boucher de Vitrolles qui, depuis le début de la crise, tue chaque semaine cinq agneaux et livre de la viande avec son camion frigorifique aux familles les plus démunies. « Même la préfecture est avec nous », s’exclame-t-il, avant de préciser, « mais comme on n’a pas eu l’autorisation de McDonald’s, ils ne nous soutiennent pas officiellement, on va dire qu’ils ferment les yeux ».
Pour Ralph Blindauer, c’est clair : si McDonald’s a refusé de donner son accord pour l’utilisation de ses locaux, ce n’est qu’en raison du conflit qui l’opposait depuis deux ans aux anciens salariés. « D’ailleurs, l’enseigne m’a fait savoir par [son] avocat que c’est à cause du climat social tendu avec [ses] anciens salariés qu’[elle a] refusé », ajoute-t-il.
De son côté, la direction de McDonald’s France avance une autre raison : « Concernant le restaurant de Saint-Barthélemy, la priorité est de trouver des solutions individuelles favorables à chacun des salariés de la société Sodeba, sous l’égide du médiateur mandaté par le tribunal de commerce de Marseille. C’est déjà le cas pour l’immense majorité, mais malgré les efforts de tous, le confinement retarde l’homologation des procédures. »
« Très sincèrement, et malgré le contexte très tendu entre nous, je pensais qu’ils ne laisseraient pas passer une telle occasion de redorer leur image dans le quartier », s’étonne l’avocat des salariés.
Pourtant, la direction de McDonald’s l’assure, elle aussi sait se montrer solidaire dans cette période difficile : « McDonald’s et ses franchisés ont fait le choix de concentrer leurs efforts de contribution pour soutenir le personnel soignant, que ce soit par du don de matériel ou de la livraison quotidienne de repas à plus de 50 CHU partout en France. » Une initiative que les salariés inquiets des 12 restaurants McDonald’s du franchisé Bernard Simmenauer, ouverts en drive et en livraison à domicile malgré la crise, goûtent peu, comme nous l’avions déjà écrit.
Sur la soixantaine d’équipiers que comptait le restaurant de McDonald’s Saint-Barthélemy, dont une quarantaine étaient en CDI, seul Kamel Guemari n’a pas signé de transaction et n’a pas accepté de chèque. Il reste, à l’heure actuelle, toujours salarié de McDonald’s France. En partant, les autres ont reçu, en tout, plus de 2 millions d’euros. « Ils sont partis avec dignité », assure fièrement Kamel Guemari, avant de préciser : « C’était très dur. Négocier après trois mois sans salaire, avec des loyers impayés, des agios et le ventre vide, ce n’est pas facile. »
« Ce McDo, c’est une histoire de quartier, c’était un restaurant rebelle. C’était un ascenseur social, un lieu pour que les petits fassent leur stage de troisième, un lieu de réinsertion pour ceux qui passaient par la prison. Ici, on regagnait une dignité en travaillant, puis ils ont tout cassé », conclut Kamel Guemari. Aujourd’hui, c’est devenu une plateforme logistique au service de la solidarité. Et ce, que McDonald’s le veuille ou non.