EUGÈNE 91 ans : pas une seule manif de ratée !

Habitant de Bégard (Côtes-d’Armor), Eugène Le Moing, 91 ans, a pris sa première carte à la CGT en 1946. Depuis, ce militant ne rate jamais une manifestation.
Pour Eugène Le Moing, le 16 juin a compté double. En soutien aux soignants, il a manifesté et pris la parole à Bégard (Côtes-d’Armor). Puis, il est allé à Guingamp, pour un rassemblement devant l’hôpital. Un mardi de mobilisation normal pour ce militant CGT de 91 ans.
Chez Eugène Le Moing, l’âge ne semble être qu’une question d’état-civil. Sa verve et son regard rieur sont ceux d’un jeune homme. Ses convictions aussi. « Tant qu’on peut manifester, il faut manifester ; s e rassembler pour vivre dans une société où tout le monde aurait sa part de travail », assène-t-il.
Première manifestation en 1936
À écouter ce Bégarrois énumérer les dates de sa vie, on croirait qu’il ne pouvait échapper à son existence militante. « Je suis né en 1929, quand c’était déjà le binz aux États-Unis », s’amuse-t-il. Le nonagénaire se définit comme « fils de migrants : mes parents bretons sont montés à Paris en 1925, comme les Italiens qui venaient faire le plâtre ».
Ce sont ses parents qui l’emmènent à sa première manifestation, en 1936. Eugène a sept ans. Il bénéficiera des retombées du Front populaire et des congés payés, en famille au bord de la mer ou en colonie.
Viennent ensuite les heures sombres de la guerre. Il passe les années d’occupation à Paris, avec sa mère, tandis que son père est fait prisonnier. En 1945, la famille, à nouveau réunie, migre en Bretagne pendant un an.
Première paye, première cotisation
En 1946, Eugène fait le grand saut dans la vie professionnelle : « J’avais un CAP de chaudronnier taulier, j’ai commencé à gratter. » La première paye est versée à sa mère : « Elle s’est aperçue qu’il en manquait par rapport à la fiche de salaire. J’avais payé ma première cotisation à la CGT. »
Un an plus tard, alors qu’il a intégré le Commissariat à l’énergie atomique (CEA), Eugène participe à sa première grève pour obtenir une convention collective.
369e embauché, annonce la carte professionnelle qu’il renouvelle chaque année : « Joliot (Frédéric Joliot-Curie, directeur du CEA, N.D.L.R.), un sacré monsieur, a eu la bonne idée de se dire que des gens avec un CAP, quel que soit leur métier, savaient se servir de leurs dix doigts et qu’ils apprendraient le reste à la boutique. »
Revendication entendue : ses camarades et lui obtiennent une convention collective unique, « du manœuvre au Prix Nobel ».
Au conseil national de la CGT
De 1968 à sa fin de carrière, en 1989, « le bicentenaire de la Révolution », Eugène est responsable syndical. « Vingt ans, alors qu’en 1968, notre slogan sur de Gaulle, c’était : dix ans, c’est assez ! » , rigole-t-il.
La retraite n’affaiblit pas son militantisme. De retour en Bretagne, celui qui vivait à Saint-Arnoult-en-Yvelines, « à 500 mètres de chez Louis Aragon et Elsa Triolet », devient secrétaire départemental des retraités CGT et intègre le conseil national aux côtés des mineurs et des anciens d’EDF.
« Quand on se retrousse les manches, on peut »
Eugène est sensible aux conditions de travail des soignants, pour en avoir côtoyé de près. « On les a bien applaudis pendant le confinement, mais il faut leur donner autre chose qu’une médaille. Ils ne pourront pas se battre seuls. »
Pour sortir de la crise provoquée « par cette cochonnerie de virus », le nonagénaire a des idées : « Il faudrait échanger, s’entraider, retrouver l’état d’esprit de l’après-guerre. En deux ans, tout avait été mis en place, comme la Sécurité sociale. Cela prouve que quand on se retrousse les manches, on peut. »
Kristell LE GALL. Ouest-France