Raffinerie de Grandpuits : «Si on gagne, c'est tout le monde qui gagne»

Publié le par FSC

SOURCE : Libération

 

Depuis trois semaines, les raffineurs en grève du site Total de Seine-et-Marne contestent la fermeture de leur activité, qui doit être remplacée dès 2024 par une «plateforme zéro pétrole». Une opération de «greenwashing» et de casse sociale, selon la CGT.

«Et les merguez, elles sont véganes ?» Ce mercredi matin, un épais brouillard camoufle la cime métallique des colonnes de distillation de la raffinerie Total de Grandpuits (Seine-et-Marne). Devant l'entrée du personnel au crépi saumon défraîchi, bordée de fil barbelée, rien ne manque au piquet de grève : pneus au sol, vieux bidons, barnum, gobelets en plastique pour le café, barbecue, sauce ketchup et mayo sur une table de fortune, feu de camp, fumée et cendres qui virevoltent au-dessus des têtes. Depuis vingt-trois jours, 70 à 80 raffineurs en grève, selon la CGT, occupent ce carré de bitume, bordé d'un grand sapin, pour dénoncer la mise à l'arrêt des activités de raffinerie du site et sa transformation en une «plateforme zéro pétrole». Une pure opération de «greenwashing» , selon ses détracteurs.

Ce jour-là, les grévistes, dans leurs parkas orange au logo du groupe, brûlent des sapins de Noël en fin de vie. «On fait du recyclage», ricane l'un d'eux. Deuxième vanne en cinq minutes à l'endroit des écolos de Greenpeace et des Amis de la Terre, venus les soutenir à l'occasion de leur assemblée générale. De quoi donner corps à la jonction que Philippe Martinez, le secrétaire général de la CGT, appelle de ses vœux depuis quelques mois et qui a donné lieu à la naissance du collectif «Plus jamais ça» au printemps dernier : celle de l'urgence sociale et environnementale. Un enjeu double que les deux organisations résument dans une note publiée la veille avec Attac, la Confédération paysanne et la centrale de la porte de Montreuil : «Seuls les profits guident Total dans ses choix pour Grandpuits, laissant de côté les travailleurs et la transition écologique.» Un mois plus tôt, dans une tribune publiée dans Libération , les mêmes dénonçaient le «cynisme» du «plus gros émetteur de CO² de France».

«Fausses solutions»

Sur le papier, le projet de Total, présenté mi-septembre, se veut pourtant séduisant : certes, le groupe condamne son activité historique, mais il prévoit un investissement de 500 millions d'euros. Il veut développer quatre nouvelles activités : la production de biocarburants, de bioplastiques, le recyclage de plastiques et l'exploitation de deux centrales solaires photovoltaïques. L'idée, raconte Jean-Marc Durand, le directeur du site, était dans les tuyaux du groupe depuis quelque temps, sans que la piste de Grandpuits soit encore évoquée Quand une fuite a été découverte sur le pipeline du site, en 2019, le groupe a fait le choix de ne pas le remplacer (le coût était estimé à 600 millions d'euros environ) et d'y opérer cette reconversion. «Total a transformé cette difficulté en opportunité», poursuit le directeur. Mais ses détracteurs y voient des «fausses solutions» , productrices de gaz à effet de serre et de dommages collatéraux (comme la déforestation) à l'instar des énergies fossiles.

Même discours de Clémentine Autain, députée LFI de Seine-Saint-Denis, venue saluer avec d'autres (Olivier Besancenot du NPA, Elsa Faucillon, députée PCF des Hauts-de-Seine, Fabien Gay, sénateur PCF de la Seine-Saint-Denis), cette «mobilisation très emblématique». L'élue, ne croit pas à l'histoire racontée par le groupe : «Total a laissé pourrir le pipeline. C'est classique : l'outil de travail se détériore, on ne fait pas les réparations et après on-dit "regardez, c'est obsolète."» Et de pointer «les enjeux de dépendance énergétique» et la remise en cause d'un circuit court au profit de l'importation. Cette «délocalisation des capacités de raffinage là où les normes sociales et environnementales sont moins contraignantes», ne se fera pas sans conséquences sociales, alerte la CGT, syndicat majoritaire sur le site.

Selon le groupe, sur 400 emplois, 250 pourraient être sauvés. 150 seront donc supprimés, mais sans «aucun licenciement et aucune mutation contrainte», assure Jean-Marc Durand, qui évoque des mobilités dans les autres sites du groupe et un plan de départ volontaire pour les personnes proches de la retraite. Un «accompagnement» est prévu pour les autres ainsi que pour toutes les entreprises prestataires qui représentent 300 emplois, promet Total. Le groupe table aussi sur plus de 1 000 emplois créés pendant la phase de travaux. «C'est une grosse boîte, on ne met pas les gens dehors comme ça», commente un non gréviste, prêt à badger pour prendre son poste. Fumant une cigarette à quelques pas de l'AG, son collègue est raccord avec le discours de la direction : «Peut-être que d'autres entreprises viendront sur le foncier libéré. On a de la chance, ils mettent de l'argent sur la table.»

«Près de 7 milliards de dividendes en 2020»

Guerre de chiffres, la CGT évoque une perte d'emplois bien plus lourde, autour de 700, en incluant les postes indirects supprimés chez les prestataires et dans le territoire. «Aujourd'hui, un emploi Total, c'est 7 emplois dans la région», assure un gréviste. Arrivé dans le département en 2016, «pour Total», il ne veut pas entendre parler de mobilité : «Ma femme a tout juste trouvé un boulot vers ici.» «Des gens ont construit leur maison, dit un autre. Si c'est pour trouver du travail à deux heures de chez toi…»

«Mal ficelé», selon Adrien Cornet, délégué syndical CGT, le projet serait aussi sous-calibré en termes d'effectifs. «La direction nous dit qu'elle se base sur ce que Total sait faire ailleurs. Mais ici on est en France, pas en Thaïlande !» explique ce chef d'équipe devenu porte-drapeau du conflit. Il craint une dégradation des conditions de travail. «Avec près de 7 milliards de dividendes en 2020, Total peut mieux faire en nombre d'emplois, mais aussi sur le plan écologique.» Lui espère encore construire «un autre projet. On parle beaucoup d'hydrogène vert», lâche-t-il, sans développer. Mais dans les rangs des grévistes, reconnaît-il, le double combat pour l'emploi et la transition écologique ne tombe pas toujours sous le sens. Et quand le micro passe aux mains des «écolos», ils sont quelques-uns à tourner les talons. «Ce rapprochement, il existe vraiment», assure toutefois un salarié.

«Au nom du Covid, les patrons ferment»

Debout sur deux palettes, Adrien Cornet en est convaincu. Cette AG, dit-il, doit être un «point de bascule», Le représentant CFDT, lui, appelle à privilégier le dialogue social : «On va obtenir des choses.» En face la petite foule de grévistes s'ankylose, avant de voter la reconduction de la grève à mains levées. Autour, quelques travailleurs de Geodis, Monoprix, la RATP, la SNCF, la Poste applaudissent. «Il y a une accumulation. Aujourd'hui, au nom du Covid, les patrons ferment des entreprises. Là ils ont juste trouvé une autre astuce», grince l'un d'eux. On retrouve des têtes connues des derniers conflits sociaux. «Toujours les mêmes», s'amuse un cégétiste, venu de Moselle. Gaël Quirante, de Sud PTT , évoque la «nécessité à regrouper les forces dans toutes les entreprises qui subissent des suppressions de postes et de réfléchir à un plan de bataille commun».

«Ils savent que si on gagne, c'est tout le monde qui gagne», résume Adrien Cornet, de la CGT. L'inverse est peut-être aussi vrai. «En 1995, [contre le plan de réforme des retraites «Juppé», ndlr], on a gagné car on a réussi à bloquer le fret. Mais, depuis, la SNCF a été démantelée, souffle un cheminot de Sud. Pour paralyser le pays, il ne reste plus que l'énergie : EDF et les raffineries.» Début 2020, avant que la crise sanitaire ne balaye la contestation sociale contre une nouvelle réforme des retraites, c'est bien vers les raffineurs que tous les regards étaient rivés.

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Zoom Mercredi, et depuis vingt-trois jours, 70 à 80 employés de la raffinerie de Grandpuits (Seine-et-Marne) sont en grève pour protester contre la fermeture du site.

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Photo Albert Facelly pour Libération

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