Ph. MARTINEZ : La crise est un merveilleux prétexte utilisé pour supprimer des emplois !
ENTRETIEN dans la Marseillaise
entretien exclusif
Philippe Martinez, secrétaire général de la CGT, s’exprime dans un contexte social brûlant qui aura comme point d’orgue les manifestations interprofessionnelles de ce jeudi 4 février. À Marseille, le rendez-vous est donné à 10h30 sur le Vieux-Port et à Toulon, même heure, place de la Liberté.
La Marseillaise :
À quel point êtes-vous inquiet des conséquences sociales de la crise en 2021 ?
Philippe Martinez
2021 risque d’amplifier ce qu’on a vu en 2020. La jeunesse est de plus en plus précaire avec la pauvreté qui augmente. Certains salariés sont payés à 84% depuis le premier confinement, les fins de mois sont difficiles. Il y a déjà eu beaucoup de suppressions d’emplois.
Chez Schneider ou IBM, les salariés connaissent les plans de restructuration, ce n’est pas nouveau. Pour les grands groupes, la crise est un merveilleux prétexte pour continuer à restructurer et supprimer des emplois. Sanofi est une entreprise largement financée par nos cotisations sociales et des aides publiques (CIR, CICE). Pourtant ce sont les actionnaires qui s’engraissent et les salariés qui en payent les conséquences. Leur recherche est en perdition.
On a aussi besoin d’une reconquête industrielle pour qu’industrie et environnement soient compatibles. J’ai eu l’occasion d’intervenir en Paca autour du projet de la centrale de Gardanne porté par les salariés. Voilà ce que le gouvernement devrait faire. Je leur ai écrit le 17 septembre, je reste sans réponse.
Que demandez-vous pour encadrer le télétravail ?
Philippe Martinez
On demande qu’il y ait une règle nationale qui fasse respecter les droits pour les salariés. On propose de reconnaître les maladies professionnelles. L’employeur doit mettre le matériel (chaise, ordinateur...) à disposition. On n’a pas signé ce pseudo-accord national car sur la plupart des mesures on renvoie la responsabilité sur le salarié.
Des sections de prud’hommes ferment. Le droit du travail peut-il être fragilisé par la crise ?
Philippe Martinez
Le gouvernement a beaucoup agi sur ordonnances en nous mettant devant le fait accompli. Les salariés ont du mal à se défendre et les employeurs obtiennent plus de libertés pour faire ce qu’ils veulent. On peut aussi parler des ouvertures de magasins le dimanche, des remises en cause du droit syndical au nom des conditions sanitaires.
Craignez-vous une vente à la découpe du secteur de l’énergie ? Que penser du Ségur de la santé ?
Philippe Martinez
Le gouvernement veut casser la cohérence d’EDF au lieu de la développer. Il veut vendre les activités les plus rentables à la découpe au détriment des usagers. L’énergie nécessite une maîtrise publique. Sur la santé, il ne faudrait pas que le gouvernement fasse semblant de découvrir les problèmes de l’hôpital : manque de personnel, surcharge de travail, des salariés pas payés en fonction de leur qualification... Le Ségur de la santé n’a rien réglé.
Que ferez-vous si les réformes des retraites et de l’assurance chômage reviennent sur la table ?
Philippe Martinez
On n’a pas changé d’avis.
Sur les retraites, comment peut-on justifier de laisser plus longtemps au travail ceux qui ont du boulot alors que des millions n’en ont pas ? Il faut une réforme pour améliorer les pensions et partir plus tôt. Il faut aussi renforcer les droits des chômeurs, pas leur en supprimer. Les jeunes qui arrivent sur le marché du travail n’ont aucune ressource. Chercher du boulot ça coûte cher : il faut un téléphone, un ordinateur, une voiture.
Le modèle social français est très critiqué, heureusement qu’il est là. C’est un atout, pas un handicap, il faut le renforcer. Regardez les États-Unis qu’on nous vante comme un très beau pays : la crise ce sont des morts et des chômeurs qui vont dans les associations caritatives.
Les syndicats ont été critiqués par les Gilets jaunes. Avez-vous fait votre autocritique à la CGT ?
Philippe Martinez
On la faisait avant les Gilets jaunes. On est le syndicat de tous les salariés. Il faut arrêter de le dire et le faire. On a mis en place des numéros verts pour répondre à leurs demandes pendant la crise. Le problème c’est qu’on ne croise pas assez de salariés de TPE/PME. La campagne électorale (élections du 22 mars au 4 avril) nous servira mais on doit voir au-delà.
Interview réalisée par Rémy Cougnenc