Réflexion sur le syndicalisme d'Unité CGT
unitaire et assumé
Quelques éléments d'analyses et de réflexions sur les tactiques et stratégies syndicales et para-syndicales dans les luttes actuelles.
La crise économique d’une ampleur historique a provoqué depuis plus d’un an un nombre incalculable de plan de suppressions d’emplois dans les usines et les entreprises : plus de 700 PSE ont eu lieu en 2020, et combien auront lieu en 2021 ? Même le ministre de l’Economie reconnait que le nombre de licenciements sera largement plus élevé au cours de cette année.
À cela s’ajoutent bien sur des baisses de salaires via les dispositifs permis par Macron comme les APC (accords de performances collectives) qui se font aux travers de leurs « dialogues sociaux ».
Par cette multitude d’attaques locales, entreprise par entreprise, la réaction ouvrière parait différente d’un endroit à un autre. Ainsi, tout un tas de préceptes venant de syndicats fleurissent en fonction du logo et de la ligne de conduite mais aussi en fonction des positions des organisations politiques.
C’est ainsi que l’on voit dans des entreprises des syndicats qui cherchent, par exemple, à négocier sans mobiliser, avec parfois les travailleurs qui les débordent spontanément. Ailleurs certains syndicats mènent la lutte soit pour la négociation des primes soit sur les questions de l’emploi, tandis que d’autres mènent la bataille pour l’outil de travail. Encore, des syndicats cherchent à étendre leurs luttes au-delà des grillages de leurs usines tandis que d’autres confinent leurs actions au comité social avec leur direction.
Pour que la lutte dure puisse durer, il faut une organisation CGT
Si on parcourt les journaux régionaux, ceux-là font état de luttes des salariés contre les plans de suppressions d’emplois et on remarque quasi-systématiquement la présence de syndicats de lutte (c’est très souvent un délégué CGT d’ailleurs qui y prend la parole). Que ce soit chez (citer des exemples) ou ailleurs, là où il y a lutte c’est qu’il y a une organisation.
C’est d’ailleurs logique ! C’est, en effet, l’organisation syndicale qui permet de grouper autour d’elle les éléments combatifs dans l’entreprise et qui est donc prête à l’action. En France ce rôle est bien souvent rempli par la CGT. Avoir une routine dans l’organisation, des militants avertis, des contacts et donc l’expérience de l’extérieur (par la participation des militants dans les Unions Locales, Départementales ou Fédérations) permet d’enclencher la lutte plus rapidement et avec beaucoup plus d’efficacité.
En revanche, dans une entreprise sans syndicat ou avec des syndicats de collaboration, lors de l’annonce d’un plan de suppressions d’emplois, s’il y a de la volonté à se battre sur son rejet chez des salariés, il y a une perte cruciale de temps pour eux afin de s’organiser en dehors des syndicats qui collaborent avec la direction.
Car il faut savoir une chose : dans n’importe quelle lutte, les travailleurs trouvent le chemin naturel de l’organisation quand celle-ci fait défaut, c’est une voie naturelle pour se battre, une nécessité dans le combat, maintes fois démontrée par l’histoire du mouvement ouvrier.
Les organisations syndicales font face, au moins, à deux nécessités majeures
1. Regrouper toutes les forces du lieu de travail
En général, l’organisation syndicale comme elle s’est construite ces dernières décennies se focalise sur une unité de travail à partir des salariés en CDI.
Mais, depuis une vingtaine d’années, l’accélération (organisée par les gouvernements successifs, de gauche comme de droite) de la précarisation de l’emploi, le processus de désindustrialisation et d’éclatement des grands sites de production (par exemple dans l’aéronautique) a conduit à l’explosion du nombre des intérimaires, des sous-traitants, des travailleurs « indépendants » etc…
La plupart du temps, le syndicat est quant à lui resté focalisé sur les salariés dits « organiques » (c’est-à-dire directement employé, notamment en CDI, par l’entreprise) de la société-mère, excluant par-là les travailleurs précaires et les salariés des groupes sous-traitants.
Or, lorsqu’un site de production est soumis à une offensive capitaliste, ce ne sont pas simplement les salariés en CDI qui sont touchés mais c’est bien l’ensemble du bassin d’emplois qui est visé. Le morcellement des statuts, les différences de contrats entre les CDI et les précaires ou avec les sous-traitants, peuvent faire obstacle à un front uni pour la lutte.
Dans la situation actuelle, celle d’une offensive sans précédent de la bourgeoisie française en plein cœur d’une crise historique du capital, l’organisation syndicale doit répondre aux besoins de la lutte. C’est cet objectif, politique, du syndicat qui va dessiner les contours de l’organisation.
Si l’objectif du syndicat est la « négociation » ou le « dialogue social », l’organisation syndicale autour des seuls salariés en CDI sur un site de production suffit, sans avoir à mobiliser au-delà.
Mais, si l’objectif politique de notre syndicalisme, de classe, est de défendre TOUS les travailleurs d’une même entité (sous-traitants, intérimaires, CDI), et de renverser la table pour changer de système, c’est bien TOUTE la classe ouvrière dans toutes ses composantes qui doit en être convaincue.
2. Faire face à l’affaiblissement politique des appareils syndicaux
Il n’y a pas uniquement la question des formes de l’organisation, et d’ailleurs, celle-ci, comme nous l’avons dit, découle des objectifs politiques que l’on se donne.
La confédération CGT, historiquement la plus contestataire, revendicative et radicale, sur des positions historiques de classe et de masse, abandonne congrès après congrès des positions stratégiques sur les fondamentaux de la lutte de classe. Avec entre-autres :
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Abandon de l’objectif de la transformation sociale du pays et du dépassement du système capitaliste et du salariat
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L’adhésion aux centrales internationales réformistes (CSI et CES),
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La mise en avant de revendication incorporée au système capitaliste comme le Nouveau Statut du Travailleur Salarié (article à venir),
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La promotion d’un syndicalisme rassemblé contraire à nos principes revendicatifs afin d’aller chercher l’unité des logos, etc.
Et tout cela, en privilégiant systématiquement les démarches de négociations gouvernementales sans chercher à mobiliser énergiquement notre classe.
C’est d’ailleurs de cette démarche que découlent ces journées « saute-mouton » qui ne visent pas à inscrire la mobilisation dans le cadre d’un changement de société mais bien de donner du rapport de force à leurs journées d’entrevue ministérielle. Pour cela, pas besoin de mobiliser ni dans la durée, ni dans la radicalité…
Contre le désarmement de notre classe
Face au constat que nous venons d'évoquer, que nous partageons à Unité CGT, on voit malheureusement (et logiquement) émerger parmi certains militants, y compris chez certains camarades, une tendance à rejeter en bloc le principe même de l’organisation.
Pour ces derniers, la CGT ou le syndicalisme en général serait ainsi gangréné de manière irrémédiable par la bureaucratie et la collaboration de classe. Conclusion : l’appareil syndical soit ne sert à rien, soit casse les luttes.
Evidemment, une telle analyse simpliste et sans nuance confine à la paresse intellectuelle, comme si la CGT était uniforme et homogène, comme si elle n’était pas traversée par des courants d’ailleurs concurrents voire hostiles les uns aux autres.
Le problème concret qui se pose alors est simple : au nom parfois du concept de « l’auto-organisation », on en vient à nous même désactiver notre propre outil syndical, à nous désarmer. Alors même que ce sont bien les militants CGT qui tiendront à bout de bras le mouvement. Évidemment, nous ne disons pas que seuls les militants CGT luttent.
L’objectif dans un mouvement social est bien justement d’accélérer l’éveil social de nos collègues, en particulier des non-organisés, de les faire s’investir et de s’épanouir grâce et par la lutte. Ajoutons au passage que le mouvement des gilets jaunes a bien démontré l’état de la situation, dépassant dans beaucoup d’endroits les habitudes militantes.
Mais, nous le répétons, prétendre justifier la désactivation de la CGT dans l’entreprise, par exemple face à un PSE ou à un APC, c’est à dire au moment même où son rôle devient vital, au nom du concept « d’auto-organisation » équivaut à suicider, et le syndicat, et la lutte.
D’ailleurs… qu’est-ce qu’une AG des travailleurs en lutte sinon « l’auto-organisation » en action et en vie ? N’est ce pas justement le rôle des syndicalistes CGT de construire la lutte avec tous les travailleurs, sans se cacher et sans se masquer ?
A-t-on déjà vu un syndicat CGT (de classe, cela s’entend) décider seul, sans accord de l’Assemblée générale des travailleurs de l’entreprise, du déclenchement ou de l’arrêt d’une grève ?
Est-il vraiment nécessaire de rappeler ici que les patrons, eux, sont organisés, en tant que classe, avec leur Etat mais aussi leurs « propres » organisations patronales ?
Il est une vérité indéniable : les bagarres menés dans les entreprises par les salariés et organisées par le syndicat renforcent systématiquement celui-ci (expérience, syndicalisation, etc.).
A l’inverse, mettre en sommeil le syndicat lors d’une lutte ne fait pas qu’empêcher le simple renforcement du syndicat, cela prive aussi les travailleurs de leur propre outil de défense et de combat.
Or, cette perte se ressent systématiquement sur le moyen et long terme. Quiconque a déjà mené un conflit le sait : la lutte ne peut être permanente dans une entreprise, et ce qui permet des mobilisations rapides et puissantes c’est justement le fil tendu entre deux luttes qu’incarne l’outil CGT et la structure syndicale.
Notons d’ailleurs que réformistes comme « spontanéistes » se rejoignent sur ce point : les deux courants prônent chacun le même effacement de notre CGT, de l’outil syndical.
Les premiers au nom du syndicalisme rassemblé, les seconds au prétexte de l’autogestion. A ces derniers nous rappellerons au passage que la CFDT des années 70 prônait, elle aussi, l’autogestion pour se démarquer de la CGT et tenter de la déborder « sur sa gauche ». On a vu ce qu’est devenu cette confédération…
La CGT sera ce que nous en feront
Dans tous les cas il est infantile de proposer un schéma figé dans toutes les luttes, chaque lutte nécessite un plan particulier, une analyse concrète de la situation concrète. Un travailleur ou une travailleuse syndiqué, c’est un travailleur organisé, formé, avec des habitudes d’organisation, qualités nécessaires lorsque notre projet est un changement de société, à moins de croire que ce changement sera le résultat d’un « grand soir » spontané ?
Les structures de la CGT sont empreintes du sceau de l’indépendance démocratique de chaque syndicat et de sa libre affiliation à telle fédération, à telle UL, à telle UD. Que cela ne soit pas parfait est un fait. Mais le principe du fédéralisme et du confédéralisme doit être protégé comme la prunelle de nos yeux.
L’Histoire de la CGT, voire du mouvement ouvrier, n’est pas la propriété du seul Bureau confédéral et l’ADN révolutionnaire de la CGT n’est pas quantité négligeable.
Au contraire. C’est bien cet héritage historique, politique et pratique (en termes de principes d’organisation, de réflexes et d’outils de luttes) qui a maintenu et maintient encore notre organisation debout et fondamentalement différente de tous les autres syndicats.
Ce n’est donc pas le syndicalisme par nature qu’il faut condamner mais la position de collaboration qui existe dans la CGT. Et, cela passe avant tout par renforcer notre CGT, de classe, de masse, démocratique, internationaliste, unitaire.