PALESTINE : La grève générale ou l’unité retrouvée des Palestiniens

Publié le par FSC

SOURCE : L'Humanité

 

 

Une rue déserte de Naplouse, en Cisjordanie, où de nombreux commerçants avaient baissé leur rideau. Jaafar Ashtiyeh/AFP

En Cisjordanie, à Gaza, à Jérusalem-Est et dans les villes mixtes d’Israël, les boutiques étaient fermées et le travail a cessé pour exiger l’arrêt des bombardements et protester contre l’occupation et la colonisation. Une unification politique et mémorielle.


L’idée avait d’abord été lancée par le Haut Comité arabe de suivi, une instance visant à regrouper l’ensemble de la représentation sociale et politique des Arabes israéliens, c’est-à-dire les Palestiniens de 1948. Actuellement dirigé par Mohammad Barakeh, ancien député communiste, ce comité entendait ainsi exiger l’arrêt des bombardements israéliens sur la bande de Gaza mais également protester contre les expulsions de familles palestiniennes à Jérusalem-Est, la répression policière sur l’esplanade des Mosquées et les violences des colons et de l’extrême droite dans les villes dites mixtes.
Dans les territoires occupés, les Palestiniens ont longtemps utilisé les grèves générales comme un outil pour exprimer leur rejet des pratiques israéliennes. Une grève générale a eu lieu lors de la première Intifada de 1987-1993, lorsque les Palestiniens ont répondu aux attaques israéliennes en paralysant l’économie et en refusant de traiter avec l’establishment israélien en charge des affaires en Cisjordanie et à Gaza, avant la création de l’Autorité palestinienne.

Une mobilisation historique


Un appel du Haut Comité largement entendu, répercuté sur les réseaux sociaux, est devenu viral dans les territoires occupés. Ce qui a amené les organisations politiques palestiniennes, du Fatah au Hamas en passant par la gauche, à prôner également la grève de tous les citoyens. L’Autorité palestinienne elle-même, pouvant difficilement être en reste, avertissait les fonctionnaires qu’ils pouvaient cesser le travail.


« C’est un véritable succès », se félicite Mohammad, un commerçant de Kfar Qassem, en Israël. Une ville symbole : en octobre 1956, quarante-huit civils, arabes, dont 15 femmes et 11 enfants, avaient été tués par la police des frontières israéliennes, le sinistre Magav.

Cette même unité envoyait en « renfort » ces derniers jours dans ces mêmes villes mixtes, au prétexte de rétablir l’ordre. « C’est la première fois depuis longtemps que nous arrivons à mobiliser ainsi, souligne Sayyid Issa, membre d’un comité d’action en charge de l’organisation de la grève. Il y a bien eu des tentatives dans le passé mais c’était difficile. Là, l’adhésion à la grève est presque totale. »


À Jérusalem-Est, les commerçants ont tiré leurs volets pour protester contre l’occupation et qui n’est pas sans rappeler certaines scènes de la Bataille d’Alger, de Gillo Pontecorvo, relatant la lutte contre la colonisation française dans la Casbah.

Les ruelles de la vieille ville sont étrangement vides et les abords de la porte de Damas incroyablement silencieux. À Hébron, où les colons sont particulièrement agressifs et violents, en plein cœur de la ville, les Palestiniens ont aussi fermé boutique pour brandir haut dans le ciel leur drapeau national. Et à Ramallah, ils étaient des milliers, des jeunes surtout, qui avaient remis – ce qu’on voyait moins ces dernières années – le keffieh noir et blanc que portait en permanence Yasser Arafat, au point d’en devenir un étendard.


Ce qui s’est passé mardi n’est pas anecdotique. Il faut y ajouter Gaza, où les pages Facebook, Instagram, Twitter et autres ont aussi raisonné de cette action commune. Au-delà des bombardements, des grenades assourdissantes, des confessions, de la gouvernance (Hamas à Gaza, Autorité palestinienne en Cisjordanie, force d’occupation à Jérusalem-Est ou gouvernement colonisateur en Israël), les Palestiniens se sont rejoints.

Comme « une “Nakba continue” »


Tel « un retour à l’histoire, à une histoire commune de la Nakba », ainsi que l’écrit Stéphanie Latte Abdallah (1). Comme « une “Nakba continue” qui est ainsi à l’œuvre des deux côtés de la “ligne verte” (tracé de l’armistice de 1949 – NDLR) et unifie un territoire politique et mémoriel fragmenté par l’histoire, la colonisation israélienne et les divisions intrapalestiniennes ». (1) Dans un même élan, les Palestiniens entendent mettre fin à cette phase de l’histoire qui les a dépossédés.


« Il est important de s’élever en tant qu’un seul et d’essayer de transcender la fragmentation forcée imposée aux Palestiniens par Israël », explique Salem Barahmeh, directeur exécutif de l’Institut de Palestine pour la diplomatie publique.

Pour lui, les Palestiniens dans les rues et les médias sociaux secouent « le discours dominant et incontesté d’Israël », l’exposant comme le « régime d’apartheid qu’il est ». Ce qui fait écho au rapport de l’organisation de défense des droits de l’homme Human Rights Watch publié fin avril et que son directeur exécutif, Kenneth Roth, commentait ainsi :

« Depuis des années, des voix éminentes ont averti du risque d’apartheid si la domination d’Israël sur les Palestiniens se poursuivait. Cette étude détaillée révèle que les autorités israéliennes ont déjà franchi ce seuil et commettent aujourd’hui les crimes contre l’humanité d’apartheid et de persécution. »

 

Ce qui se passe secoue également la société israélienne, c’est-à-dire les juifs d’Israël.

« Et maintenant, comme les mouvements féministes et la protestation noire aux États-Unis, le temps est venu pour les femmes et les hommes arabes en Israël de nous forcer à les entendre et à les voir briser le plafond de verre écrasant leurs aspirations – un plafond qui pour nous est vraiment transparent »,

 

écrit la journaliste Noa Landau, dans un éditorial du Haaretz.

Elle poursuit :

« Quiconque essaie d’écouter vraiment entendra, parce que la vérité éclate de toutes les fissures et les brèches dans les rues et nos cœurs. »



Washington n’entend rien


Tout le monde n’entend visiblement pas. Alors qu’au Conseil de sécurité de l’ONU les États-Unis bloquent toute résolution visant à faire cesser les bombardements (plus de 220 morts à Gaza et 12 en Israël), Joe Biden évoque un « cessez-le-feu » tout en laissant Netanyahou permettre à son armée de se déchaîner. Et ce malgré un arrêt de tout tir de roquettes en provenance de la bande de Gaza pendant six heures. Une tentative palestinienne brisée dans l’œuf par la force israélienne.

Dans le même temps, Washington annonçait de nouvelles ventes d’armes à Israël pour un montant de 735 millions de dollars.

Voilà pourtant le secrétaire d’État américain, Antony Blinken, présentant, depuis l’Islande, ses comptes d’apothicaire : « Israël a, je pense, d’après le dernier décompte, lancé environ 2 000 attaques contre des cibles terroristes à Gaza. Il y a eu plus de 3 000 roquettes lancées par le Hamas depuis Gaza vers Israël. » Un déséquilibre évident à ses yeux au détriment d’Israël.

Mais, la main sur le cœur, il prétend :

« Nous voulons voir la possibilité de se concentrer sur l’amélioration des conditions de vie et l’amélioration matérielle de la vie des Palestiniens. Les gens doivent avoir l’espoir d’un avenir meilleur, et nous devons tous y travailler. »

 

Sans parler ni de colonisation ni d’occupation. Malgré les espoirs, la nouvelle administration américaine n’essaie pas d’écouter et donc n’entend pas.
Mardi, en Cisjordanie, à Gaza, à Jérusalem-Est et en Israël, il s’est pourtant passé quelque chose dont l’ampleur et les conséquences pourraient bien surprendre.

L'Humanité du Mercredi 19 Mai 2021
Pierre Barbancey


(1) La Toile carcérale. Une histoire de l’enfermement en Palestine. Stéphanie Latte Abdallah, Bayard, 496 pages, 31,90 euros.

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D
Un authentique crime de masse, crime contre l'humanité, qui ne choque absolument pas nos merdias occidentaux.
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