Overblog
Editer l'article Suivre ce blog Administration + Créer mon blog

Techniciens de laboratoire : ces INVISIBLES qui ne veulent plus l’être

Publié le par FSC

 

 

Natacha Devanda ·

Entre le mouvement des infirmiers anesthésistes et la très médiatique manifestation des policiers, la grève des techniciens de laboratoire, mardi 18 mai, est passée inaperçue. Un coup dur pour cette profession - inconnue du grand public - qui se considère comme la perdante du Ségur de la santé. Rencontre avec Marion, technicienne de laboratoire à l'hôpital de Vichy.

Ras-la-paillasse ! Depuis des années, les techniciens de laboratoires en ont marre et, pour la première fois depuis longtemps, ils le disent ouvertement. Mardi 18 mai, ils étaient en grève. Mais, coincés entre un actif et suivi mouvement des anesthésistes et la très médiatique manifestation des policiers du mercredi 19 mai, la grève des techniciens de laboratoire s’est faite en toute discrétion. « C’était un mouvement national quand même, décliné dans chaque région, explique Marion, technicienne à l’hôpital de Vichy, et pourtant, même sur France 3 Auvergne il n’y a eu aucun compte rendu », déplore la jeune femme qui exerce à l’hôpital depuis plus de dix ans. « C’est une profession inconnue, du coup on n’intéresse pas les médias et, en même temps, si la presse ne s’intéresse jamais à nous, comment pouvons-nous nous faire connaître ? », questionne Marion.

Il est vrai que le métier de technicien de laboratoire est méconnu de la plupart des patients. Pourtant, qui franchit le seuil d’un hôpital a en général besoin de ces laborantins, directement ou indirectement. Que ce soit pour un bilan sanguin, une analyse d’urine, ou tout autre échantillon biologique, les techniciens sont là. Avec le Covid et la systématicité des tests PCR, le volume de travail de ces personnels « médico-techniques non soignants », selon la nomenclature de leur statut, s’est considérablement accru.

« Le Covid est venu bouleverser notre travail, rajoutant des milliers de tests PCR à analyser », explique Marion. Alors, bien sûr, des automates viennent prêter main-forte aux 25 techniciens du service dans lequel travaille Marion. Mais, si « l’automate fait de l’amplification d’ADN pour détecter la présence ou non du virus », c’est ensuite aux professionnels « de contrôler la fiabilité des résultats, de les valider ou de détecter un éventuel problème. C’est l’expérience et l’œil du technicien qui permet d’assurer la sécurité des analyses », précise la jeune femme.

Sur les paillasses carrelées, entourées de tubes d’échantillons sanguins aux étiquettes multicolores et de tests PCR à analyser, ils travaillent en sous-sol et sont les oubliés de tous, même au sein de leurs hôpitaux. Pourtant, la responsabilité des techniciens de laboratoire est immense. À l’hôpital, leur travail se fait 7 jours sur 7 et 24 heures sur 24. D’où des horaires en roulement, tantôt de jour, tantôt de nuit, pour un salaire net autour de 1700 euros. Une rémunération gelée depuis des années, à l’instar de ce qui se passe dans la fonction publique. « Nous avons une formation de bac +2, en IUT, puis il faut encore une bonne année de pratique sur le terrain pour être opérationnel », raconte encore Marion, pour qui son stage à l’hôpital a fait naître sa vocation. « Au départ, j’étais plutôt partie pour faire des études d’éthologie, mais j’ai aimé la polyvalence du travail à l’hôpital. On touche aussi bien à la biochimie qu’à l’hématologie ou la bactériologie ». Avec le sentiment de fierté légitime lorsque ces techniciens détectent des anomalies et peuvent sauver des vies. « J’ai le souvenir d’un échantillon provenant d’un bébé d’un mois qui avait 9 de potassium, ce qui est énorme et très critique. Dans ces cas-là, il y a deux hypothèses, soit c’est une erreur, une contamination entre les tubes étant toujours possible, soit l’enfant est en danger de mort. Dans ce cas, il faut faire remonter très vite auprès des biologistes et des médecins nos analyses. » Seul bémol dans la passion de Marion pour son métier : « Ce côté frustrant qui fait qu’on ne sait pas si nos analyses ont sauvé ou non des gens, ce qui est quand même le but de notre travail. Pour nous, trop souvent, les patients restent des tubes. »

En première ligne face au Covid, les techniciens de labo font donc partie des grands oubliés du Ségur de la santé. Et doublement encore. « Déjà, nous avions eu du mal à être reconnus comme profession exposée au Covid-19 pour la prime de 2020, alors que nous réalisons les prélèvements et les tests PCR », expose dans un courrier le collectif des techniciens de laboratoire de l’hôpital de Vichy. Il reprend des revendications anciennes, comme passer de catégorie B à la catégorie A de la fonction publique, ainsi qu’une augmentation de salaire. « Celle du mois d’octobre ne nous a pas été accordée », déplorent-ils. Ils revendiquent aussi « une reconnaissance salariale à la hauteur de (leurs) responsabilités » – qui sont grandes – et de leur « implication essentielle dans le parcours de soin ».

Lors de la manifestation du 18 mai, de Marseille à Paris en passant par la Bretagne et l’Auvergne, des centaines de laborantins, soutenus par les syndicats CGT et Sud, ont fait part de leur colère. « Pas de labo, pas d’hosto », « Premiers à dépister, derniers revalorisés », « Pas de bras, pas de résultats »… pouvait-on lire sur les pancartes des manifestants. Et aussi celle-ci, explicite mais inquiétante : « Tests Covid, écoutez-nous, sinon nous stoppons tout ». Esbroufe ou menace réelle ? On pose la question à Marion : « Je ne me vois pas tout bloquer au risque de la santé des patients », admet la jeune femme. Mais Marion s’amuse à évoquer « l’initiative intéressante » réalisée par quelques labos dans le cadre de cette mobilisation, à savoir, le blocage du « logiciel Sidep qui permet au gouvernement d’avoir les résultats de tous les labos pour faire les statistiques Covid. Là, c’est problématique mais pas dangereux ». Et cela sonnerait comme un sérieux avertissement pour le gouvernement si tous les labos s’y mettaient. Une manière de maintenir la pression parce que cela fait trop longtemps que ceux qui se désignent parfois comme les petits rats de laboratoires se font berner par les promesses de revalorisation du statut – « la réingénierie » de la profession dans le jargon ministériel – et les hausses de salaires, toujours virtuelles.

« On a interpellé la Préfète et on doit avoir un rendez-vous avec elle le 31 mai pour qu’elle fasse remonter nos revendications au ministre de la Santé. Je sais qu’un mouvement de grève se prépare pour le 15 juin, qui va concerner tout l’hôpital. Bien sûr, on y sera », conclut Marion. Les invisibles des hôpitaux pourraient prochainement faire vraiment parler d’eux. ●

Pour être informé des derniers articles, inscrivez vous :
Commenter cet article