SYNDICALISME RECOMPOSITION
Un article du Monde du 5 juin dernier
Al’exception de la CGT, tous les syndicats ont accueilli avec satisfaction, le 26 mai, la mesure de leur audience au niveau national et interprofessionnel. En 2008, les règles de la représentativité syndicale avaient été profondément modifiées par une réforme mise sur les rails par la CFDT et la CGT, et promulguée par Nicolas Sarkozy.
Ce sont principalement les scores des syndicats aux élections – dans les entreprises du seul secteur privé dotées d’instances représentatives des salariés, dans les très petites entreprises et dans les chambres d’agriculture –, sur une durée de quatre ans, qui font office de juges de paix. Pour être représentatif au niveau national, un syndicat doit obtenir au moins 8 % des suffrages.
Après celles de 2013 et de 2017, la troisième mesure d’audience a confirmé le classement d’il y a quatre ans : la CFDT, avec 26,77 %, a conforté sa première place devant la CGT (22,96 %), FO (15,24 %), la CFE-CGC (11,92 %) et la CFTC (9,50 %). Souvent décrite comme en péril, la centrale chrétienne réussit à demeurer au sein de ce « club des cinq » tandis que l’UNSA (5,99 %) ne franchit toujours pas sa porte.
A première vue, les heureuses élues de la cuvée 2021 sont, par rapport à 2017, en progression ou stables : la CFDT gagne un timide 0,4 point et l’UNSA enregistre un gain de 0,64 point. Cette dernière affirme qu’en ajoutant au privé ses scores dans le public – non pris en compte par la mesure d’audience – il se hisserait avec 7,68 % à la cinquième place. La CFE-CGC fait un bond de 1,25 point tandis que FO (− 0,35) et la CFTC (+ 0,01) sont globalement stables.
La CGT poursuit sa chute qui semble aussi irréversible que le déclin du Parti communiste : en quatre ans, elle recule de 1,89 point et même de 3,81 par rapport à 2013. La centrale de Philippe Martinez, qui campe sur une ligne radicale et boude de plus en plus les négociations nationales – alors que, dans les entreprises, ses syndicats signent de multiples accords –, encaisse le choc et se dit prête à « mesurer le déficit de présence qu’elle doit combler auprès de tous les salariés ». Comme Solidaires (3,68 %), elle met en cause aussi l’hostilité du patronat.
Chaque gagnant y voit tout naturellement une validation de sa stratégie. La CFDT se réjouit du fait que les salariés ont « fait le choix d’un syndicalisme utile qui répond à leurs préoccupations ». La centrale de Laurent Berger note que, « dans une période bousculée par les crises économique et sanitaire, chahutée par des tentations extrémistes », elle est restée « un repère fidèle à ses valeurs de solidarité, d’émancipation et de justice sociale ».
Pour François Hommeril, le président de la CFE-CGC, qui, dès son élection, en 2016, a impulsé un virage en adoptant une ligne plus contestataire et en refusant d’être assigné au club des réformistes, c’est un encouragement à poursuivre dans cette voie. Il a fait la démonstration que ses sympathisants, qui votent en majorité à droite et au centre, ne se sont pas détournés de son syndicat.
L’image de la représentativité syndicale en 2021 est pourtant en trompe-l’œil. Lorsqu’on incrimine leur faiblesse – avec un taux de syndicalisation qui stagne à 11 % –, les syndicats ont raison de rétorquer qu’ils ont plus d’adhérents que les partis politiques. Mais les résultats de 2021 ont les allures d’une douche froide. En nombre de suffrages par rapport à 2017, seules deux organisations affichent de sensibles progressions : la CFE-CGC (+ 38 473 suffrages) et l’UNSA (+ 19 837).
En revanche, toutes les autres voient leur base électorale s’effriter. C’est d’abord le cas de la CGT, qui a perdu 150 878 voix depuis 2017 et 204 030 depuis 2013. Mais c’est aussi le cas de la CFTC (− 82 740 voix), de FO (− 53 241 voix) et de la CFDT (− 39 591).
Record d’abstention
L’heure est d’autant moins à la fête que l’abstention progresse de façon inquiétante. En 2021, le taux de participation n’était que de 38,24 %, en hausse de 4,52 points par rapport à 2017 et de 4,54 points par rapport à 2013. Le nombre de salariés inscrits – 14 118 287 – a progressé fortement par rapport à 2013 (+ 1 362 970), mais le nombre de votants – 5 398 796 – a baissé de 57 731. Alors que les syndicats se flattaient d’avoir une participation électorale au moins comparable ou même supérieure aux scrutins politiques, ce record d’abstention les prive de cet argument : avec 61,76 %, il se rapproche des taux d’abstention aux élections prud’homales (67,3 % en 2002).
Pour la CFDT, ce résultat « n’est pas sans lien avec les ordonnances de 2017 qui ont supprimé les représentants de proximité [au profit du comité social et économique] ». FO met aussi en cause la réforme du code du travail d’Emmanuel Macron qui a « réduit la capacité de représentation collective du personnel ». Elle y ajoute, « en mars 2020, le confinement lié à la pandémie de Covid-19 ».
De telles explications sont recevables mais insuffisantes. Pour 2013 et 2017, il n’y avait ni crise sanitaire ni ordonnances Macron – qui n’était pas encore élu –, et l’abstention était déjà élevée et préoccupante. Les syndicats auraient tort de faire l’économie d’une réflexion sur cette désaffection qui, dans le meilleur des cas, traduit une indifférence des salariés, dans le pire un rejet.
La réforme de 2008 avait le secret dessein de recomposer le syndicalisme, avec des regroupements de syndicats et une réduction de leur nombre. Comme le disait Bernard Thibault, l’ancien secrétaire général de la CGT, en 2015, « il y a trop de syndicats en France ».
Dans l’article 5 de ses statuts, la CGT « se prononce pour l’édification d’une seule organisation syndicale des salariés ». Ex-secrétaire national de l’UNSA, Luc Bérille a aussi rappelé que l’objet de son syndicat est d’« œuvrer à l’unification du mouvement syndical ».
N’est-il pas urgent de s’atteler à cette recomposition du syndicalisme français ?