ADIEU A L’ANGE DE BILLANCOURT

Publié le par FSC

Hommage et souvenirs  de Danielle BLEITRACH

 

 

 

Aimé Halbeher est mort il, était né le 16 mars 1936 à Paris, pour lui comme pour Roger Sylvain récemment, le cœur me serre à l’annonce de cette mort parce qu’elles interviennent sans que justice soit rendue. Nous restons amputés, suspendus à ce temps déraisonnable.

Lui l’ajusteur-outilleur, syndicaliste et homme politique français, ancien secrétaire général adjoint de la CGT aux usines Renault de Billancourt et moi l’universitaire. Un mai 68 différent, mais dans lequel j’avais choisi son camp, celui de la forteresse ouvrière organisant avec son syndicat CGT le refus des résultats de la négociations et déclenchant ce qui fit de mai 68 français un phénomène unique dans le monde, une possible rencontre entre la classe ouvrière et les intellectuels…

Quelle différence avec ce qui se passait en Allemagne au même moment, une classe ouvrière en RFA qui ne voulait plus entendre parler de socialisme, repue, des intellectuels desesperados. En France, pays de la lutte des classes, un possible s’esquissait comme s’esquissait au plan international la grande rencontre de la classe ouvrière et des peuples opprimés…

Ce n’était pas la main tendue aux pauvres, aux malheureux la charité, le refuge dans tous les communautarismes… C’était la rencontre pour changer TOUT. Un possible qui disait déjà les forces productives en train de se transformer, le lien nécessaire au cœur même de la production. C’est ce possible sur lequel le capital et ses sbires se sont acharnés.

Ils ont désindustrialisé la France, transformé les intellectuels en courtisans d’un pouvoir corrompu et atlantiste… Encore aujourd’hui on nous tire vers le destin allemand, une Europe dans laquelle jamais on ne laissera l’espoir revenir… Macron c’est cet horizon-là, je suis sûre que jusqu’au bout tu as réfléchi à la manière dont on pouvait échapper à ce destin depuis Mitterrand utilisant le coup d’État permanent de De Gaulle avait dessiné un tel futur. C’est à ce moment que nous nous sommes rencontrés au Comité central avec une seule question; comment échapper à la tenaille?

Mais en mai 68, nous étions jeunes et décidés à tout défier…

On l’appelait l’ange de Billancourt parce qu’il était beau, une sorte de Gérard Philippe et cet “ange” était une des principales figures de l’occupation de mai 68 dans cette forteresse ouvrière, je suis sûre que vous revoyez le hangar occupé par des milliers d’ouvriers… Ils avaient confiance en des dirigeants comme Aimé…

 

 

 

Nous avons été ensemble membres du Comité central du PCF quand la trahison de Charlety est arrivée au pouvoir avec le programme commun. Aimé était à la section économique, mais il était très opposé aux dérives pro-européennes de Philippe Herzog.

En revanche, il continuait à être curieux de comprendre ce qui se transformait dans le procès de production, les nouveaux modes d’intervention et critères de gestion, il était réellement communiste, il ne voulait pas des miettes, il voulait le pouvoir et d’abord dans l’entreprise pour donner à celui de l’État tout le poids d’une nécessaire transformation.

L’idée d’une intégration des langages humains dans la production après le temps de la vapeur celébré par Marx le passionnait. Comment expliquer ce que fut ce temps de curiosité réciproque avec au centre le monde du travail, c’était le temps où à Révolution l’hebdomadaire des intellectuels dont j’étais rédactrice en chef adjointe, je multipliais les voyages dans les grandes entreprises, je descendais dans la mine du Ladrecht, j’allais à Longwy, à Renault voir les premiers robots.

Pour certains intellectuels le Comité central, selon le mot de Paul Boccara, devenait le meilleur des laboratoires de recherche, celui où nous bénéficions des observations de camarades comme Aimé. Et je puis vous en parler en connaissance de cause puisque j’étais avant de devenir membre du Comité Central à la commission du CNRS chargée de l’inspection des laboratoires de recherche et de la carrière des sociologues, leurs travaux. Nous étions 25 à juger de tout cela… Je pouvais comparer et dire que même la bibliothèque du colonel Fabien était mieux conçue que celle de la maison des sciences de l’homme. Mais l’essentiel était dans la rencontre avec ceux qui organisaient les luttes ouvrières.

Aimé ne parlait pas beaucoup mais nous échangions des clins d’œil d’intelligence, comme avec Henri Martin. Nous étions un certain nombre à nous tourner les uns vers les autres après certaines interventions… Pas un mot mais une lueur de moquerie du titi parisien dans le regard, qui disait à celui qui l’accablait de belles phrases: “remballe tes clous”…

Ces regards devinrent d’inquiétude quand Robert Hue s’installa à la direction du Parti… Le “secrétaire de la mutation” était si léger, si préoccupé de lui-même, le mépris nous gagnait et nous savions qu’il ne laisserait pas un morceau du parti en l’état, on substituait des “réseaux” des lieux de parlote à la force de l’organisation, l’abandon du marxisme au profit d’une illustration des discours du secrétaire avait été entamé par Bottin…

Il fallait agir, nous nous sommes retrouvés à une dizaine dans les réunions des deux sections parisiennes rebelles de l’époque : celle du IIe arrondissement, avec les postiers et sa secrétaire Simone Guillevic, une sacrée bonne femme et celle du XIVe arrondissement avec Maurice Lassalle, un conseiller municipal, la tête pensante, un enseignant. Ils organisèrent notre résistance à la mutation mais moururent avant d’avoir atteint l’âge de la retraite rongés par notre chagrin. Aimé était dans le XIIe et moi j’étais déjà loin de Marseille et proche de mes départs internationalistes.

Ce qui nous animait était le refus de la reddition, de l’alignement sur la social-démocratie, et la colère devant la destruction de l’organisation, la formation de l’adhérent sacrifiée… Mais nous n’avons pas réussi, nous avons ressemblé aux tentatives avortées de résister à la fin de l’URSS, nous avions perdu le contact… Mais nous avons tenté…

Cette dizaine de dirigeants a rédigé un texte, je nous revois dans la section du IIe arrondissement, Maurice Lassalle avait déjà le plan en tête, moi je mettais en forme sous leur dictée… et puis nous avons convoqué une cinquantaine de militants.

C’est là que j’ai rencontré Gastaud pour la première fois, d’autres qui n’eurent pas la même persévérance. Nous avons alors publié le manifeste dont la première phrase indiquait que les signataires “prenaient leur responsabilité”.

Mais déjà il y avait beaucoup de cadres du parti, d’autres membres du Comité central et même du Bureau Politique, qui tout en partageant nos idées ne prirent pas leurs responsabilités. Ils refusèrent en disant “on n’a jamais raison contre le collectif”. D’autres qui aujourd’hui prétendent avoir été là n’y ont jamais été…

Ainsi se refait l’histoire. Le texte rédigé, de partout dans toutes la France il vint des signatures… Le fond du manifeste portait sur la nécessité de développer l’initiative populaire face à la recomposition du capital. Le moins que l’on puisse dire est que la nouvelle participation gouvernementale n’en prit pas le chemin, ses effets furent encore plus désastreux que la première, les ministres plus serviles et les possibilités d’action toujours plus réduites.

Pour faire accepter cela il fallait que ce parti devienne une coquille vide et frappée d’inertie… Exactement ce que nous cherchions désespérément à éviter grâce à des gens comme Aimé qui avaient fait leurs classes dans les luttes. Moi je ne savais qu’écrire et je ne m’en privais pas, jusqu’à la censure définitive. Le titre de ce manifeste se transforma en un sigle Rouge-vif qui connut ultérieurement des fortunes diverses. Sans aucune ressemblance avec ce sursaut initial.

Cette mort d’un dirigeant parmi tant d’autres dont le PCF s’auto-décapita me confronte à la question que je n’ai cessé de me poser…

Pourquoi les Cubains ont-ils trouvé la force et nous non? (1) Il y a tant de choses que je n’ai pas dites et qui me brûlent la mémoire, il faudrait un stylo d’enfer…

Avons- nous si mal combattu ?

Tous ces gens à l’engagement si pur qui n’ont jamais retrouvé le parti qui était le leur et qui était leur outil. Ils ont été dépossédés à la fois par le capital et par ceux qui ont préféré les combattre pour mieux signer une capitulation sans gloire. Chassés de l’usine vendue à la spéculation et chassés de leur parti, dans mes mémoires je n’ai pas osé raconter cette histoire, toujours de peur de désespérer Billancourt qui depuis longtemps était vendu à la spéculation…

Nous avons tenté jusqu’au bout quitte à recevoir le coup de pied de l’âne en réponse… Combien de fois Aimé a-t-il souhaité échanger avec d’autres camarades un état des lieux, c’étaient des coups de téléphone, des rencontres rapides lors de séjours parisiens mais l’organisation se délitait en groupuscules.

Aimé est mort sans avoir retrouvé ce qui faisait sa vie de dirigeant ouvrier, sa place dans un parti révolutionnaire qui n’eut comme résistance que le refus de changer de nom mais que des dirigeants successifs démantelèrent… il y eut une foule de gens comme ça, de vrais dirigeants qui exigeaient des formations, les faisaient passer au crible de l’expérience.

Quelqu’un qui n’aurait jamais trahi son parti, pas un syndicaliste révolutionnaire, pas un anarchiste amer… mais comme le disait Krasucki quelqu’un marchant sur ses deux jambes, le PCF et la CGT.

Il est mort sans que rien lui soit rendu et nombreux parmi nous sont ceux qui mourront de la même manière tandis que ceux qui les ont liquidés sont encore “aux manettes”… Ils voient non sans un sourire ironique célébrer quelques héros liquidateurs à la Guy Hermier pour qui la classe ouvrière n’avait plus le droit d’aller au paradis de la IIIeme internationale.

Aujourd’hui, nous hésitons entre la peur de rater une chance et l’amertume de les voir toujours là pour grever le parti de cette inertie, ces discours qui ne débouchent sur rien, cette formation creuse comme une dent qui ne mord sur rien…

Un fragile espoir est né avec le 38e congrès et il va bien au-delà du PCF c’est le refus de voir notre pays pourrissant sur pied comme les USA, la méfiance qui fut toujours celle d’Aimé à l’égard de l’UE. De ce qui reste d’espoir, nous savons tous que nous n’en retirerons rien pour nous mêmes, pas la moindre justice mais tout ce à quoi nous aspirons c’est que la revanche soit prise sur le capital et que notre pays, sa classe ouvrière, sa jeunesse, connaissent la joie d’un combat aussi désintéressé aussi enthousiasmant que ceux qui unissaient jadis l’ouvrier métallo et l’intellectuelle…

J’aurais bien aimé te dire adieu et te voir sourire une dernière fois avec cet air malin que tu prenais en espérant bien… tu sais ce que moi aussi j’espère… il y a la vie… jusqu’au bout…

Danielle Bleitrach

(1) Delga m’a envoyé un livre de Piero Gleijeses qui raconte la formidable épopée cubaine en Afrique (visions de la liberté). Dans sa préface Remi Herrera dit ces lignes qui expliquent beaucoup de choses sur notre échec, sur la débâcle du PCF et l’effondrement de la gauche face à la résistance cubaine:

ce que nous disons, c’est que la réalité de l’impérialisme relève de l’évidence en Amérique latine: hispanique surtout. Même pour un enfant. Chez nous, bien des intellectuels n’en ont pas entendu parler ou ne veulent pas ou plus en entendre parler :

ni d’impérialisme, ni de guerres, ni d’enfants, ni de rien même à gauche! Et l’on s’étonne dans ces conditions de la montée de l’indifférence, de l’abstention, du Front National? Il est temps pour nous avant que la droite et l’extrême-droite aient fini d’occuper tout l’espace que consent à leur abandonner ce qui reste de la gauche, avant que la France et le nord tout entier pourrissent sur pied à la manière des États-Unis, de tirer des leçons – en s’efforçant de ne pas trop en donner – expériences du sud (y compris peut-être aussi d’Europe du Sud), de leur prise de conscience, de leurs luttes, de leurs avancées révolutionnaires même, comme c’est le cas en Amérique latine et caribéenne à l’heure actuelle.

Renouer avec la tradition internationaliste qui a été la nôtre, ce n’est pas du romantisme, et cela ne doit pas être que des mots ; c’est l’une des conditions nécessaires, dans le contexte extrêmement difficile de ce début du XXIe siècle, pour reconstruire la solidarité que nous devons à ces peuples en lutte et, en même temps, dans le même mouvement, pour rebâtir notre projet émancipateur à nous au Nord. Sans ça, ce sera, encore et toujours, et jusqu’au bout la guerre (p.8)

Rémy toi et moi et quelques autres avons tenu bon face à la censure de la bourgeoisie comme celle de la presse communiste qui nous interdisait en publiant tous les courtisans de Mitterrand… Nous qui avons cru si fort au projet émancipateur de Marx celui sur lequel se fondait l’alliance entre classe ouvrière et intellectuels et qui est aujourd’hui à l’échelle de la planète…

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