Anne HIDALGO, la Jeanne d’Arc de Kaboul sur le blog de Descartes

Publié le par FSC

 

La tribune publiée par Anne Hidalgo – future présidente de la République française, si l’on croit certains – dans « Le Monde » du 16 août dernier et intitulée en toute modestie « Anne Hidalgo appelle à soutenir la résistance en Afghanistan : L’esprit du commandant Massoud ne doit pas disparaître » est passée presque inaperçue. C’est très injuste, car ce texte jette une lumière crue, non pas sur la situation en Afghanistan – dont la dame en question ne connaît pas grande chose – mais sur la mentalité de nos élites germanopratines.

 « Comme souvent avec l’Afghanistan, c’est Bernard-Henri Lévy qui m’a alertée. Il venait de recevoir un message d’Ahmad Massoud, le fils du commandant Massoud. Même regard clair et profond, même douceur dans la voix, même flamme de résistant. (…) Fin mars 2021, Ahmad Massoud est revenu sur les traces de son père. Chez Bernard-Henri Lévy, puis à l’Hôtel de ville nous avons longuement échangé sur l’Afghanistan et la tragédie qu’il pressentait déjà d’un retour rapide des talibans au pouvoir. Nous avons profité de sa venue pour baptiser une allée des Champs-Élysées au nom de son père. Quelques semaines plus tard, un décret présidentiel afghan m’élevait dans l’ordre du Héros national d’Afghanistan Commandant Massoud. J’étais à la fois émue et honorée. Cette rencontre et cette médaille matérialisent le lien profond qui me lie à l’Afghanistan. »

Que Anne Hidalgo – qui se voit déjà en Jeanne d’Arc faisant sacrer le fils Massoud à Kaboul – soit « honorée » qu’un président afghan inféodé aux Américains – au point que l’annonce par eux de leur retrait a suffi à provoquer sa chute (1) – et dont la corruption n’est pas moins réelle pour être légendaire lui accorde une médaille en chocolat de « héros national » c’est son affaire. Quelle donne le nom de Massoud – qui n’est lorsqu’on relit l’histoire qu’un seigneur de la guerre rétrograde et sans scrupules – à une allée de la capitale, c’est déjà un peu la nôtre. Mais bon, comment refuser une allée à quelqu’un qui est reçu chez Bernard-Henri Lévy ?

On connait la citation de Marx devenue un classique – et dont on ne retient à tort qu’une phrase : « Hegel fait quelque part cette remarque que tous les grands événements et personnages historiques se répètent pour ainsi dire deux fois. Il a oublié d’ajouter : la première fois comme tragédie, la seconde fois comme farce. Caussidière pour Danton, Louis Blanc pour Robespierre, la Montagne de 1848 à 1851 pour la Montagne de 1793 à 1795, le neveu pour l’oncle. » (K. Marx, « le 18 brumaire de Louis Bonaparte). Cette formule résume peut-être mieux que tout autre le côté dérisoire de « l’opération Massoud » par laquelle les élites germanopratines essayent de se donner un rôle dans l’Histoire en essayant de rééditer les « coups » qui avaient si bien marché à la fin des années 1970, ce temps béni où l’hystérie anticommuniste permettait à n’importe quel « nouveau philosophe » de passer pour un phare de la pensée et pouvait transformer un « seigneur de la guerre » passablement rétrograde en « combattant de la liberté ». C’était tragique dans les années 1980, c’est grotesque aujourd’hui : l’URSS est morte, et avec elle la « grande peur » qui avait permis aux vessies de se faire passer pour des lanternes. A l’époque, Massoud promu à la dimension d’un nouveau Jean Moulin conduisant vaillamment la résistance de son peuple (musulman) contre le gouvernement (athée) était un objet commode pour donner des airs romantiques à la guerre froide. Aujourd’hui, il n’intéresse plus que BHL et Hidalgo, autant dire, personne.

On ne guérit pas de sa jeunesse. BHL sera jusqu’au jour de sa mort, un « guerrier froid ». Et cette tribune – qu’il a de toute évidence inspirée – le montre avec une particulière acuité. Car que contient-elle ? Non pas un appel à une négociation des différents groupes de la société afghane (ce qui inclut les Taliban : après tout, s’ils ont pu tenir tête vingt ans à la première armée du monde et reconquérir le pays en quelques jours après son retrait, c’est qu’ils doivent représenter politiquement quelque chose) pour reconstruire des institutions, un Etat, une armée, une administration. Mais un appel à la continuation d’une guerre civile qui dure depuis trente ans – en fait, depuis la victoire de Massoud et des autres « seigneurs de la guerre » en 1992.

Il faut rappeler ici combien la guerre froide fut la confrontation entre un camp fondamentalement « constructif » et un autre tout aussi fondamentalement « destructif ». Au-delà des jugements de valeur et de l’opinion que chacun peut avoir sur le projet communiste (2), il est difficile de contester que la doctrine constante du bloc soviétique en matière de politique internationale fut toujours de construire et de consolider dans sa zone d’influence des Etats institutionnalisés, dotés d’institutions fortes et de dirigeants ayant une véritable légitimité politique locale. C’est d’ailleurs pourquoi les soviétiques ont essentiellement soutenu des gouvernements déjà constitués – Nasser en Egypte, Ho Chi Minh au Vietnam, Castro à Cuba, Karmal en Afghanistan – ou des mouvements avec lesquels ils avaient une forte proximité idéologique et seulement à leur demande. Et c’est parce que ces dirigeants avaient une véritable base politique qu’ils pouvaient se permettre de se fâcher avec les soviétiques voire rompre avec eux, comme le fit un Tito. Imagine-t-on Somoza, Van Thieu ou Ghani chassant les américains ? C’eut été impossible, parce que les régimes soutenus par les Américains sont des régimes proconsulaires : le leader local n’existe que par la grâce de la puissance tutélaire. On ne trouve pas d’équivalent dans le camp soviétique : même en Afghanistan, le régime soutenu par les soviétiques tiendra trois ans après leur retrait. A comparer aux derniers évènements…

Dans le camp en face, la doctrine était toute autre. Il ne s’agissait pas de construire, mais d’empêcher l’autre de le faire, et de détruire ce qu’il avait pu malgré tout bâtir (3). La formule thatchérienne « there is no alternative » doit être lue non pas comme une constatation mais comme une menace : s’il n’y a pas d’alternative, ce n’est pas parce qu’elle n’existe pas, mais parce qu’elle n’est pas permise. Et toute tentative de construire une alternative sera impitoyablement détruite. Et peu importe que l’alternative en question n’eût qu’un rapport lointain avec le communisme honni : de la même manière qu’on tient pour vrai dans les armées que « réfléchir, c’est commencer à désobéir », dans le camp capitaliste toute tentative de faire différemment était considéré comme le début du communisme. Mossadegh, Lumumba et Allende en ont fait l’expérience.

Lorsque vous voulez bâtir, vous ne pouvez vous allier qu’avec ceux qui veulent à peu près la même chose que vous. Mais lorsque vous voulez détruire, toute alliance est bonne dès lors que vous partagez le même ennemi. C’est ainsi que du côté bourgeois on se trouva avec d’étranges compagnons de lit. On coucha ainsi avec volupté avec les amis de la théocratie, avec des dictateurs sanguinaires, avec des tortionnaires, avec des corrompus, au nom de la liberté et de la démocratie. Et cela sous les applaudissements des « guerriers froids » comme BHL – mais il n’était pas le seul, loin de là… et je ne donne pas de noms pour ne pas faire de jaloux. Contre le communisme, tout – et je dis bien TOUT – était justifiable. Sur place, on a couvert le régime de terreur d’un Videla, les exécutions massives de communistes ou prétendus tels par Suharto (« je ne crois pas à une politique de la terre brûlée, je crois à une politique de communistes brûlés »), les bombardements de populations civiles au Vietnam. A Paris, nos idéologues faisaient aussi le boulot : Un « dissident » se permettait d’embrasser un dictateur ou de faire des déclarations antisémites ? L’élite germanopratine se faisait un devoir de le défendre sur le mode « vous comprenez, il a beaucoup souffert », comme si la souffrance justifiait l’admiration pour Pinochet ou la recommandation de la lecture des « Protocoles des Sages de Sion ». Le dirigeant d’un pays du bloc soviétique montrait des velléités d’indépendance ? Il était immédiatement rangé dans le camp du Bien. Ainsi Ceaucescu et son régime aura dans les années 1970 d’une excellente presse : normal, il avait montré une certaine froideur dans ses rapports avec le Pacte de Varsovie, et on voyait en lui l’espoir d’un nouveau Tito qui casserait un peu plus la solidarité du bloc socialiste. Du coup, la gymnaste Nadia Comaneci fut applaudie – toujours par opposition aux méchantes gymnastes soviétiques – et ses exploits sportifs salués comme des actes de résistance. Hélas, Ceaucescu rentra rapidement dans les rangs, et le « Nouvel Observateur » rangea ses articles dithyrambiques sur le « génie des Carpathes » qui rejoignit la cohorte des méchants… Le fils d’Henri Alleg commit en ce temps sous le pseudonyme Jean Sarat un ouvrage, « Rideau de fer sur le Boul’Mich » que je ne peux que vous recommander, parce qu’il dépeint avec beaucoup d’humour les ressorts de cette époque.

Certains intellectuels – toujours actifs aujourd’hui, comme quoi la honte ne tue pas – sont allés bien plus loin, avec le soutien enthousiaste de la presse « bourgeoise ». Voici un exemple que je trouve particulièrement intéressant dans le contexte d’aujourd’hui : le 7 janvier 1979, l’armée vietnamienne intervient au Cambodge pour chasser du pouvoir les Khmers Rouges. On aurait pu imaginer que le « monde libre » aurait applaudi des deux mains. Et bien, pas du tout. Pour les « guerriers froids », un régime génocide vaut infiniment mieux qu’un régime ami des soviétiques. Le très sérieux journal « Le Monde » publiera le 17 janvier 1979 une tribune d’Alain Badiou devenue célèbre : « Kampuchéa Vaincra » (pour ceux qui l’auront oublié, « Kampuchéa » était le nom du pays sous les Khmers Rouges). Dans cette tribune – qu’il faut absolument lire pour comprendre ce qu’était l’hystérie anticommuniste de l’époque (4) – on trouve ce paragraphe glorieux :

« Il est tout aussi vital et moralement clair de se lever contre l’actuelle invasion, qu’il l’était de condamner sans détour l’agression américaine de 1970. Les procédés sont les mêmes, aviation et division blindées contre un petit peuple démuni. Les objectifs sont les mêmes : installer dans les villes un pouvoir à la botte de l’étranger. Les résultats seront les mêmes : la guerre populaire de résistance nationale. »

Et Badiou-le-maoïste sera suivi par les régimes « bourgeois » au-delà de ses espérances : Américains et Européens soutiendront résolument la « résistance nationale » des groupes Khmer Rouges qui harcèleront depuis leurs campements dans la jungle le gouvernement cambodgien pendant des années, et feront en sorte que ces « résistants » (5) continuent à occuper le siège du Cambodge aux Nations-Unies. Le Vietnam, quant à lui, sera sanctionné pour avoir violé la souveraineté cambodgienne.

Comment expliquer cet aveuglement ? Et bien, Badiou le dit lui-même : « à l’arrière-plan on trouve cette fois les ambitions impériales de la superpuissance soviétique, dont le Vietnam est client ». Et voilà pourquoi votre fille est muette. Le Vietnam est « client » de la « superpuissance soviétique ». A partir de là, ses interventions sont illégitimes quand bien même elles auraient pour objectif de renverser un régime génocide. Et toute résistance contre cette intervention, fut-ce celle d’un mouvement qui a commis un génocide dont l’étendue a été rarement égalée dans l’histoire, doit être soutenue au nom de la « guerre populaire de résistance nationale ».

Cet exemple est amusant parce qu’on y retrouve exactement la même conclusion que dans la tribune d’Anne Hidalgo. Normal : ce sont les mêmes qui l’écrivent. Des « guerriers froids » qui ont gagné leur guerre mais qui ne sont pas contents du résultat, parce qu’ils n’ont pas très bien compris quel était le but du combat dont ils ont été de si fervents partisans. Le camp du Bien a gagné, mais au prix d’un recul massif de civilisation. Les larmes de crocodile versées sur les femmes afghanes sommées de revenir au moyen-âge sont dans ce contexte particulièrement indécentes : lorsque les « guerriers froids » ont soutenu massivement les « seigneurs de la guerre » réactionnaires et obscurantistes à chasser le régime progressiste de Najibullah, détruisant l’Etat afghan en passant, ils s’attendaient à quoi ? S’imaginaient-ils que le Jamiat-el-Islami – le principal allié du commandant Massoud – allait dévoiler les femmes et leur ouvrir les portes de l’Université ?

Je suis conscient que beaucoup d’hommes et des femmes qui font de la politique aujourd’hui n’étaient pas nés à cette époque. Anne Hidalgo, pour ne mentionner qu’elle, n’avait que 20 ans lorsque les soviétiques entrent en Afghanistan. Mais ils deviennent complices en adoptant de manière acritique le discours d’un Bernard-Henri Lévy qui, lui, a participé au combat. On ne peut pas épouser le discours des “guerriers froids” et ne pas assumer la responsabilité de leurs oeuvres.

Le prix amer de cette victoire, c’est la multiplication des états faibles ou directement « faillis » laissant libre cours à des logiques de prédation des « seigneurs de la guerre ». Le choix occidental de soutenir n’importe qui, n’importe quoi pourvu qu’il soit anticommuniste a abouti à détruire dans beaucoup de pays l’idée même d’Etat moderne, que les élites locales – souvent formées en occident du temps des empires coloniaux – avaient cherché à adapter au contexte local. Il a – et c’est encore plus grave – remis en cause l’idée même que la paix civile est un bien en soi, et que l’ordre, aussi imparfait soit-il, est préférable au chaos. Là où il aurait fallu soutenir les jeunes états, le « monde libre » s’est au contraire appliqué à les affaiblir dès lors qu’ils montraient la moindre indépendance. Et l’expérience américaine en Afghanistan montre qu’une fois que ces structures sont détruites, leur reconstitution n’est plus une question de dollars ou de canons. Deux générations d’Afghans ont été éduqués et formés dans un contexte de guerre civile, sous un Etat failli et corrompu, où l’on ne survit que par les solidarités de tribu et de clan. Et avec des élites intellectuelles totalement « hors sol » après vingt ans de régime proconsulaire, qui ne songent qu’à émigrer. Et dans ce champ de ruines, Hidalgo voit une priorité : maintenir vivant l’esprit de Massoud… c’est dire si elle est digne d’entrer à l’Elysée.

Un officier américain lors de la guerre du Vietnam avait expliqué la destruction d’un village dans les termes suivants : « pour sauver le village, il fallait le détruire ». Cette formule paradoxale résume assez exactement ce que fut la « guerre froide ». Pour « sauver » le village de l’ogre communiste, il fallut le détruire. Et nous n’avons pas fini de payer la facture de la reconstruction.

PS: On annonce ce matin que la vallée du Panjshir, territoire historique de la tribu Massoud, vient de tomber aux mains des Taliban. Ahmed Massoud aurait mieux fait de se chercher d’autres sponsors.

Descartes

(1) Ashraf Ghani, président de l’Afghanistan par œuvre et grâce des ricains, a pris l’avion pour une destination inconnue – accompagné, selon les mauvaises langues, de quelques valises de billets – quelques jours avant la prise de Kaboul par les Taliban. Ce qui prouve que c’était un homme intelligent, et certainement bien plus clairvoyant que la moyenne. Rappelons à titre de comparaison que lors du retrait des soviétiques en février 1989, le président afghan est son gouvernement étaient restés en place, et avaient tenu au pouvoir jusqu’au mois d’avril 1992, trois ans plus tard. Il faut dire que, contrairement à Ghani, Najibullah était un militant politique de longue date dans son pays, qu’il pouvait compter sur une armée qui se battait, sur une administration qui administrait. Un bon sujet de réflexion, non ?

(2) Lorsque je parle ici de « communiste », je

 

 

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R
Exact sauf que jeanne d arc ne se contentait pas paroles et ne faisait pas la guerre par procuration dans son genre elle etait une rebelle contre l ordre etablit de l eglise et elle la payee de sa vie ce qui ne risque pas d arriver a Hidalgo
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W
La tribune d'Hidalgo, on dirait du BHL: même style pompier.<br /> PS: Les notes de bas de page sont incomplètes.
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