Paix et syndicalisme
L'expression de Jean-Pierre PAGE
dans Unité CGT
https://magazine.unitecgt.fr/numero-7/opinion-paix-et-syndicalisme
A l’occasion de la Journée mondiale de la Paix, nous publions cet article rédigé pour UnitéCGT par Jean-Pierre Page, ancien responsable du Département international de la CGT.
Nous avons l’habitude de dire que la responsabilité d’une organisation syndicale est aussi d’expliquer dans quel monde nous vivons.
Le monde est devenu synonyme d’instabilité, de confrontations, de conflits sans fins. Cette situation est attisée, depuis 1991 et la restauration du capitalisme dans les anciens pays socialistes, par la crise systémique d’un système incapable de répondre aux besoins de l’humanité, celui d’un capitalisme prédateur, un néolibéralisme destructeur qui entend s’imposer par la contrainte.
A qui fera-t-on croire par exemple que pour faire la paix et répondre aux besoins humains, il faut augmenter les budgets militaires, celui de l’OTAN et mettre sur pieds l’armée européenne ? Nous avons donc besoin d’identifier clairement les causes des guerres, agir contre celles-ci et non pas uniquement contre leurs conséquences.
Les guerres ne sont pas le résultat du destin ou d’un châtiment divin, nous n’y sommes pas prédestinés. Elles sont toujours le résultat de stratégies de domination, de calculs partisans, souvent de visions géopolitiques que l’on entend imposer par la force au nom d’intérêts égoïstes, d’intérêts de classes. Elles sont le résultat de décisions politiques pas d’une sorte de fatalité. Le paradoxe c’est que pour cette simple raison, elles peuvent être mises en échec si bien sur l’on agit avec la volonté politique nécessaire.
La paix est sans aucun doute le sujet qui permet de rassembler le plus parce que les peuples savent de par leur expérience ce en quoi les guerres sont monstrueuses. Elles détruisent les vies, celles de leurs familles, tout comme les richesses produites par leur travail, leurs cultures et leurs valeurs. Le capitalisme décide des guerres, les peuples les subissent ou résistent. Le mouvement syndical doit faire le choix de résister !
Comme l’illustra la Première guerre mondiale, il y a toujours eu dans le mouvement syndical des approches différentes. La CGT elle-même n’y échappa pas. Il fallut mettre en échec « l’union sacrée » que défendait certains dans le mouvement ouvrier. Il fallut souvent agir à contre-courant, s’opposer aux guerres coloniales défendre le droit des peuples à disposer d’eux-mêmes, respecter leur souveraineté, leur indépendance comme nous l’avions fait en d’autres temps pour nous-mêmes. Le combat pour la paix est inhérent au combat des syndicalistes que nous sommes, mais ils nous imposent la clarté.
Les gouvernements capitalistes, particulièrement celui des Etats-Unis, et les sociétés multinationales imposent des politiques de coercition, de racket et de pillage, sans parler des mal nommés « paradis fiscaux » qui hébergent l’argent des guerres, des marchands d’armes, de la drogue, de la corruption mondialisée.
Les dirigeants occidentaux aiment se prévaloir de valeurs morales universelles – ou supposées telles pour donner des leçons à toute la planète. Ils distribuent les bons et les mauvais points, les châtiments et les récompenses, ils organisent délibérément le chaos comme on vient de le voir en Afghanistan. Contre cela il faut écarter cette vision étriquée d’un monde qui serait binaire, celui d’un monde normal que serait l’Occident et le reste du monde qui ne le serait pas.
Le discours officiel en Occident n’est-il pas d’inverser les responsabilités d’attribuer à son adversaire la responsabilité de ses propres compromissions ? Mais notre problème n’est-il pas, aussi et surtout, qu’une partie du Mouvement syndical adhère à cette vision partisane, alors que c’est contre cette suprématie qui n’est autre que celle de l’impérialisme, que nous devons agir ?
Vouloir tergiverser, partir de bons sentiments, porter des jugements de valeur, n’est-ce pas au fond considérer qu’il pourrait y avoir un capitalisme à visage humain ? C’est au bout du compte faire le choix de l’impuissance.
Comment, syndicalement, déclarer son soutien aux peuples palestinien, syrien, libanais, yéménite, iranien, mais aussi yougoslave et ukrainiens, et se taire quand la CES affirme « qu’elle n’est pas contre les interventions militaires, si elles peuvent permettre le règlement des conflits » et qu’elle s’oppose, tout comme la CSI, à la campagne internationale BDS ?
Comment concilier notre lutte pour les droits inaliénables du peuple palestinien et le maintien de relations syndicales avec la Histadrut, ce syndicat fantoche et corrompu à la solde du régime criminel israélien, affilié à la CSI et dont elle participe aux instances dirigeantes ?
C’est pourquoi, il faut mener la bataille dans les pays ou les décisions se prennent, là où les industries d’armements sont florissantes, là où le complexe militaro industriel exerce son influence. Pour notre part, cela doit être d’abord ici en France, car là sont les causes du problème !
Cette démarche devrait également inspirer notre conduite dans d’autres régions du monde ! Comme en Corée pour encourager le processus en cours, en Amérique Latine contre les sanctions et les menaces d’interventions militaires contre le Venezuela, le Nicaragua, Cuba, ou encore en solidarité avec le peuple, les travailleurs et le mouvement syndical Brésilien.
Mais notre démarche ne peut être uniquement contre ; comment ne pas soutenir de grands projets de coopération mondiale, facteur de paix et de développement, comme l’Alliance bolivarienne pour les Amériques (Alba), la route de la soie dont la Chine a pris l’initiative ou encore les brigades médicales cubaines envoyée à travers le monde, avant et pendant la pandémie de coronavirus ?
Nous avons besoin d’alliances syndicales internationales larges pour s’opposer à toutes les formes d’hégémonies ! Pour donner du sens à un véritable internationalisme, rien ne saurait se faire à sens unique ! Nul ne peut prétendre qu’il règlera seul les problèmes.
Dans ce sens, il n’est pas possible de parler d’unité syndicale mondiale en faveur de la paix, et faire preuve d’ignorance, d’ostracisme, d’arrogance et d’hostilité vis-à-vis d’une organisation syndicale internationale aussi combative que la FSM ou certains de ses affiliés.
Le mouvement syndical, doit lever le drapeau de la lutte pour la paix comme il l’a fait tout au long de son histoire. Reprendre le mot d’ordre d’Henri Barbusse « Guerre à la guerre ».
Il faut réaffirmer la nécessité de sortir de l’OTAN, exiger le démantèlement de celle-ci, le retrait des troupes françaises hors du Mali et la fermeture de toutes nos bases militaires à l’étranger, avoir pour la France comme pour chaque pays, une politique de désarmement et de sécurité collective indépendante, mettre en échec ce projet d’intégration en faveur d’une armée européenne, qui de surcroit relancera le militarisme allemand et français.
Jean-Pierre Page, ancien responsable du département international de la CGT