Comment le SYNDICAT prend ses décisions et pourquoi ? - Par Laurent Brun
D’abord, il est nécessaire de rappeler que le syndicat n’a pas de pouvoir en soi.
Même lorsque le patronat soumet un accord à la signature, la plupart du temps, il a la possibilité d’imposer le contenu de l’accord, sans aucune signature. C’est ce que l’on appelle la « décision unilatérale de l’employeur ». Dans le système capitaliste, l’employeur a presque tous les droits. Et des limitations de cet absolutisme n’ont été arrachés que par une lutte féroce des salariés. Elles sont donc toujours menacées d’être remise en cause.
Le seul « pouvoir » du syndicat, c’est celui des salariés qui le suivent, c’est à dire décider d’arrêter la production (grève) ou de manifester leur désapprobation (pétition, motion, rassemblement, manifestation). L’employeur ne regardera qu’une chose : est-ce que le mécontentement menace les perspectives de profit. S’il y a arrêt de la production assez massif, oui. S’il y a une manifestation assez forte de mécontentement, il y a un risque que l’arrêt de la production soit décidé et qu’il soit aussi massif que la pétition/motion/manif, donc cela peut aussi avoir un impact.
Si le patron propose un accord, il s’agit toujours d’un compromis : je vous donne quelque chose mais j’attends de vous que vous ne menaciez plus les profits. Il ne s’agit pas toujours de mauvais compromis, puisque menacer les profits n’est pas gratuit pour les salariés : pour bloquer la production ils doivent arrêter le travail donc sacrifier leur salaire. Or comme c’est souvent leur seul moyen de subsistance, les salariés ne peuvent pas faire grève en permanence.
La « gréviculture » est une invention de droite qui vise à faire croire que la grève est un plaisir alors que c’est toujours un sacrifice (même si par ailleurs, dans la conduite de la grève on se crée des expériences et des amitiés qui en font souvent un moment joyeux). Dans l’absolu, ce sacrifice est l’arme la plus utile des salariés parce que lorsqu’ils perdent leur salaire, le patron - lui - perd l’intégralité du chiffre d’affaires qui est souvent 2 ou 3 fois plus important. Mais comme les salariés ne peuvent pas être indéfiniment en grève, ils doivent eux aussi mesurer ce que le patron propose, par rapport au sacrifice qu’ils sont encore prêts à faire pour obtenir plus.
Il y a donc un rapport de forces qui s’établi dans toutes les entreprises (qu’elles luttent ou pas, qu’il y ai des syndicats ou pas) : d’un côté le patron qui décide de tout, et de l’autre les salariés qui peuvent décider d’arrêter de produire. Ce rapport de forces est permanent, il ne s’établit pas que lors des périodes de grève. Les grèves permettent de montrer concrètement à l’employeur la capacité de mobilisation des salariés. Mais en dehors des grèves, les représentants des salariés (le syndicat) tentent de résoudre tout un tas de problèmes du quotidien que les salariés leur font remonter ou qu’ils vivent eux-mêmes dans l’exercice de leur métier.
Le patron, lui, va avoir conscience que s’il ne résout pas les problèmes, le mécontentement va s’accumuler jusqu’à provoquer un nouvel épisode de blocage de la production. Il va donc en permanence peser ce que lui coûte la résolution des problèmes par rapport à ce que lui coûterait un nouvel arrêt de la production. Les pétitions/motion/manifs sont utiles parce qu’elles rendent crédibles la possibilité d’un conflit et peuvent donc inciter le patron à résoudre les problèmes.
Tout cela suppose bien sûr que les salariés soient unis. Le patron va donc aussi tenter de diviser les salariés. Il va notamment proposer des accords (dont nous avons déjà vu qu’il n’a pas réellement besoin) au niveau du moins exigent des syndicats. En théorie, celui-ci va accepter et ensuite défendre sa signature en attaquant les autres syndicats. Certains en ont même fait une marque de fabrique en expliquant que par le dialogue ils obtiennent des choses, alors que les autres n’obtiennent rien. Mais c’est faux puisque ce qui est obtenu est toujours le produit du calcul du patron, donc du rapport de forces construit par l’ensemble des salariés.
Aujourd’hui le rapport de forces est tellement en défaveur des salariés que le patronat a obtenu du pouvoir politique des lois qui remettent en cause les acquis passés. Elles ne le font pas directement (ça pourrait réveiller la colère des salariés), mais elles placent les syndicats en situation de « pouvoir accepter » ces reculs.
Par exemple avec un accord de performance collective, le syndicat peut accepter d’augmenter la durée du travail sans hausse de salaire. Et avec une négociation salariale multi annuelle, le syndicat peut valider qu’il n’y ait pas de NAO tous les ans. A force de se répéter que « c’est mieux que rien », on finit par accepter moins que rien ! Dans le même temps, les profits progressent et la part des actionnaires explose.
Donc face à un problème ou face à un accord, le syndicat doit prendre des décisions qui ne sont pas simples : doit-on combattre une situation injuste et quel moyen avons-nous pour le faire ? Doit-on valider un accord, est ce qu’il apporte un acquis ou un recul, avons-nous les moyens d’agir sur ce sujet ? Il n’y a presque jamais de décision facile.
Étant donné que le seul « pouvoir » du syndicat, c’est celui des salariés qui le suivent, le syndicat va décider avec eux. La manière la plus sûre et la plus simple, c’est de se baser sur l’avis de ses syndiqués.
Pourquoi ? Parce que l’adhésion est une déclaration volontaire de conviction. On ne peut pas savoir de quel syndicat est proche un salarié qui n’est adhérent d’aucun syndicat. Donc on ne peut pas l’associer à la prise de décision. Mais on peut considérer que s’il est proche de la CGT, il va discuter avec des adhérents de la CGT, et donc que leur point de vue sera imprégné des points de vue des « sympathisants ». On peut donc considérer que la décision du syndicat est la plus proche possible de ce que pensent ceux qui le soutiennent.
Pour un salarié, la manière la plus simple pour que son avis soit pris en compte, c’est de participer, donc d’adhérer.
Cela suppose néanmoins d’accepter le fonctionnement collectif : sur pratiquement tous les sujets, il y a autant d’avis que de salariés. Si on veut adopter une décision, il faut discuter, entendre les arguments des uns et des autres, les critiquer, et accepter l’idée que son point de vue ne sera pas forcément majoritaire. Au final, ça signifie qu’on doit respecter l’avis majoritaire, parce que si on fait d’un désaccord un motif de rupture, il y aura un syndicat par salarié.
Or nous avons besoin d’être nombreux et unis pour être efficaces face au patron (qui lui n’a besoin de se concerter avec personne). Donc si on est d’accord avec l’essentiel de ce que porte le syndicat, on peut accepter d’avoir quelques divergences avec la majorité. Ensuite, ça ne signifie pas qu’on se fait laver le cerveau : une décision est prise à la majorité, on l’applique pour être efficaces, mais après application on en fait le bilan et on voit si la majorité a eu raison ou si elle s’est trompée, et si c’est le cas on peut réorienter la décision.
A l’échelle locale c’est plutôt simple : on convoque une assemblée générale et ceux qui participent décident en direct à la majorité. En dehors des AG, c’est la direction du syndicat qui prend les décisions. Et tout cela est sanctionné lors du congrès du syndicat ou les adhérents jugent le bilan d’activité et se donnent de nouveaux axes d’activité pour l’avenir.
A l’échelle nationale, c’est plus compliqué. Rien que pour la Fédération des Cheminots, il faut coordonner le positionnement de plus de 300 syndicats locaux, qui réunissent des dizaines de milliers d’adhérents actifs et retraités.
Certaines organisations syndicales ont fait le choix d’avoir des syndicats plus gros (régionaux voire nationaux). Mais ce n’est pas le choix de la CGT qui souhaite être la plus proche possible du terrain. Nous pourrions avoir encore plus de syndicats locaux, si nous avions plus de syndiqués. La syndicalisation est donc un enjeu d’efficacité de notre démocratie pour nous.
Comme on ne peut pas faire une AG a l’échelle nationale, on se dotent de règles de décisions, d’instance de représentation, et d’orientations. Ce « maillage décisionnel » doit être le plus fin possible, mais il dépend des moyens dont disposent le syndicat.
Pour les cheminots CGT, 24 « secteurs » regroupent les syndicats locaux sur le périmètre géographique des anciennes régions SNCF. Ils sont en lien permanents avec les directions des syndicats locaux et avec la Fédération.
A l’échelle nationale, la Fédération dispose de 3 organes de décision :
- le Bureau Fédéral qui se réuni chaque semaine et regroupe les 17 dirigeants de la maison fédérale et de ses pôles (orga, finance, revendicatif, international, éco, etc…). Chacun de ces membres coopère avec un ou deux secteurs ce qui signifie qu’il y des contacts chaque semaine entre eux pour faire remonter les infos locales ou les demandes et faire redescendre les infos nationales. A chaque réunion du BF, le premier sujet est celui des coopérations auquel nous consacrons 1h/1h30 pour faire le point sur ce qui remonte.
- la Commission Exécutive Fédérale, qui se réuni environ chaque mois et regroupe une centaine de membres : les 17 membres du BF, les 24 secrétaires généraux de secteurs, et des représentants des syndicats locaux.
- le Conseil National, qui se réuni 2 fois par an et qui regroupe environ 200 représentants : la CEF, des représentants supplémentaires des syndicats et les DSC des EF privées et filiales.
Les syndicats locaux et les secteurs régionaux sont donc très inclus dans les processus de décision CGT. C’est ce qui permet à la CGT de développer une très forte cohésion interne. Nous ne sommes pas tous d’accord sur tout, mais nous le sommes suffisamment pour constituer un bloc solide face au patronat.
En plus de ces instances, il y a aussi un effort permanent pour qu’il y ait le plus de liens possibles entre les dirigeants de la Fédération et les syndicats locaux. C’est pourquoi nous avons régulièrement des campagnes de « déploiement » pour participer aux réunions ou aux tournées des syndicats. Et il y a tout un tas d’autres dispositifs (collectifs techniques par métier, collectifs jeunes, structures par collège comme l’UFCM et l’UFR, etc…) qui permettent d’être à l’écoute des attentes des cheminots.
Tout cela ne garantit pas qu’on ne se trompe pas. Mais c’est une démonstration des efforts permanents pour être le plus en phase possible avec les attentes des cheminots.
Dans la période, l’enjeu pour les salariés est de bannir les réflexes individualistes et que l’on construise tous ensemble une CGT plus forte, plus combative, et victorieuse pour améliorer nos vies.
Laurent Brun
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