Migennes, une ville en lutte
SOURCE : L'Humanité
L’équipementier automobile Benteler a annoncé la fermeture de son usine, dans l’Yonne. Soutenus massivement par la population, les 400 salariés se mobilisent.
Migennes (Yonne), envoyé spécial.
Écœurés, dégoûtés… Les salariés de Benteler qui ont manifesté mardi 23 novembre dans les rues de Migennes (Yonne) peinaient à trouver des mots assez forts pour dire leur colère après l’annonce de la fermeture de cette usine qui emploie 400 personnes à la fabrication de châssis et d’autres éléments de structure pour l’industrie automobile.« Franchement, on se sent trahis. Nous avons appris ça jeudi (le 18 novembre), à midi. Tout s’est arrêté. Nous avons bouclé l’usine. Depuis, plus rien ne sort »,explique Abdel Nassour, le délégué syndical de Force ouvrière, syndicat majoritaire.
Si les salariés se sentent trahis, c’est d’abord parce que la direction leur a annoncé, le 21 juin, la décision du groupe de vendre l’usine, leur faisant ainsi miroiter une poursuite de l’activité.« À l’époque, on nous a dit que plusieurs repreneurs étaient sur les rangs. Mais tout ça, c’était du vent pour qu’on reste tranquilles. Maintenant, ils veulent fermer en à peine quelques mois, d’ici l’été 2022 »,accuse-t-il. Son homologue de la CGT, Henrique De Matos, dénonce aussi« le cynisme »de la direction :« Elle nous a même incités à travailler plus pour soi-disant donner une bonne image au futur repreneur. » Les syndicalistes sont maintenant convaincus que Benteler, la multinationale propriétaire du site, qui emploie 26 000 personnes et réalise 6,5 milliards d’euros de chiffre d’affaires dans le monde, a toujours projeté de délocaliser la production en Espagne.
« C’est la principale entreprise privée du territoire »
Les représentants du personnel ne sont pas les seuls à être amers.« Cette entreprise, c’est une grande famille. Nous nous connaissons tous. Nous y sommes attachés, nous avons toujours tout fait pour qu’elle vive. Nous n’avons jamais compté nos heures »,témoigne Patrick, 59 ans, salarié de l’usine depuis 1983. Et de fait, les salariés ont concédé d’importants sacrifices. En 2016, un accord de compétitivité a été conclu qui a allongé pendant trois années consécutives le temps de travail hebdomadaire de quinze minutes, sans augmentations de salaire. Le nombre de jours de RTT a également été revu à la baisse.« On a en perdu treize en trois ans, soit l’équivalent d’une année entière »,précise Henrique.
Même s’ils la redoutent, les salariés refusent d’envisager la fermeture de l’usine, convaincus que s’ils perdent cet emploi, ils en retrouveront difficilement un autre. France, 54 ans, qui travaille à l’usine depuis quatre ans, raconte :« Je suis venue travailler ici car j’ai dû renoncer à mon métier de peintre dans le bâtiment à cause d’un problème de santé. Il a fallu que je me forme, et maintenant, il faudrait faire autre chose ? Mais on ne me proposera plus rien ! »Si les salariés sont« déterminés à se battre »,c’est aussi parce que la fermeture de l’usine mettrait à mal le projet d’une vie.« Nous nous sommes endettés pour acheter une maison. Nous avons aussi les études des enfants à payer »,témoigne une ouvrière qui souhaite rester anonyme. La situation est particulièrement périlleuse pour la soixantaine de couples qui, comme Patrick et Pascale, travaillent à l’usine.« À 50 et 55 ans, ça va être très difficile, nous avons encore les études du dernier à payer. Et encore, nous avons de la chance d’avoir fini de rembourser la maison »,explique Pascale.
Rideaux métalliques baissés, affichettes proclamant leur solidarité avec les salariés, les commerçants de Migennes ont affirmé, à leur façon, leur opposition à la fermeture. Nombreux sont ceux qui attendent le cortège devant leur boutique ou leur café. Certains le rejoignent. Dans cette ville de 7 500 habitants,« cette fermeture est une catastrophe. C’est la principale entreprise privée du territoire, la deuxième en nombre de salariés après la SNCF »,résume François Meyroune, conseiller municipal d’opposition et secrétaire de la section du PCF. Ceints de leur écharpe tricolore, les élus locaux sont nombreux dans la manifestation. Le maire LR de Migennes, François Boucher, le député UDI André Villiers défilent aux côtés de Nicolas Soret, maire PS de la commune voisine de Joigny.
Également vice-président de la région Bourgogne-Franche-Comté, ce dernier assure les salariés que la collectivité se mobilise pour trouver un repreneur. Le candidat à la présidentielle, Arnaud Montebourg, est venu leur apporter son soutien au nom de« la défense du made in France ».Le maire PCF d’étivey, Gilles Sackepey, rappelle que« les constructeurs automobiles touchent des aides de l’État, et Benteler a empoché le Cice ». « Ils doivent rendre des comptes et maintenir l’emploi. Le gouvernement doit intervenir »,plaide-t-il. Une idée largement partagée par les 700 personnes qui ont défilé dans les rues de Migennes. Élus locaux et syndicalistes attendent aussi un engagement des clients de Benteler, en particulier de Stellantis :« 60 % de la production sont absorbés par Peugeot. Le constructeur peut et doit intervenir »,insiste Henrique De Matos.