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Grève des travailleurs du centre de tri SYCTOM Paris 15e
Un système de « filiales » et de « gestion déléguée » des services publics :
un outil au service de l’exploitation des travailleurs et de la privatisation des services publics
Par Victoire Bech et Bruno Drweski
La collecte et le tri des déchets, en France, sont laissés à la compétence des collectivités territoriales. En Île-de-France, 85 communes et collectivités ont mutualisé le tri des déchets en créant le SYCTOM, le syndicat mixte central de traitement des ordures ménagères, administré par un Comité syndical composé d’élus des collectivités adhérentes et se regroupant une fois tous les deux mois pour définir la politique de gestion publique du traitement des déchets dans son territoire d’intervention. Le SYCTOM dispose de 3 unités d’incinération avec valorisation énergétique, 6 centres de tri de collecte sélective, 1 centre de transfert des ordures ménagères résiduelles et 5 déchèteries.
Or, tandis que la collecte de déchets est partagée entre des entreprises publiques et des entreprises privées, le traitement en usine des déchets a été, quant à lui, totalement transféré aux mains du secteur privé, à travers le mécanisme dit de « gestion déléguée ». Contrairement à la délégation de service public, la gestion déléguée ne consiste pas à déléguer la totalité du service mais en une sorte de partenariat entre le public et le privé dans lequel les collectivités territoriales confient à un prestataire privé l’exécution d’une mission de service public, tout en en conservant la définition et la maîtrise des objectifs. Ces gestions déléguées ne peuvent avoir lieu qu’après mise en concurrence de plusieurs entreprises et pour une durée déterminée. En principe, l’exécution de la mission reste sous le contrôle démocratique de la collectivité. En Île-de-France et plus particulièrement à Paris, ce sont les deux géants Véolia et Suez qui se partagent la gestion de la majorité des usines de tri, de traitement et de valorisation des déchets ménagers, à travers leurs innombrables filiales, ce qui leur permet de se targuer d’être à la pointe de la transition écologique et d’un « capitalisme vert » capable de résoudre la crise écologique.
Or, ce « capitalisme vert » si vertueux ne recouvre en réalité que la poursuite d’un système d’exploitation du travail archaïque, dont les travailleurs des usines de tri et de recyclage continuent de faire les frais, comme le montre la récente grève des travailleurs du centre de tri SYCTOM Paris 15e.
Le centre de tri SYCTOM Paris XVe ou l’envers du « capitalisme vert » pratiqué par Véolia
Le 14 octobre 2021, une scène inédite se déroule devant le centre de tri des déchets SYCTOM Paris XVe, un des six centres de tri SYCTOM d’Île-de-France et qui réceptionne les déchets ménagers des villes de Bagneux, Montrouge, Malakoff et des Ve, VIe, VIIe, XIIIe, XIVe et XVe arrondissements de Paris : dès 6h du matin, une cinquantaine de salariés du centre, dont plusieurs arborant des chasubles syndicaux, bloquent l’accès des camions collecteurs au centre. Motif ? Ils sont en grève reconductible pour exiger des augmentations de salaire, le versement d’une prime qualité, l’augmentation de leur coefficient salarié (appelé « indice » dans la fonction publique), gelé depuis plus de 10 ans, ainsi que l’égalité salariale entre tous les travailleurs du site. Tandis que les camions repartent avec leur chargement, l’activité de l’usine fonctionne au ralenti : plus de 80% des effectifs sont en grève. L’ambiance est à la bonne humeur et à la camaraderie : café chaud, prise de parole et visite de salariés et de syndicalistes d’autres secteurs.
Pour comprendre ces revendications, il faut revenir plusieurs années en arrière. En effet, en 10 ans, le centre de tri SYCTOM Paris 15e est passé entre les mains de pas moins de trois prestataires privés différents : après avoir été géré par Coved (filiale de Paprec Group) et Ihol, deux géants du recyclage et de la gestion des déchets, il passe en 2019 entre les mains de XVEO, l’une des 145 filiales de Veolia Propreté, créée pour l’occasion. Cette passation extrêmement rapide d’un prestataire à un autre entre dans la stratégie du SYCTOM depuis plusieurs années. En effet, tandis que dans les années 2000, les appels d’offre pour la gestion déléguée portaient sur une durée de 10 ans minimum, la durée de gestion déléguée avant un nouvel appel d’offre ne dépasse pas aujourd’hui les deux ou trois ans.
Or, si la convention collective nationale des activités du déchet, dans son annexe 5 relative aux conditions de reprise des personnels ouvriers par les employeurs en cas de changement de titulaire d’un marché public indique que le nouveau prestataire est contraint au « maintien de la rémunération mensuelle de base [des salariés] selon le dernier salaire brut de base reconstitué », rien ne l’oblige à « maintenir les modalités de calcul et de versement compte tenu de la variété des situations rencontrées dans les entreprises » « des éléments de salaire à périodicité fixe autre que mensuelle ». De même, « sont exclues de la rémunération transférable les primes et indemnités liées à l'exécution du travail ». En d’autres termes, si le nouvel employeur est contraint de maintenir le salaire des salariés transférés avec la gestion de l’entreprise ainsi que leur ancienneté sur le poste, rien ne l’oblige à conserver les autres éléments de ce que l’on nomme communément « le socle social » auquel sont soumis les travailleurs. Chaque changement de prestataire, à l’image de ce qui se fait dans d’autres secteurs comme celui du nettoyage, entraîne donc une renégociation du socle social des salariés.
Or, lors du transfert du site SYCTOM Paris 15e dans le giron de XVEO, Jérome Amar, directeur de territoire chez Véolia, avait promis aux communes et aux travailleurs du site qu’ils ne perdraient rien. Pourtant, ceux-ci se sont vus supprimer leur prime qualité, d’un montant d’une centaine d’euros par mois. Par ailleurs, le salaire moyen mensuel perçu par les travailleurs n’a pas été revalorisé par rapport à ceux versé par le prestataire précédent : il est aujourd’hui toujours de 1350 euros net par mois (en chute de 10 à 13% depuis une dizaine d’année) pour environ 1750 euros net pour les salariés des autres centres de tri gérés par Véolia, tandis que le tonnage de déchets triés, lui, ne cesse d’augmenter, passant, en 10 ans de 30t à 70t par jour et par équipe.
On voit donc ici où mène la politique de filialisation des grands groupes : en morcelant les équipes de travail, il s’agit de générer des différences conséquentes de salaire entre des travailleurs effectuant le même travail pour le même groupe mais travaillant pour des filiales différentes, surtout si les travailleurs d’une des filiales, comme c’est le cas pour XVEO, sont majoritairement issus de l’immigration et souffrent, pour beaucoup, d’illettrisme. Il semble que ça ait été la politique de Véolia au centre SYCTOM Paris 15 : parier sur l’illettrisme des travailleurs et sur leur méconnaissance de leurs droits et du socle social en vigueur dans la plupart des filiales de Véolia Propreté pour les exploiter encore un peu plus et leur imposer un partage capital/travail de plus en plus défavorable !
Une usine en grève : vers l’organisation des travailleurs
Mais Véolia a sous-estimé les travailleurs du centre de tri : pendant deux ans, ceux-ci n’ont cessé de réclamer la remise en place de leur prime qualité ainsi que l’augmentation de leur coefficient salarié, s’appuyant pour ce faire sur l’aide des membres de l’Union Locale CGT du 15e arrondissement de Paris qui leur ont apporté un soutien substantiel en les informant sur leurs droits, en les envoyant en formation syndicale, en les mettant en relation avec d’autres travailleurs de Véolia, en organisant des Assemblées Générales afin de mettre en forme leurs revendications et les organiser, en leur apportant enfin le soutien juridique et moral et l’expérience des luttes indispensables à la mise en place d’une stratégie victorieuse. Pourtant, rien n’y a fait : la direction de XVEO a fait la sourde oreille et, en lieu et place d’une augmentation substantielle de leur rémunération, leur a uniquement proposé de négocier un accord d’intéressement…
La situation est restée bloquée jusqu’à ce que, face à l’augmentation du tonnage et aux départs naturels (démissions, départs en retraite, etc.), la direction de XVEO soit contrainte d’embaucher du personnel. Plutôt que d’avoir recours au recrutement externe, celle-ci a en effet organisé un transfert massif de travailleurs d’autres filiales de Véolia Propreté sur le site. Or, afin de convaincre ces travailleurs d’accepter le transfert, Véolia a dû leur garantir qu’ils conserveraient leurs salaires initiaux, plus élevés que ceux des travailleurs du centre de tri, ainsi que les primes qualité dont ont été spoliés les travailleurs du centre, rebaptisées et individualisées afin de pallier le risque de poursuites judiciaires, l’inégalité de revenu entre salariés d’une même société attachés au même poste de travail étant illégale au regard de la loi. Ainsi, les travailleurs du centre de tri se sont retrouvés dans une situation ubuesque : pour un même poste de travail, au sein de la même usine, certains salariés gagnent désormais entre 200 et 300 euros par mois de plus que leurs collègues, primes inclues ! C’est la goutte d’eau qui a fait déborder le vase et la grève a été votée en Assemblée Générale par plus de 80% des travailleurs du site, nouveaux arrivés compris, manifestant par là leur solidarité à l’égard de leurs collègues et la conscience que la surexploitation des uns fait le lit de l’exploitation des autres. Ce faisant, les salariés du centre de tri ont montré à Véolia, qui croyait pouvoir compter sur leur docilité et leur ignorance de leurs droits, qu’ils avaient conscience de l’exploitation et de la discrimination dont ils faisaient l’objet et qu’ils entendaient bien se battre pour changer la donne.
Face à cette situation, XVEO n’a pas changé d’attitude : après avoir reçu le préavis de grève, elle s’est contentée d’organiser, conformément à son obligation légale, un semblant de réunion de concertation et de résolution des conflits, recevant alors les salariés… debout et pendant moins de 10 mn ! manifestant par là ouvertement son mépris à l’égard des travailleurs et son refus total de négocier. Comme si cela ne suffisait pas, elle a enfoncé le clou en refusant, durant les deux premiers jours de grève, de recevoir les salariés pour entamer une négociation, préférant envoyer un huissier et des agents de sécurité sur le site et réquisitionnant illégalement des cadres de Véolia pour remplacer les salariés grévistes, au mépris de toutes les règles de sécurité, ces cadres ne connaissant pas le fonctionnement complexe des machines de l’usine. Pour dénoncer ces agissements de la direction, les salariés ont fait appel à l’inspection du travail mais celle-ci manquant de moyens humains depuis les nombreuses suppressions de poste d’inspecteurs et de contrôleurs du travail initiées dans leur administration depuis 20 ans, n’a pas pu se déplacer à temps pour constater et sanctionner les faits1.
Face au mépris de la direction de XVEO, les salariés et les délégations syndicales ont alors décidé d’interpeler directement la direction de Véolia, envahissant le hall de son siège à Aubervilliers le lundi 18 novembre. Celle-ci reprend le dossier en main, évinçant de fait la direction de XVEO, mais refuse elle-aussi d’accéder aux revendications des salariés : accusant les salariés d’entrave au droit de travailler pour les opérations de blocage des camions de collecte à l’entrée de l’usine, elle renvoie l’examen des demandes des salariés aux prochaines NAO (négociations annuelles obligatoires) du groupe Véolia Propreté qui auront lieu en mars ou avril 2022, tout en refusant de s’engager par écrit que ces revendications apparaîtront véritablement dans l’ordre du jour des négociations. Insatisfaits, les salariés poursuivent la grève encore deux jours, jusqu’à ce qu’un décès dans la famille du délégué syndical du site et son départ précipité dans son pays d’origine ne les contraignent à la suspendre pour une durée indéterminée. Malgré cette décision, Véolia assigne le jour même en justice 17 salariés de l’usine et un délégué syndical de Véolia. Face à la menace de reprendre la grève, Véolia rétrograde et retire son action.
Conclusion : La nécessité d’une poursuite et d’une amplification de la lutte
Au jour d’aujourd’hui, les salariés du centre de tri ont repris le travail sans avoir obtenu gain de cause sur leurs revendications. Néanmoins, à leurs yeux, l’action collective contre XVEO et Véolia ne constitue en aucun cas un échec. Bien au contraire, ils sont tous unanimes : s’ils n’ont pas gagné cette bataille, ils sont mieux préparés à la guerre à venir, une guerre qu’ils ont bien l’intention de mener jusqu’à la victoire. En effet, ils se préparent aujourd’hui à reprendre la grève dès que les circonstances le permettront. Car tous ont pris conscience d’une part, de la légitimité de leur combat et de l’exploitation qu’ils subissent et, d’autre part, de l’importance de l’organisation et de la lutte collectives. Unis lors de ces quelques journées de grève et, surtout, lors de ces mois de préparation, de discussion et d’organisation, ils ont pris conscience de leur force et de la nécessité de faire perdurer dans le temps ce qui, l’espace de quelques jours, leur a permis de reconquérir leur dignité face à une direction intransigeante et méprisante, mais qui, par ses actions répressives et souvent illégales, à laisser paraître sa peur et sa faiblesse. Par ailleurs, la mobilisation de soutiens extérieurs les rejoignant sur le piquet de grève, faisant tourner le lien pour remplir la caisse de grève dans les réseaux militants, les aidant par leurs expériences ou simplement par leur humanité, leur a montré – nous a montré à tous - que, malgré l’immense effort entrepris par les bénéficiaires du système capitaliste pour diviser à la fois matériellement et moralement les travailleurs, il existait encore dans ce pays un esprit de corps unissant tous les travailleurs exploités entre eux, quel que soit leur secteur d’activité ou leur origine, esprit de corps qui, dans la terminologie marxienne qui nous est chère et dont nous nous revendiquons, s’appelle la conscience de classe.
Enfin, cette grève est riche d’enseignements car elle permet de mettre en lumière, dans leurs dimensions concrètes et destructrices pour les travailleurs, les mécanismes mis en place par le Capital et ses complices au sein des instances dirigeantes de notre pays pour briser les travailleurs et assurer la continuité de leur exploitation. En effet, c’est bien le système de « filiales » et de gestion déléguée du service public que nous devons remettre en question car c’est en partie elle qui permet la surexploitation du travail, la baisse de la qualité du service public et l’augmentation des coûts des services publics au bénéfice du privé.
Or, en même temps qu’elle nous montre « le problème », elle nous montre la solution : c’est par la lutte collective contre ce phénomène et les conséquences humaines qu’il entraîne, par la solidarité interprofessionnelle envers les travailleurs qui la subissent (par le soutien à l’organisation et à la concrétisation de leurs grèves et autres actions) et par le refus populaire, en tant qu’usagers du service public, de cautionner ce type de délégation au privé que nous pourrons faire entendre notre voix et arracher au Capital la gestion non seulement de la production matérielle du service public mais également le contrôle de sa définition, de ses orientations et de son exécution. Pour ce faire, il est nécessaire de lancer une mobilisation générale des travailleurs de tous ces secteurs, de tous les services menacés de transfert à des filiales et, plus largement, de tous les citoyens attachés au service public sous contrôle populaire. Cela exige que tous les syndicalistes et les militants politiques s’engageant dans les luttes sociales se mobilisent sur ces questions.
Un premier pas consisterait à soutenir la lutte des travailleurs du SYCTOM Paris 15e qui est loin d’être terminée :
- en participant à leur caisse de grève, en prévision des grèves futures (voir le lien ici : http://xpkkp.mjt.lu/lnk/AMUAALDRgSUAAAAAAAAAADhiNwsAAAAAHVQAAAAAAA_3xABhbb9kZIy95F1vT4Op-M13IyGCDwAPs_U/2/iqKFqFEY-Rq7_2cjZ7d3Ow/aHR0cHM6Ly93d3cub25wYXJ0aWNpcGUuZnIvY2Fnbm90dGVzL0hIdTRBbnlq);
- en médiatisant leur combat et en dénonçant la duplicité des pouvoirs locaux et des entreprises auprès des populations dont les déchets sont triés dans le centre SYCTOM Paris 15e, afin de les informer de l’usage qui est fait de leurs impôts locaux ;
- en interpellant les élus du Comité syndical du SYCTOM lors de leur prochaine réunion bimensuelle du mois de décembre, action durant laquelle les salariés du SYCTOM, enchaînés à leurs postes de travail, auront besoin que tous ceux qui le peuvent prennent le relais en nombre, afin de ne pas permettre aux élus de faire la sourde oreille et de se défiler, comme ils l’ont déjà fait le 22 octobre dernier où deux syndicalistes du SYCTOM ont tenté en vain de mettre les élus face à leurs responsabilités dans la situation qu’ils sont contraints de vivre ;
- en aidant à organiser les travailleurs des autres centres de tri parisiens et franciliens qui connaissent la même surexploitation et les mêmes difficultés, quelles que soient les multinationales qui les emploient, afin qu’ils s’associent en un combat commun pour la dignité et le contrôle ouvrier de leur outil de travail.
Pour l’Association nationale des Communistes ANC
Victoire Bech, CGT Chômeurs
Bruno Drweski, CGT FERC Sup’
1 Pour rappel, lors d’une réunion des 31 janvier et 1er février 2019 avec les directeurs régionaux du ministère du travail, Muriel Pénicault a annoncé la suppression de 15% des sections d’inspection du travail, faisant passer le ratio d’un inspecteur du travail pour 8 400 salariés en 2017 à un inspecteur pour 10 000 salariés début 2022. Par ailleurs, en 2017, l’ensemble des organisations syndicales dénonçaient une réduction de 20% à 23% des effectifs des inspecteurs et contrôleurs du travail depuis 10 ans. 20+15, le calcul est simple…