La tentative de recasement de PENICAUD à l'Organisation Internationale du travail

Publié le par FSC

Sans illusion non plus sur le rôle de l'OIT dans la véritable émancipation des travailleurs avec dès l'origine (1916) d'un  Léon JOUHAUX à la manoeuvre !

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SOURCE : L'Humanité

Un collectif de personnalités, parmi lesquels les responsables de la CFE-CGC et de la CGT, François Hommeril et Philippe Martinez, mais aussi Gaël Giraud, Christine Lazerges, Alain Supiot, s’interrogent, dans une tribune au « Monde », sur les raisons qui poussent la France à promouvoir la candidature de Muriel Pénicaud à la direction de l’Organisation internationale du travail.

Tribune. Le gouvernement français mène actuellement une discrète campagne pour l’élection de Mme Pénicaud à la direction de l’Organisation internationale du travail (OIT). Créée au lendemain de la première guerre mondiale par le traité de Versailles, l’OIT a pour mission de promouvoir la justice sociale et la paix dans le monde et de « soutenir les efforts des nations désireuses d’améliorer le sort des travailleurs dans leurs propres pays ».

la France, cofondatrice de l’OIT, y a toujours joué un rôle de premier plan, au travers de personnalités éminentes, qui l’ont dirigée (Albert Thomas de 1919 à 1933 et Francis Blanchard de 1974 à 1989) ou qui ont présidé son conseil d’administration (tels Philippe Séguin ou Gilles de Robien). De sensibilités politiques diverses, ces personnalités étaient connues et appréciées dans le monde pour leur hauteur de vue et leur engagement en faveur de la justice sociale.

Un nouveau directeur de l’OIT doit être élu en 2022. Ses responsabilités seront particulièrement grandes, dans un contexte international marqué par la crise du multilatéralisme, l’accroissement des inégalités et la prise de conscience des impasses sociales et écologiques où nous ont conduits plus de quarante années de globalisation néolibérale.

Mme Pénicaud remplit-elle les conditions de ce poste ?

Diriger l’OIT requiert évidemment un respect scrupuleux des normes internationales du travail et un engagement avéré en faveur de la justice sociale, aussi bien à l’intérieur des nations que dans leurs relations. L’OIT a en effet pour mission de veiller à ce que, partout dans le monde, l’économie et la finance soient organisées de façon « à favoriser et non à entraver » le droit de tous les êtres humains de vivre dignement de leur travail, notamment dans les pays pauvres, qui concentrent la plus forte proportion de la jeunesse.

Outre ces qualités et cette expérience internationale, la direction de l’OIT requiert un sens des responsabilités sociale et environnementale, que les entreprises ne peuvent exercer sérieusement sans être moins soumises à la finance et plus ouvertes à la représentation et à l’expérience de ceux qui y travaillent. La question se pose donc de savoir si Mme Pénicaud remplit ces conditions d’aptitude à un emploi, dont le titulaire représentera le monde du travail dans les grandes arènes internationales.

Voici quelques faits qui permettront à chacun d’en juger. Mme Pénicaud a exercé les fonctions de ministre du travail sur une courte période, mais son ministère a été marqué par des réformes qui ont toutes eu pour objet d’affaiblir les droits et les libertés individuelles et collectives des travailleurs.

Remise en cause de la force obligatoire du contrat de travail pour imposer aux salariés des baisses de salaire ou la flexibilité des horaires ; suppression des comités d’hygiène, de sécurité et des conditions de travail, ce qui a contribué à l’aggravation de la situation des « travailleurs essentiels » durant la crise sanitaire ; suppression de la représentation syndicale, garante d’une négociation collective équilibrée dans les petites entreprises ; réforme si brutale des conditions d’indemnisation du chômage, qu’elle a dû être ajournée pour faire face à la crise sanitaire ; instauration d’un « barème » d’indemnisation des victimes de licenciements illégaux, qui permet aux auteurs de ces licenciements de violer la loi sans avoir à en répondre financièrement devant la juridiction du travail ; réorganisation de l’inspection du travail qui, selon les termes de la Commission nationale consultative des droits de l’homme, « pourrait conduire à l’affaiblissement de sa fonction fondamentale de protection des travailleurs au moment où la situation de crise sanitaire devrait au contraire conduire à la renforcer ».

Une autre vision de l’avenir du travail à promouvoir

Un certain nombre de ces réformes ont donné lieu à la saisine des organes de supervision de l’OIT, pour infraction à six conventions internationales du travail ratifiées par la France : les conventions 87 et 98 sur les libertés syndicales et la négociation collective, les conventions 100 et 111 sur la lutte contre les discriminations, la convention 158 sur l’encadrement du licenciement et la convention 81 sur l’indépendance de l’inspection du travail.

Le Comité de la liberté syndicale de l’OIT a déjà jugé en 2012 « que la mise en place de procédures favorisant systématiquement la négociation décentralisée de dispositions dérogatoires dans un sens moins favorable que les dispositions de niveau supérieur peut conduire à déstabiliser globalement les mécanismes de négociation collective ainsi que les organisations d’employeurs et de travailleurs et constitue en ce sens un affaiblissement de la liberté syndicale et de la négociation collective à l’encontre des principes des conventions 87 et 98 » (365e rapport du Comité de la liberté syndicale, 2012, p. 288, § 997). Mme Pénicaud pourrait être ainsi amenée à prendre la tête d’une organisation qui enquête sur la légalité internationale des dispositions qu’elle a promues dans ses précédentes fonctions.

Dans ses fonctions de directrice des ressources humaines d’un grand groupe agroalimentaire, Mme Pénicaud a réalisé en 2013 plus d’un million d’euros de plus-value sur ses stock-options, en profitant de l’annonce de la suppression de 233 postes dans son entreprise. Opération parfaitement légale qui témoigne d’un sens certain des affaires. Mais est-ce le sens qu’on est en droit d’attendre à la tête d’une organisation dont la mission est d’assurer à l’échelle mondiale la primauté des aspects humains et sociaux sur les considérations financières ? La France aurait dû porter une autre vision de l’avenir du travail à promouvoir, pour relever les défis technologiques, écologiques et sociaux qui se posent à l’humanité.

Les signataires de cette tribune sont :

Michel Aglietta, professeur émérite (université Paris-Nanterre) et conseiller scientifique au Cepii ; Michel Borgetto, professeur émérite de l’université Paris-II (Panthéon-Assas) ; Valérie Boussard, professeure de sociologie ; Robert Boyer, directeur d’études à l’EHESS ; Stéphane Brizé, réalisateur ; Dominique Cabrera, réalisatrice ; Eve Caroli, professeur d’économie ; Carmen Castillo, réalisatrice ; Isabelle Daugareilh, directrice de recherche au CNRS (Centre de droit comparé du travail et de la sécurité sociale – université de Bordeaux) ; Françoise Davisse, réalisatrice et scénariste ; Emmanuel Dockès, professeur de droit à l’université Lyon-II ; Olivier Favereau, professeur émérite de sciences économiques, université Paris-Nanterre ; Jérôme Gautié, professeur d’économie ; Gaël Giraud, économiste, directeur de recherche au CNRS, jésuite ; François Hommeril, président de la Confédération française de l’encadrement (CFE-CGC) ; Christine Lazerges, ancienne présidente de la Commission nationale consultative des droits de l’homme ; Martine Le Friant, professeure à l’université d’Avignon ; Antoine Lyon-Caen, professeur émérite de droit à l’université Paris-Nanterre ; Pierre Lyon-Caen, ancien membre de la Commission des experts pour l’application des conventions et recommandations de l’OIT ; Nicole Maggi-Germain, ancienne directrice de l’Institut des sciences sociales du travail (université Paris-I-Panthéon-Sorbonne) ; Philippe Martinez, secrétaire général de la Confédération générale du travail (CGT) ; Corinne Masiero, comédienne ; Dominique Méda, professeure de sociologie ; Gérard Mordillat, cinéaste et écrivain ; Thomas Piketty, directeur d’études à l’EHESS − professeur à l’Ecole d’économie de Paris ; Muriel Roger, professeure d’économie ; Jean-Gabriel Périot, réalisateur ; Bénédicte Reynaud, directrice de recherche au CNRS, Economiste ; Alain Supiot, professeur émérite au Collège de France – ancien membre de la Commission mondiale sur l’avenir du travail ; Pierre Tartakowsky, président d’honneur de la Ligue des droits de l’homme ; Bernard Thibault, ancien représentant des travailleurs français au conseil d’administration de l’OIT ; Bernard Thorn, réalisateur ; Isabelle Vacarie, professeure émérite − université Paris-Nanterre.

par  Collectif
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