McKinsey: Le Parquet national financier se réveille

Publié le par FSC

Il est vrai que son inertie faisait tâche comparée à son empressement à ouvrir d'autres enquêtes :

VOIR :

http://www.frontsyndical-classe.org/2022/03/mckinsey-aller-au-penal.encore-faut-il-que-la-justice-en-ai-la-volonte.html

http://www.frontsyndical-classe.org/2022/03/encore-et-toujours.justice-de-classe.html

Et l'affaire faisait décidément trop de bruit pour pouvoir être enterrée !

Attendons donc la suite ... avec vigilance !

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Marianne :


Par Laurent Valdiguié
Publié le 06/04/2022 

Le PNF s’attaque à McKinsey. Le parquet spécialisé dans la grande délinquance financière a ouvert une enquête pour blanchiment aggravé de fraude fiscale visant le cabinet américain. Un dossier potentiellement explosif qui, à terme, pourrait provoquer une myriade de perquisitions au cœur de l’appareil d’État.
Avis de gros temps sur McKinsey. Le parquet national financier a décidé de lancer une enquête pour blanchiment aggravé de fraude fiscale visant le cabinet de conseil américain. La décision a été prise dès le 31 mars, en toute discrétion, et n’a été rendue publique que ce 6 avril en fin de matinée, le PNF préférant ces deniers jours ne « rien communiquer »… Au risque d’ailleurs de se voir reprocher son manque de curiosité, voire de diligence dans un dossier visant potentiellement le sommet de l’État. « Pas de commentaire », réagit auprès de Marianne une source au sein du parquet national financier. « Il en allait de l’image et de la réputation du PNF que cette enquête soit ouverte, et c’est heureux qu’elle l’ait été », glisse un haut magistrat, « sans préjuger d’ailleurs de son résultat »…

Suite au rapport du Sénat du 16 mars dernier affirmant que McKinsey ne payait pas d’impôt en France depuis dix ans, le parquet avait l’option, soit d’attendre le résultat des courses de l’enquête pour fraude fiscale déclenchée à Bercy, et une éventuelle plainte de l’administration, soit d’ouvrir les hostilités sans attendre sur la base de l’infraction de blanchiment. C’est cette dernière option qui a été finalement retenue et qui devrait permettre à court terme des opérations visant à « sauvegarder des éléments de preuve », c'est-à-dire en langage courant des perquisitions.

LÉGAL OU PAS LÉGAL
Le PNF a confié l’enquête au service de Bercy créé en 2019, le SEJF (service d’enquête judiciaire des finances), un pool d’enquêteurs spécialisés du fisc né de l’ancien service national des douanes judiciaires. Placé sous la direction d’un magistrat, Christophe Perruaux, ancien procureur adjoint à Paris, ce service, sous l’autorité de Bercy et non pas du ministère de l’Intérieur, a pour compétence les infractions fiscales complexes. Saisi de faits supposés de blanchiment aggravé, le SEJF va mettre à plat les relations financières entre les deux entités françaises de McKinsey et leur maison mère implantée dans un paradis fiscal au cœur des États-Unis, le petit État du Delaware. Via un jeu de « redevances » et de charges diverses et variées, comme l’a mis à jour le rapport du Sénat, les structures françaises de la société de conseil reversent tous les ans des fonds aux États-Unis. Ces remontées financières plombent les finances des filiales françaises et les placent en situation déficitaire leur permettant d’échapper à l’impôt hexagonal. Légal, pas légal ? Les enquêtes fiscales devront dire si ces remontées sont justifiées, facturées au juste prix, ou si elles sont gonflées artificiellement dans le but d’aiguiller les bénéfices de McKinsey vers un territoire où l’imposition est la plus douce… le Delaware.

Dans une enquête du même ordre concernant Google France, le PNF a établi que les remontées de fonds en direction de la structure irlandaise étaient largement bidon dans le but d’échapper au fisc français. Montant de l’ardoise pour Google : un milliard d’euros.

RENVOIS D'ASCENSEURS ?
Concernant le dossier McKinsey, les sommes en jeu sont moindres puisque l’évasion fiscale présumée se chiffrerait plutôt en dizaines de millions d’euros. Mais c’est à un autre niveau que l’affaire sent le soufre. McKinsey, qui compte 600 employés en France, irrigue toute la haute fonction publique française, de par ses conseils, ses études, ses interventions et ses liens de personnes… « Enquêter sur les prestations de McKinsey, c’est enquêter sur la prise de décision de l’État », ironise à peine un haut fonctionnaire, pronostiquant de possibles perquisitions… jusqu’à Matignon. « Si le PNF se met en tête de vérifier les prestations facturées par McKinsey, cela va l’occuper tout un quinquennat, de ministère en ministère », ironise cette source.

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Les études sont-elles facturées au juste prix ? Y a-t-il dans cet univers des renvois d’ascenseurs ? Ce genre de cabinet n’empiète-t-il pas tout simplement sur l’expertise d’agents de l’État eux-mêmes ? « Il y a beaucoup de fantasmes derrière ce sujet, pondère une autre source étatique. Pour l’essentiel, ces cabinets travaillent dans le domaine informatique. En France, nous n’avons pas de bons informaticiens, et quand nous en avons, on ne peut pas rivaliser avec les tarifs du privé pour les garder, ce qui fait que dans ce domaine, l’expertise de l’État est défaillante… » Sauf que les prestations de McKinsey, notamment lors de la crise sanitaire et la gestion du Covid, débordent largement de la seule sphère informatique. La justice creusera-t-elle plus en avant ?

DÉTOURNEMENTS DE FONDS PUBLICS ?
Pour l’heure, le PNF ne vise pas d’autre qualification que le blanchiment de fraude fiscale. Mais selon nos sources, un angle de « prise illégale d’intérêt » serait aussi « à l’étude ». Il s‘agirait à terme de vérifier si d’anciens membres de McKinsey, placés dans des cabinets ministériels, n’auraient pas été en situation de confier des contrats à leur ex-société. « Il faudrait faire une carte de qui fait quoi, et qui commande quoi au cœur de l’appareil d’État », confie un expert de ces questions.

De son côté, l’association Anticor envisage de laisser passer les élections et de déposer plainte à son tour. « Il y a d’autres sujets de réflexion que le seul volet fiscal, analyse Me Jérôme Karsenti, un des avocats de l’association. S’il est établi, comme semble le suggérer le rapport du Sénat, que certains rapports de McKinsey sont de simples copier-coller, cela pourrait constituer des faits de détournements de fonds publics. » Elise Van Beneden, la présidente de l’association, se pose la question de savoir si le recours à un cabinet de conseil, en doublon d’éventuelles compétences existantes au sein de l’État, ne constitue pas, en soit, « un détournement de fonds publics par négligence ». « Il faut aussi s’interroger, poursuit-elle, sur la validité de ces accords-cadres fourre-tout, passés avec ces cabinets de conseil, un système qui semble contourner la règle ordinaire des appels d’offres et le jeu normal de la mise en concurrence. »

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Autre sujet d’interrogation, la participation de cadres de McKinsey, même à titre « bénévoles » dans l’équipe de campagne du candidat Macron en 2017. « On peut se poser la question d’éventuels renvois d’ascenseur », souffle Elise Van Beneden…

Quoi qu’il en soit, la justice va donc mettre son nez dans un drôle de maquis. Dès 2015, dans un rapport ordinaire, la Cour des comptes avait lancé une mise en garde contre le recours aux cabinets de conseil. À l’époque, pour la période 2011-2013, la Cour avait identifié des dépenses annuelles de l’ordre de 150 millions d’euros. Mais ces dépenses ont explosé sous ce quinquennat, pour atteindre le milliard d’euros annuel… Dans ce domaine, les recommandations de la Cour des comptes semblent donc être restées lettre morte. Comme trop souvent…

 
Par Laurent Valdiguié

 

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Après des semaines de controverses politiques, la polémique sur les cabinets de conseil prend une tournure judiciaire. Le Parquet national financier (PNF) a annoncé, mercredi 6 avril, avoir ouvert une enquête préliminaire pour blanchiment aggravé de fraude fiscale à l’encontre du cabinet de conseil McKinsey.

Cette enquête préliminaire, déclenchée le 31 mars, vise à faire la lumière sur la légalité du statut fiscal des filiales opérationnelles françaises de McKinsey. En marge de son travail sur le recours par l’Etat aux cabinets de conseil, une commission d’enquête du Sénat avait en effet découvert que le cabinet américain n’avait pas payé d’impôt sur les sociétés entre 2011 et 2020, alors qu’il réalise en France un chiffre d’affaires annuel de plusieurs centaines de millions d’euros (329 millions en 2020). Un miracle rendu possible par un mécanisme d’optimisation fiscale dit de « prix de transfert », classique pour les multinationales.

Si le caractère légal ou frauduleux de ces pratiques est toujours difficile à établir, la révélation de cette information dans le rapport du Sénat, le 17 mars, a immédiatement suscité une vive polémique, en raison des nombreux contrats confiés par le gouvernement à McKinsey au cours du quinquennat écoulé.

 

« Nous avons ouvert cette enquête dans les jours qui ont suivi la publication du rapport du Sénat », déclare au Monde le procureur de la République financier, Jean-François Bohnert. L’enquête du PNF a été déclenchée après une évaluation interne du dossier, qui a consisté à mener de premiers recoupements et vérifications sur la nature des révélations du rapport sénatorial. Elle a été confiée au Service d’enquêtes judiciaires des finances (SEJF), la police fiscale créée en 2019 à Bercy.

« L’ouverture de cette enquête confirme la rigueur et le sérieux des travaux de la commission d’enquête, qui avait découvert les pratiques fiscales de McKinsey en réalisant des contrôles sur pièces et sur place à Bercy », se sont félicités les deux sénateurs responsables de la commission d’enquête, Arnaud Bazin (Les Républicains) et Eliane Assassi (Parti communiste).

Critiques contre Bercy

C’est en effet en récupérant à Bercy des documents relatifs à la situation fiscale des entités françaises de McKinsey, en décembre 2021, que les sénateurs ont pu établir que le cabinet américain n’avait pas payé d’impôt sur les sociétés pendant au moins une décennie.

Le Monde avait révélé quelques mois plus tôt que la branche française de McKinsey opérait depuis une structure basée dans l’Etat du Delaware (Etats-Unis), le principal paradis fiscal américain pour les sociétés, caractérisé par une imposition nulle et une grande opacité financière, sans pouvoir détailler à l’époque les conséquences fiscales de ce montage.

Pointée du doigt pour sa passivité dans le dossier, l’administration fiscale a assuré avoir lancé un contrôle fiscal sur le cabinet en novembre 2021, alors que débutaient les travaux des sénateurs. Une source au sein de l’exécutif a par ailleurs affirmé au Monde que le fisc avait même commencé à s’intéresser à McKinsey avant la pandémie de Covid-19, sans toutefois adresser de demande de document ni notifier officiellement un contrôle à la multinationale.

Le ministre de l’économie et des finances, Bruno Le Maire, a assuré le 30 mars que « McKinsey paiera tous les impôts qu’il doit à la France rubis sur l’ongle », et que le gouvernement n’avait « pas de leçons à recevoir en matière de lutte contre l’optimisation fiscale ». Selon nos informations, les services fiscaux n’ont, à ce stade, saisi la justice d’aucune infraction impliquant McKinsey, et mènent leurs investigations en parallèle du SEJF.

Lire aussi : McKinsey et Macron : le vrai et le faux sur la polémique

De son côté, le président Emmanuel Macron s’est dit « choqué » des pratiques fiscales de McKinsey, tout en suggérant qu’elles n’avaient rien d’illégal. « Personne ne fait payer l’impôt à des entreprises comme celle-ci, car ce ne sont pas les règles », a-t-il déclaré le 23 mars sur M6, en soulignant que cela s’inscrivait dans le cadre d’« une bataille internationale » qu’il a lui-même menée en Europe, afin de contraindre les entreprises à payer « un impôt minimal ». Une référence au projet de taxation internationale pour les plus grandes entreprises, conçu comme une arme contre les paradis fiscaux et les stratégies de dumping.

McKinsey a quant à lui affirmé « respecter les règles fiscales françaises », sans pour autant contester les informations du Sénat. Pour se défendre, le cabinet américain a dit avoir payé « 422 millions d’euros d’impôts et de charges sociales », en entretenant la confusion entre l’impôt sur les sociétés et les cotisations sociales versées sur les rémunérations de ses salariés. Dans un communiqué publié mercredi, McKinsey a déclaré que, « s’il [était] sollicité », il se « [tiendrait] à la disposition des administrations et autorités compétentes ». « Chaque fois que le cabinet a fait l’objet de demandes d’informations de la part des autorités publiques, il a évidemment toujours répondu et pleinement collaboré, y compris sur les questions techniques de fiscalité. Cela a été le cas lors des précédents contrôles fiscaux des différentes entités de McKinsey en France », a ajouté la société.

Plus de 1 milliard d’euros en 2021

Cette « affaire McKinsey », largement exploitée par les adversaires d’Emmanuel Macron, s’est imposée en quelques semaines comme un sérieux boulet dans la campagne express du candidat à l’élection présidentielle.

Le chef de l’Etat a en effet entretenu des liens de proximité avec plusieurs dirigeants du cabinet, dont certains ont participé à titre personnel à sa campagne en 2017. Parmi eux, le responsable du pôle service public du cabinet, Karim Tadjeddine, est dans la tourmente depuis son audition devant la commission sénatoriale, le 18 janvier : il avait affirmé sous serment que McKinsey était bien assujetti à l’impôt sur les sociétés – ce qui a conduit le Sénat à saisir le 25 mars la justice pour soupçons de faux témoignage.

Lire l’enquête : McKinsey : le gouvernement se défend contre les nouvelles attaques des rivaux d’Emmanuel Macron

Au-delà du volet fiscal, la controverse déclenchée par le rapport sénatorial porte sur l’ampleur du recours de l’Etat aux cabinets de conseil, évalué à plus de 1 milliard d’euros pour la seule année 2021, en hausse nette sous le quinquennat Macron. Un « phénomène tentaculaire » qui fait, selon les sénateurs, courir le risque que des consultants privés prennent progressivement le pas sur les fonctionnaires de l’administration.

Si McKinsey représente moins de 2 % des dépenses totales engagées par l’Etat pour des prestations de conseil, « la Firme », ainsi qu’elle est surnommée, est intervenue en appui du gouvernement sur plusieurs chantiers importants du quinquennat, comme la gestion de la campagne de vaccination contre le Covid-19, la préparation de la réforme des retraites ou l’organisation des rencontres Tech for Good, qui ont vu défiler les patrons du numérique à l’Elysée. D’après l’enquête du Monde, McKinsey a été missionné sur au moins 43 prestations entre 2018 et 2021. A ce stade, aucune investigation judiciaire n’est engagée pour examiner la façon dont ce cabinet ou d’autres ont pu peser sur les décisions publiques au cours des dernières années.

En réponse à la polémique, la ministre de la transformation et de la fonction publiques, Amélie de Montchalin, a assuré, le 30 mars, qu’« aucun cabinet de conseil n’a décidé d’aucune réforme, et [que] la décision revient toujours à l’Etat ». « Nous ne nous sommes pas dessaisis de nos responsabilités », a-t-elle dit. La pratique est, selon elle, « répandue », « habituelle » et « utile » dans la « majorité des cas ». Le gouvernement s’est engagé à réduire de 15 % les dépenses de conseil en 2022, et à publier désormais chaque année la liste complète des prestations commandées par l’Etat.

 

 

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