L’envers du décor de la « Silicon Valley » française
SOURCE : L'Humanité
INDUSTRIE Il y a une semaine, Emmanuel Macron annonçait un investissement record de 5,7 milliards d’euros pour une « méga-fab » chez STMicroelectronics. Mais le champion français des semi-conducteurs ne brille pas par ses politiques sociales ni salariales.
L’implantation de STMicro à Crolles est gargantuesque : 44 hectares abritant 26 000 mètres carrés de salles blanches où se relaient jour et nuit 6 000 salariés afin de produire les précieuses puces qui manquent tant depuis deux ans à l’industrie, de l’automobile et la téléphonie. Symbole de la croissance du groupe (+ 25 % en 2021) : le ballet incessant des pelles mécaniques et des grues affairées à étendre l’usine. Car le groupe n’a pas attendu les annonces d’Emmanuel Macron pour élargir son emprise : une première extension a été mise en service début 2021 et une seconde devrait être pleinement opérationnelle à la fin de l’année. La « méga-fab », coentreprise avec l’Américain GlobalFoundries censée produire des semi-conducteurs de 18 nanomètres, devrait à terme voir le berceau historique du groupe accueillir 1 000 employés supplémentaires.
Mardi 12 juillet, alors qu’il accueillait le chef de l’État, le PDG, Jean-Marc Chéry, a tenu à mettre en valeur l’« atout principal »du groupe :ses« collaboratrices et collaborateurs ». Si la richesse de la société cotée à Amsterdam est humaine, elle peine à remplir les poches de ses employés.« Le PDG a vu ses revenus augmenter de 36 % en une année, 9 % pour son seul salaire,détaille Aimeric Mougeot, élu CGT au CSE et au comité européen de l’entreprise.En comparaison, lors de nos négociations annuelles, en mars dernier, l’augmentation collective s’est limitée à 2,6 % ! Et encore, pour pas mal de collègues comme les ingénieurs, ça s’est résumé à 0 %. »À ses côtés, un salarié lâche, désabusé :« On a beau dire aux ressources humaines que nos factures augmentent, rien n’y fait. »L’entreprise n’a d’ailleurs pas fait bénéficier ses salariés de la prime Macron.
Pour Nadia Salhi, déléguée syndicale centrale adjointe CGT, il ne faut pas chercher plus loin les raisons des difficultés de recrutement.« Cette année on a embauché 430 personnes mais 230 sont parties parce que les salaires ne suivent pas. »Même constat pour Alban Germain, élu au CSE et délégué syndical du Collectif autonome et démocratique (CAD), une organisation représentative en interne :« Les jeunes ne restent pas et les anciens ne progressent pas. Il y a un an, deux personnes avec dix-sept années d’ancienneté sont parties. »
des pauses d’une heure à une heure et demie, Tout est décompté, à la seconde près
Les contrats précaires sont donc nombreux, notamment chez les opérateurs en production.« ST recourt massivement aux intérimaires. Dans certains services, ils représentent plus de 40 % des effectifs ! Alors, si sur les 1 000 emplois annoncés, 400 sont précaires, il n’y a pas de quoi se réjouir… »analyse Aimeric Mougeot. Une étude de la CGT ayant mis le sujet en lumière, l’inspection du travail s’en est emparée en 2021. Dans un courrier du 4 juin, elle a mis en demeure la direction du site d’appliquer un« plan de résorption de la précarité »,pointant« un volume particulièrement important »de travailleurs intérimaires et en CDD.« La direction a alors titularisé 180 intérimaires »,poursuit Aimeric Mougeot.« On a pourtant l’impression que ça repart de plus belle ces derniers temps »,alerte Nadia Salhi. À la précarité s’ajoutent des conditions de travail difficiles en production, avec des postes en 3-8 ou en 2-8, le week-end ou la semaine, et des pauses d’une heure à une heure et demie. Tout est décompté, à la seconde près.
Voisine de site, Soitec fournit le substrat dont se sert STMicro pour ses composants. La société alimentera également la future « méga-fab ». Là aussi, le travail s’effectue dans les mêmes rudes conditions que chez STMicro, d’autant que les syndicats y déplorent l’importation des mêmes méthodes de gestion des personnels.« Quand vient l’entretien annuel, que tu as mouillé le maillot pour tenir les objectifs et que le manager tient la liste de tes temps de pause et te reproche quatre minutes de trop, il y a de quoi sortir de ses gonds », raconte Fabrice Lallement, délégué syndical CGT et secrétaire du CSE. C’est ce management qui a déclenché la grève spontanée et victorieuse des salariés de Soitec en juin. Au bout d’une semaine de lutte, la direction a concédé la mise en place de cellules paritaires d’amélioration des conditions de travail et l’obtention de l’équivalent de trois mois de salaire sous forme de primes.
Un scénario que les salariés de ST aimeraient voir advenir, mais les conditions de négociations sont elles aussi rudes.« Si tu fais grève, tu es catalogué et ta progression est bloquée », témoigne un salarié.
« Plusieurs élus du personnel sont en arrêt maladie à la suite d’agressions verbales de la part des RH »,rappelle Nadia Salhi. C’est le cas de David Majewski.
Le secrétaire de la CGT sur le site de Crolles raconte :« Au retour de mon premier arrêt, en mars, une réunion s’est très mal passée avec la direction et j’ai de nouveau été arrêté dans un état anxieux.
Il y a vraiment une volonté de pression sur les syndicats les plus revendicatifs. »Alban Germain abonde :« Quand j’ai rejoint le CAD, les RH sont venus me dire que je ne ferai pas long feu à ST. »