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Saisie par huit habitants de la région de Metz, la Cour de cassation a rendu, mi-juin, une décision majeure pour les futurs mouvements sociaux : selon la plus haute juridiction, une personne ne peut se faire verbaliser pour avoir simplement participé à une manifestations non déclarée.
23 mai 2020, début du déconfinement. Une manifestation se prépare pour la défense du service public, et les membres de la "Chorale révolutionnaire" de Metz décident de répéter en centre-ville. "En petits groupes pour être moins de dix, distants entre chanteurs d'1,50 mètre à deux mètres, et masqués ", précise Xavier Phan Dinh, membre de la formation. Mais la quinzaine de chanteurs n'a pas vraiment le temps de donner de la voix : tous sont rapidement verbalisés par la police, au nom d'un arrêté pris la veille par le préfet, interdisant tout regroupement sur la voie publique . "L'un d'eux m'explique qu'il est interdit de 'revendiquer', avant que l'un de ses collègues le corrige en précisant qu'il est interdit de 'manifester'. Ce quiproquo est révélateur, selon moi ", se souvient Xavier Phan Dinh.
Décidés à défendre "un droit fondamental, celui de s'exprimer, certes en chantant, et surtout le droit de manifester ", le choriste et sept de ses camarades décident de contester ces amendes, dans un premier temps devant le tribunal de police, dédié aux affaires donnant lieu à des contraventions. Divisés en trois groupes confrontés à trois juges différents, les choristes voient tous leurs amendes confirmées par le tribunal, mais à des montants allant decrescendo : de 135 euros pour les premiers dont le cas est examiné, à onze euros pour les derniers. "A mon humble avis, c'était pour nous diviser ou pour nous dissuader d'aller en cassation ", analyse Xavier Phan Dinh. Dans tous les cas, les juges retiennent la participation à une manifestation non déclarée.
"Sous prétexte de limiter les regroupements sur la voie public au motif de freiner la propagation du virus, on en était venus à porter une atteinte disproportionnée à la liberté de manifester ", détaille Xavier Sauvignet, l'un des avocats qui a accompagné la chorale dans sa démarche. Les choristes refusent d'en rester là. La loi ne permettant pas de faire appel d'une amende inférieure à 150 euros, ils se trouvent dans l'obligation de se pourvoir directement en cassation. La plus haute juridiction française leur donne alors raison.
"Une infraction qui n'existait pas"
"La Cour de cassation rend un attendu très clair qui vient dire que le tribunal de police avait condamné pour une infraction qui n'existait pas, c'est-à-dire la participation à une manifestation non déclarée. Et, en l'absence de texte, on ne peut pas condamner quelqu'un sur ce fondement-là ", détaille Me Sauvignet. "Ce que l'on peut retenir de cette décision, qui est une règle qui existait déjà mais qui est posée de manière très claire par cette autorité régulatrice qu'est la Cour de cassation, est qu'il est interdit de participer à une manifestation interdite, qu'il est également interdit d'organiser une manifestation non déclarée. En revanche, il n'est pas interdit de participer à une manifestation non déclarée ". En effet, dans son arrêt, la Cour précise que "ni l'article R. 610-5 du code pénal, ni aucune autre disposition légale ou réglementaire n'incrimine le seul fait de participer à une manifestation non déclarée ".
Comment expliquer que la Cour de cassation intervienne aussi tard, alors que les manifestations se sont multipliées ces dernières années ? "Des gendarmes ou policiers peuvent facilement verbaliser quelqu'un sur un fondement qui n'est pourtant pas prévu par la loi. En revanche, il est très difficile de venir contester cette verbalisation, de savoir par quel biais saisir le tribunal ", analyse l'avocat. L'étape de la cassation est encore plus complexe, d'autant que les requérants n'ont que cinq jours pour saisir la juridiction. A cela s'ajoute la difficulté de financer les services d'avocats spécialisés. "Vous êtes, à toutes les étapes, dissuadés financièrement et intellectuellement de contester ce type d'amende ", ajoute-t-il.
"Un autre enjeu que le montant de l'amende"
En l'occurrence, les choristes ont fait appel à des particuliers, mais aussi des syndicats comme Sud ou la CGT, au Parti communiste, ou encore à la Ligue des Droits de l'Homme, qui les ont aidés à lancer une cagnotte en ligne pour financer les frais de justice. "Les avocats ont également fait un geste, en nous disant que le montant de la cagnotte leur suffisait, mais ça aurait dû coûter cinq à six fois plus cher ", souligne Xavier Phan Dinh, qui évalue l'action, habituellement, à environ 3.000 euros par requérant. "Lorsque nous nous sommes pourvus en cassation, la dame derrière le guichet m'a regardé et m'a dit 'mais monsieur, l'amende est à onze euros, la cassation coûte énormément cher !' Je pense qu'elle ne comprenait pas qu'il y avait là un autre enjeu que le montant de l'amende (…). Plus on avançait dans notre raisonnement, plus nous étions convaincus qu'il s'agissait-là de quelque chose d'absolument crucial à défendre : le droit de manifester est un droit qui l'emporte sur tous les autres . Si, demain, on ne peut plus exprimer son opinion en manifestant, tout peut nous arriver ".
Le 6 juillet, les choristes ont à nouveau uni leurs voix pour aller célébrer leur victoire en cassation. Ils ont défilé du palais de justice à l'hôtel de police. Une manifestation qu'en tant qu'organisateurs, ils ont dûment déclarée auprès des autorités.