Main basse sur l'Ukraine : l'énergie nucléaire
Bulletin COMAGUER n°485
26 Août 2022
MAIN BASSE SUR L’UKRAINE
Cas de l’énergie nucléaire
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Chacun aura compris que l’acharnement à faire entrer l’Ukraine dans le camp occidental ne pouvait se réduire à l’appartenance à une des institutions du camp occidental.
Faire entrer l’Ukraine dans l’OTAN avait d’autres visées que l’adhé
sion du Monténégro ou de la Macédoine Nord. Dans ces cas là il s’agit juste de renforcer le glacis de l’alliance, d’intégrer l’état major local dans le commandement mondial Etasunien sans qu’il ait le moindre poids dans les prises de décision et de vendre du matériel « made in USA » ; Dans le cas de l’Ukraine il s’agissait d’arracher à l’influence russe un vaste territoire et de créer une frontière de 1581 km entre la Russie et l’OTAN.
Faire entrer l’Ukraine dans l’Union européenne n’était pas ajouter un nouveau membre venant élargir le marché commun c’était ajouter une puissance économique qui au moment de l’indépendance aurait pesé du même poids que la France ou l’Italie avec de très grosses capacités industrielles et agricoles.
Mais ces deux objectifs n’en constituaient en fait qu’un seul : assurer le contrôle total des Etats-Unis sur le plus vaste des états européens 10 % de plus que la France 70 % de plus que l’Allemagne. Dans la course inter-impérialiste l’Ukraine était le gros lot.
Prendre le contrôle de l’importante industrie nucléaire ukrainienne était un objectif stratégique. Il fallait en priorité éliminer l’important armement nucléaire soviétique installé sur le sol ukrainien d’autant plus que le commandement central de cet armement résidait à Moscou. La direction ukrainienne se fit beaucoup prier et son attitude de l’époque doit être rappelée : L’Ukraine nouvellement indépendante acceptait bien le retour des armes nucléaires en Russie mais bien loin de considérer que ce faisant elle pouvait trouver le chemin du désarmement et d‘une certaine neutralité elle manifesta vivement la crainte du nouveau voisin russe.
Cette attitude politique était une affirmation forte par les deux présidents successifs (Kravtchouk et Koutchma) d’un renversement d’alliance en faveur des Etats-Unis qu'il était trop tôt de concrétiser par des traités ou des accords mais qui était idéologiquement acquis sans que la population ait la moindre voix au chapitre
La direction ukrainienne le fit tant savoir qu’elle obtint la signature du fameux mémorandum de Budapest qui malgré son caractère juridiquement non contraignant annonçait une promesse – d’ailleurs assez vague – de protection des Etats-Unis et de La Grande Bretagne face à une menace non dénommée qui ne pouvait être qu’une menace russe. Le nationalisme ukrainien le plus inquiétant était déjà à l’œuvre.
Ayant réussi à apaiser les ardeurs militaires antirusses de l’Ukraine dont ils n’ignoraient rien les Etats-Unis allaient s’employer à mettre la main sur le nucléaire civil qui assurait 50 % de la production électrique du pays Il fallait donc dérussifier cette importante industrie. Le projet était acté dés l’année 2000 dans un accord intergouvernemental Etats-Unis/Ukraine. Pas question pour les Etats-Unis d’impliquer l’Union européenne dans le projet. Il s’agissait bien d’une tentative d’appropriation du secteur par le Capital étasunien.
Projet de longue haleine puisque la totalité des centrales étaient de conception soviétique que leur construction avait été réalisée dans le cadre de l’URSS et que les combustibles étaient fournis et retraités par le groupe russe ROSATOM.
La première étape portait sur les combustibles. Il s’agissait de remplacer progressivement le fournisseur russe par le fournisseur étasunien Westinghouse, lui aussi constructeur de centrale à eau pressurisée de la même catégorie que les réacteurs russes VVER.
L’affaire fut laborieuse et ne commença à prendre corps qu’après la « révolution » orange de 2004 qui permit à Westinghouse de venir sur place pour étudier le problème. En 2005 Westinghouse mettait en place des pilotes dans la centrale n°3 de l’usine Ukraine sud c'est-à-dire qu’elle installait une petite unité de combustible à côté des unités russes.
Ce premier essai ayant donné satisfaction le passage à l’échelle industrielle commençait et Westinghouse faisait venir le combustible depuis son usine de Suède. Petit à petit de 2007 à 2010 le remplacement du combustible russe était réalisé dans plusieurs réacteurs ukrainiens. Ainsi commençait un premier partage du gâteau : en 2010 sur les 6 réacteurs de l’usine de « Zaporoye » 3 étaient alimentés par Westinghouse et 3 par Rosatom. Mais la lutte était féroce et en 2007 Westinghouse avait même perdu un nouvel appel d’offres pour un programme ultérieur.
Il faut voir dans ce cheminement un peu chaotique l’effet d’un rapport de pouvoir instable entre les cliques oligarchiques au pouvoir clique « orange » proaméricaine d’un côté et de l’autre clique des oligarques de l’Est représentée par le parti des régions de Yanukovitch qui essayait de garder un équilibre entre les intérêts russes et les intérêts étasuniens. Le coup d’état de 2014 (Maidan 2) a mis fin à cette instabilité la clique étasunienne ayant éliminé sa rivale et ayant elle-même été remerciée en 2019 par le « Capo » comme on dit à Palerme.
Cette élimination a sa traduction immédiate dans le dossier nucléaire : en 2014 Westinghouse demande à l’Union Européenne d’exclure Rosatom des fournisseurs de combustible nucléaire en Ukraine : en clair demande le monopole du combustible et l’accès, contrôlé ou non à d’importantes quantités de plutonium et d’uranium faiblement enrichi. Bien que l’Ukraine ne soit pas membre de l’UE on sait que des négociations pour une association étaient très avancées avant le coup d’état de 2014.
Le basculement dans le camp étasunien se traduit par l’accord nucléaire de 2016 qui prévoit l’installation de Westinghouse directement sur le sol ukrainien.
- pour y construire 50% des nouveaux réacteurs – modèle Westinghouse évidemment – programmés pour alimenter en électricité et l’Ukraine et le marché de l’UE grâce à la connexion du réseau électrique ukrainien au réseau coordonné de l’UE
- pour fournir 95% du combustible des réacteurs en service
Westinghouse emportait ainsi sur le papier une position dominante à terme sur le marché européen du nucléaire civil.
Mais nouvelle péripétie : en 2017 Westinghouse, entreprise créée par George Washington lui-même, fleuron de l’industrie nucléaire étasunienne fait faillite. Déjà rachetée en 2007 par Toshiba l’entreprise a perdu des milliards de dollars à la suite de retards et d’augmentation des coûts pour 2 centrales en construction en Géorgie et en Caroline du Sud. La faillite gérée en application de la loi étasunienne permet à Toshiba de se retirer du capital et d’éviter sa propre faillite. Sauvé Westinghouse n’est pas pour autant vraiment rétablie. Elle a interrompu la construction de la centrale de Caroline du Sud et n’a pas encore réussi à mettre en service celle de Géorgie. La seule issue : s’approprier tout le marché ukrainien. C’est chose faite depuis le 4 Juin 2022. Le gouvernement Zelinsky a accordé le monopole de la construction et de l’exploitation de tout le nouveau parc à construire et celui de la fourniture du combustible pour tout le parc existant.
Ceci explique la lourde et très périlleuse insistance de Kiev pour que la Russie quitte sans conditions la centrale et toute la région de Zaporoye.
Une nouvelle faillite en vue pour Westinghouse !
Ps : la consultation de divers documents techniques d’origine ukrainienne pour rédiger ce bulletin nous a permis de découvrir un chiffre peu commenté : la population ukrainienne est estimée aujourd’hui à 36 millions d’habitants. La perte est donc de 16 millions depuis l’indépendance sans préjudice des nouvelles républiques qui demanderont sous peu par référendum leur intégration dans la fédération de Russie.