Ken Loach: à l'Humanité : Ce qu’il faut, c’est défendre un programme vraiment socialiste et éviter le sectarisme, la guerre des tendances!
A la Fête et ensuite, "que la gauche reste unie autour d’un véritable programme de transformation de nos sociétés", nous dit le réalisateur britannique Ken Loach. Reynaud Julien/APS-Medias/ABACA |
Le cinéaste britannique Ken Loach, qui termine le montage de son prochain film, a accordé une entrevue exclusive à l’Humanité. Il revient sur le mouvement social en cours dans son pays et les défis de la gauche.
Au Royaume-Uni, de plus en plus de salariés ont voté le principe de la grève dans leurs entreprises. Une façon de faire pression pour entamer des négociations sur le pouvoir d’achat et les salaires, alors que l’inflation atteint des taux record et que la facture d’énergie risque d’augmenter de 80 % pour les ménages.
Dans Sorry We Missed You, réalisé en 2019, Ken Loach abordait la question de l’ubérisation de la société. Son prochain film, toujours dans la veine historico-sociale, se déroule dans un village d’anciens mineurs de charbon qui ne s’est jamais complètement remis de la fermeture des mines. Du sang neuf est apporté par des réfugiés syriens pas toujours bien vus par la population. L’avenir du dernier pub du village, The Old Oak – qui doit normalement donner son nom au film –, est incertain. Sans coller directement à l’actualité, le réalisateur nous plonge une fois de plus dans une atmosphère politique et sociale dégradée.
Ken Loach analyse pour nous ce qui lui semble primordial dans le mouvement actuel : le débouché politique des actions qui se développent.
Que pensez-vous du mouvement social qui est en train de se développer au Royaume-Uni, par le biais des syndicats mais également de la campagne « Enough is enough » (Trop c’est trop) ?
Ce qui se passe actuellement est quelque chose que je qualifierais d’instinctif, un réflexe de survie par rapport aux attaques que subissent les salariés. Mais la grande question est de savoir quelle est l’ambition politique de ce mouvement. Si c’est une campagne qui est simplement limitée au Parti travailliste, alors je pense qu’elle échouera. En revanche, si c’est la première étape vers la création d’un mouvement indépendant du Parti travailliste, avec des revendications politiques précises basées sur ce qu’on appelle le Manifeste de Corbyn (1), alors, oui, il y a des chances de succès. Mais, encore une fois, si ce qui se passe ne sert que les intérêts des députés travaillistes et si ces derniers utilisent le mouvement pour leur réélection sans prendre leurs distances avec leur parti tel qu’il est, je ne vois pas comment cela pourrait aboutir.
Êtes-vous surpris par cette révolte sociale qui remet en cause la primauté du Parti travailliste ?
Non, cela ne me surprend pas. Je pense que si quelqu’un relève sérieusement le drapeau du mouvement ouvrier indépendant, il pourrait ouvrir une autre voie très rapidement. Il y a une vraie demande, une faim même, d’un véritable leadership. Malheureusement, pour le moment, cela n’existe pas. Je crois que les dizaines de milliers de personnes qui ont soutenu Jeremy Corbyn en sont conscientes. Mais elles n’ont plus de foyer politique.
Liz Truss vient d’être nommée première ministre. Va-t-elle simplement suivre les traces de Boris Johnson ?
Il y a quand même quelque chose de marrant. Boris Johnson est la caricature de l’impérialiste et raciste Winston Churchill. Il semble que Liz Truss soit la caricature de Margaret Thatcher. Elle va essayer de faire les mêmes choses. Mais elle n’a pas le poids intellectuel de Thatcher ! Celle-ci était bien sûr une ennemie. Mais Liz Truss est une pâle copie de Thatcher, même si elle est dangereuse, bien sûr. Ce que je ne sous-estime pas.
Votre prochain film rendra-t-il l’atmosphère actuelle du Royaume-Uni ?
Je viens juste de le terminer. Nous en sommes au montage. Faire un film prend du temps donc, évidemment, ça ne parlera pas de ce qui se passe depuis plusieurs semaines en Angleterre et ailleurs. L’histoire ne se situe pas dans la situation politique actuelle précisément, mais elle reflète une réalité politique assez large et sur le long terme.
Ce week-end se tient la Fête de l’Humanité. Avez-vous un message pour les centaines de milliers de personnes qui vont y participer ?
D’abord, je voudrais dire tout mon soutien et toute ma solidarité à ce grand événement que vous organisez chaque année. Tous mes vœux de réussite ! Plus directement, parce que c’est une grande fête de la gauche, il est important justement que la gauche se souvienne et réalise que les sociaux-démocrates trahissent toujours. La gauche doit être la gauche sérieuse, qui doit se battre pour des changements radicaux des structures de notre société, pour que les mesures nécessaires à la classe laborieuse soient prises. Ce qu’il faut, c’est défendre un programme vraiment socialiste et éviter le sectarisme, la guerre des tendances. Le sectarisme nous tue. Donc, bonne chance à la Fête de l’Humanité, que la gauche reste unie autour d’un véritable programme de transformation de nos sociétés.
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(1) Programme progressiste élaboré par l’ancien dirigeant travailliste Jeremy Corbyn visant à déplacer le curseur de son parti. Il a finalement été évincé de la direction par l’aile droite. Ce manifeste aborde aussi bien la question de la révolution industrielle écologique que la reconstruction des services publics, la lutte contre la pauvreté et les inégalités, et même le nouvel internationalisme.