Les derniers livreurs salariés en danger
Ubérisation Just Eat poursuit sa casse de l’emploi, mais maintient son activité avec des autoentrepreneurs.
Pierric Marissal
La CGT livreurs avait donné rendez-vous, mardi, à ses membres et à la presse devant le siège parisien de Just Eat, où se tenait une séance de négociations.
Les représentants du personnel avaient en effet été réunis en plein été pour apprendre que le plan de licenciement économique en cours était annulé et remplacé par un nouveau d’une tout autre ampleur. Si le premier projet prévoyait de se désengager d’une vingtaine de villes françaises, le second ne maintenait de l’emploi qu’à Paris.« Just Eat ne prévoit de garder qu’une centaine de livreurs salariés et une dizaine de postes supports chargés des relations avec les restaurants, à Paris »,précise Ludovic Rioux, délégué CGT chez Just Eat.
L’hiver dernier, il y avait près de 1 000 salariés et, il y a deux ans, l’entreprise promettait l’embauche de 4 500 personnes en France, et s’enorgueillissait de proposer un modèle de livraison de repas socialement responsable, avec des livreurs en CDI. Après avoir fait de sa politique salariale un argument commercial, la multinationale néerlandaise justifie ses licenciements par le dumping social des Uber Eats, Stuart et Deliveroo, qui emploient des autoentrepreneurs.
« Un retour en arrière »
Cela ne veut pourtant pas dire que Just Eat cesse son activité partout en France sauf à Paris. La plateforme continuera de proposer des livraisons de repas de restaurants qui ont leurs propres livreurs, mais surtout sous-traitera les courses aux autoentrepreneurs de Stuart.
Il y a de tels contrats dans au moins 41 villes françaises.« Sur le statut des livreurs, cela donne quand même vraiment l’impression d’un retour en arrière », se désole Ludovic Rioux. La pilule passe d’autant plus mal que le prestataire en question, Stuart, est une filiale à 100 % de La Poste.
Pour enfoncer le clou, elle est même actuellement en procès au pénal pour travail dissimulé…« C’est une entreprise publique qui vient remplacer des travailleurs salariés par des autoentrepreneurs, qui ne payent aucune cotisation et, dans le même temps, on vient nous dire qu’il faut faire une réforme des retraites ? »s’agace le cégétiste.
Bamba, en tout cas, n’est pas rassuré. Ce livreur Just Eat, en CDI depuis neuf mois et ancien autoentrepreneur pour Deliveroo, tient à son contrat de travail, même si tout n’est pas parfait :« Là, j’ai un salaire assuré et de vrais horaires,explique-t-il.Je n’ai pas à travailler 12 ou 14 heures par jour pour boucler le mois ! »Khaoussou Cissokho aussi est inquiet.
Ce livreur en CDI craint que son employeur, qui promet une livraison d’épicerie en moins de 20 minutes, Gorillas, ne s’inspire de Just Eat. Sa peur est justifiée par le fait que son entreprise vient de racheter Frichti, plateforme de livraison française qui emploie des autoentrepreneurs.
« On voit aussi depuis peu des livreurs Stuart venir chercher des courses dans les entrepôts, alors que des coursiers en CDI se font licencier pour tout et n’importe quoi »,
s’inquiète-t-il. En tout cas, il veillera au grain : Khaoussou Cissokho vient d’être élu représentant du personnel CGT Gorillas, avec 70 % des voix dans le collège ouvrier.