1943 : Rafle à Marseille

Publié le par FSC

SOURCE : Histoire et Société

Rafle à Marseille
 

Nous sommes le 6 mars, à la veille du jour où espérons-le la France “s’arrêta” et à l’avant veille d’une célébration de lutte de la journée d’émancipation des femmes qu’aurait reconnue Clara Zetkin… Après deux années passées à chercher une date, Emmanuel Macron a finalement annoncé jeudi 2 mars 2023 qu’un hommage national à Gisèle Halimi se tiendrait au Palais de justice de Paris, mercredi 8 mars 2023, journée internationale des droits des femmes. Serge Halimi, que sa mère appelait Babou, a annoncé qu’il n’y participerait pas parce que la France ce jour là défilerait et que sa mère serait à leurs côtés. Voilà une manière d’honorer la mémoire qui me convient parce que la grande leçon que j’ai retenue de ce temps de rafle et de peur était le besoin des autres, ceux qui sans vous connaitre étaient prêts à vous protéger fut-ce au prix de leur vie. Je ne sais où ils ont disparu, je ne cesse de déplorer leur absence… le seul endroit où j’espère encore les rejoindre est dans la foule de ceux qui refusent de s’incliner et exigent pour tous le droit de vivre dans la dignité, dans la sécurité, dans la paix. Il s’agit encore et toujours de refuser de cautionner l’injustice, contre ceux qui feignent de lutter contre le fascisme, en lui faisant la courte échelle. C’est à cette mémoire-là qu’il faut être être fidèle, d’ailleurs pour certains il est impossible d’être autrement. Serge Halimi a les mêmes origines que les miennes, du côté de l’Afrique du Nord, il en a tiré les mêmes conclusion que moi, nous sommes nombreux et nombreuses dans ce cas. C’est de ce “nous” dont il sera question… (note de Danielle Bleitrach)

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Du 22 au 24 Janvier 1943 le gouvernement de Pétain et le Reich nazi organisent à Marseille la rafle la plus importante après celle du Vel-D’hiv à Paris. L’opération se conclut par la destruction du vieux quartier du Vieux Port.

800 juifs sont déportés et finiront leur vie dans les camps d’extermination.

Quelques familles juives ont réussi à échapper à la rafle. Pour en parler nous accueillerons à l’antenne celle qui était en 1943 la petite fille d’une de ces familles qui a survécu à la rafle.

Elle s’appelle Danielle Bleitrach.

Très connue comme sociologue , comme militante et dirigeante communiste, comme essayiste, elle est aujourd’hui animatrice du site « Histoire et Société ».

Elle a accepté de venir nous raconter cet évènement et nous expliquer la place qu’il a eu dans sa vie. Nous l’en remercions vivement.

Danielle Bleitrach sera à l’antenne

MERCREDI 8 MARS A 20H

Je suis de plus en plus consciente qu’avec une génération disparaissent certaines clés d’une époque. Encore aujourd’hui je marche des heures durant et m’interroge sans cesse sur le sens de cette ville, des gens que je côtoie, c’est à la fois un divertissement et le sens réel d’une vie. J’ai souvent le sentiment détestable d’être submergée par un flot d’interprétations qui sont complètement anachroniques par rapport ce que nous étions, ce que nous avons vécu.

Cela a certainement joué pour toutes les époques mais l’enjeu politique qui a consisté à effacer et à déformer tout ce qui avait trait au communisme a encore aggravé cette dépossession de ma génération. Combien des fois n’ai-je pas eu envie de protester face à des déformations systématiques, insupportables… Il m’est arrivé de rompre avec des proches, des gens que j’aimais, parce qu’ils ne voulaient pas entendre à quel point il y avait cette mémoire que je ne pouvais trahir… je m’indigne alors d’une manière que l’on pourra juger excessive mais parce que je sais que l’avenir en dépend et que déjà cette interprétation là, cherche à nous faire accepter l’inacceptable en nous faisant oublier que nous l’avons déjà vaincu… Que c’est possible et qu’il ne faut pas se résigner, ni chercher les voies de la facilité.

La meilleure chose qui puisse t’arriver est de ne jamais renoncer à être curieux, à apprendre, j’ai eu cette chance là, il n’y a pas de sujets qui me rebute si j’y trouve des enseignements sur mon semblable. Une thèse m’expliquerait-elle le trajet du sel en basse bretagne au 13 e siècle que j’y trouverais probablement de quoi méditer sur le pas que me fait franchir ce savoir, c’est un voyage et je n’aime rien tant que les voyages, être dans la vie comme au cinéma, dans un train devant lequel défilent les paysages. Ce fut le divertissement de l’enfance, c’est le seul remède pour empêcher la vieillesse de m’enfermer encore vivante dans les battements d’un corps qui n’est déjà plus moi. Mais je ne sais pas pourquoi je ne m’en suis jamais contentée: il s’agissait là d’un privilège dont je devais rendre compte, c’était un don qui nécessitait échange, don contre-don pour conserver sa magie. Quelque chose de l’ordre d’un commandement, d’un impératif catégorique peut-être la loi mosaïque comme unique croyance : tes père et mère honorera afin de vivre longuement. Ceux qui m’ont donné cette vie, ce bonheur d’être née avec moi, de ne jamais m’ennuyer, de connaitre ces bouffées de plénitude étaient mes ancêtres certes. Être juif ce n’était rien d’autre que d’être issue de gens qui depuis plus de mille ans avaient préféré subir tous les mépris, tous les ghettos, plutôt que de se renier… cela reste cela… Mes pères et mes mères, mais il y a aussi tous ceux qui tout en n’étant pas juifs sont restés à mes côtés, m’ont protégée au prix de leur vie, ceux à qui je dois la vie dans ces rafles qui marquèrent ma petite enfance, l’armée rouge, les communistes, ceux qui refusèrent de plier… Alors au nom des miens, tous ceux-là, j’ai voulu que mon goût extrême pour l’apprentissage, ma curiosité, ce privilège d’une vie, soit partagé, la politique, l’engagement ce fut d’abord ça… le reste pouvoir, notoriété, j’ai eu la chance de ne leur accorder aucun prix et de m’ennuyer dans leur exercice, si ce n’avait été le cas, je serais morte de chagrin au vu de ce qui m’a été infligé.

Pourquoi la vérité historique m’est-elle apparue toujours si importante? Pourquoi ai-je choisi de devenir historienne ? puis sociologue, pourquoi n’ai-je cessé de parcourir les pays, de questionner la planète en revenant toujours arpenter les rues et les paysages de l’enfance ? Parce que dans le fond je cherchais une science qui aurait été incomplète si elle ne nous aidait pas à mieux vivre tout en se méfiant de tout moralisme, une science qui travaillerait au profit des êtres humains en ayant l’être humain pour objet, une manière d’apprendre à maitriser notre destin collectif. De grandes choses ont été accomplies dans ce sens dans des temps par ailleurs horribles, nous avons besoin de le savoir. Je remercie COMAGUER de m’avoir invitée pour ce témoignage sur nous.

Danielle Bleitrach

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