Sophie Binet, nouvelle secrétaire générale de la CGT : « J’irai à Matignon avec un seul mot d’ordre : le retrait »

Publié le par FSC

Premier entretien avec la presse avant son passage ce matin à France Inter :

Naïm Sakhi et Sébastien Crépel
L'Humanité du 02 avril 2023

 

La nouvelle secrétaire générale de la CGT, Sophie Binet, a accordé son premier entretien dans les médias à l’Humanité. Elle tire les premières leçons du 53e congrès, qui l’a élue, à Clermont-Ferrand, et dit sa détermination à gagner le combat contre la réforme des retraites. ENTRETIEN.

Âgée d’à peine 41 ans, Sophie Binet est la première femme élue à la tête de la CGT, en cent vingt-huit années d’existence du syndicat. Après avoir fait ses armes dans le syndicalisme étudiant au sein de l’Unef, où elle a pris part au combat victorieux contre le contrat première embauche (CPE) en 2006, la nouvelle secrétaire générale de la CGT a intégré l’éducation nationale comme conseillère principale d’éducation, en poste à Marseille (Bouches-du-Rhône) à partir de 2008, puis au Blanc-Mesnil (Seine-Saint-Denis).
Elle a été élue secrétaire générale de l’Ugict, l’important syndicat des ingénieurs, cadres et techniciens de la CGT, en 2014, responsabilité qu’elle a assumée en codirection avec Marie-José Kotlicki jusqu’en 2022.
Nous avons rencontré Sophie Binet à Clermont-Ferrand (Puy-de-Dôme), vendredi après-midi, juste après son élection à la tête de la CGT, et alors que se profilent le rendez-vous de l’intersyndicale avec Élisabeth Borne, mercredi 5 avril, et la nouvelle journée d’action interprofessionnelle à l’appel des syndicats contre la réforme des retraites, jeudi 6 avril.

Vous êtes à ce jour l’unique femme secrétaire générale en titre d’une grande confédération. Est-ce un message adressé à l’ensemble du monde syndical ?

Sophie BINET :


C’est d’abord une grande fierté que la CGT soit capable d’élire une femme à sa direction. C’est une grande responsabilité sur mes épaules. Les congressistes ont envoyé un signal très fort aux travailleuses, aux militantes de tous horizons et aux syndiquées.
Avec ce congrès, un cap a été franchi. Il n’était plus possible de dire qu’on voulait qu’une femme dirige la CGT pour se retrouver, à la fin, avec un homme.
Cette séquence a été malheureusement difficile, parfois violente pour Marie Buisson. Je pense vraiment à elle, je souhaite que nous puissions travailler ensemble, et je suis contente que Céline Verzeletti soit au bureau confédéral.

Votre candidature a été portée pour rassembler la CGT et éviter une fracture. Êtes-vous prête à relever ce défi ?
Nous avons collectivement une obligation de résultat. La spécialité de la CGT, ce sont les luttes sociales. Et quand nous les menons, nous sommes capables de nous rassembler pour dépasser toutes les difficultés. Cela tombe bien, nous sommes engagés dans un bras de fer sur la réforme des retraites.
Cette dynamique militante a permis de sortir de ce congrès avec une CGT rassemblée. Loin d’être un slogan marketing, la culture des débats est notre ciment commun.
La CGT fonctionne sans fraction ni tendance, elle a cent vingt-huit ans derrière elle et porte l’essence du monde du travail. Elle a toujours su, et vient de le démontrer, faire face aux difficultés, se rassembler et en sortir dans l’intérêt des travailleuses et travailleurs.
Les militants ne sont pas enfermés dans des cases, au contraire, les échanges sont libres et nous travaillons à trouver des points communs. Durant les débats, l’ensemble des congressistes ont rappelé leur attachement à la CGT. C’est ce point qui permet de nous rassembler.
Mais notre force réside aussi dans notre diversité, contrairement à d’autres centrales syndicales. À la CGT, il n’y a pas de majorité et de minorité. Notre démarche est de toujours chercher à rassembler le plus largement possible.
De l’extérieur, ceux qui ne connaissent pas le monde syndical pensent que nos élections internes sont jouées d’avance parce que, en général, elles se soldent par des scores très élevés. C’est tout le contraire, ces majorités larges résultent d’un travail long et passionnant. Notre texte d’orientation a été adopté à 72,8 % des voix. C’est un point d’appui solide, rendu possible par les amendements de nos syndicats. La direction sortante a eu l’intelligence de les entendre.


Durant le congrès, les délégués ont donné l’impression de vouloir reprendre en main les débats, en dehors des cadres confédéraux préétablis. Est-ce révélateur d’une demande de plus de dialogue dans la centrale ?

Sophie BINET :


La CGT fonctionne par en bas. Cela s’est une fois de plus vérifié. Les congressistes ont pris le pouvoir. Ils avaient une grande exigence démocratique. Mais quand la violence s’invite sur certains points de tension, c’est inacceptable. Ces pratiques virilistes excluent les femmes des cadres militants.
Cela étant dit, j’étais confiante dans notre CGT, et dans la maturité de ses organisations qui ont décidé de mener ce congrès à bon port. Soyons lucides par rapport aux attentes des jeunes générations : si la transparence et la démocratie ne restent que des slogans, la CGT se fera sans eux.
Je souligne aussi le respect des militants pour l’intervention de Marie Buisson, lors de l’ouverture du congrès. Elle a été bien applaudie.
Lors de mon discours, j’ai tenu à saluer Marie Buisson, Philippe Martinez et Olivier Mateu (opposant dans la CGT à l’orientation de Philippe Martinez – NDLR). C’est un principe évident de respect. Les congressistes ont applaudi, ce qui démontre leur grande responsabilité.



On a parfois eu le sentiment d’un décalage entre les tensions du congrès, et la popularité des syndicats dans la rue, l’unité de l’intersyndicale et de ses dirigeants. Cette unité va-t-elle perdurer ?

Sophie BINET :


Oui. Les médias, le patronat et le gouvernement annoncent tous les jours la fin de l’intersyndicale, mais cette union des organisations contre la réforme des retraites démontre une confiance collective, une maturité et une détermination à gagner. Avec un seul mot d’ordre : le retrait.
Nous irons à Matignon dans cette optique. Cette unité très forte de l’intersyndicale est un acquis très important du bilan de Philippe Martinez.
Enfin, si la CGT sort rassemblée de ce congrès, c’est aussi grâce à Emmanuel Macron. (Rires.) Je lui adresse mes grands remerciements : nous sommes soudés pour combattre sa politique, à commencer par sa réforme des retraites. C’est notre priorité numéro un.
Je suis convaincue que nous obtiendrons le retrait de cette réforme avant d’aller au bout du processus de RIP (référendum d’initiative partagée, lancé par les parlementaires de gauche – NDLR). Ce référendum est un étage supplémentaire dans la lutte.
Mais notre point d’appui essentiel reste le rapport de force social. Cela passe par la grève et les manifestations. Nous appelons les salariés à les développer, notamment le 6 avril, puis le 7 avril, journée d’action dans la santé.



La CGT est une organisation implantée chez les salariés à l’emploi stable et statutaire. La syndicalisation des précaires reste un défi. Est-elle une priorité ?

Sophie BINET :


Pendant notre congrès, j’ai relevé l’intervention de Lætitia Gomez, secrétaire générale de la CGT de l’intérim. Elle a rappelé que notre pays compte 800 000 intérimaires. Ils représentent près de 20 % des ouvriers. La syndicalisation des précaires est centrale, bien que ce défi soit complexe. La CGT a déjà gagné des droits nouveaux pour les intérimaires, même si les pratiques de dumping social permettent trop souvent de les contourner.
La syndicalisation des travailleuses et travailleurs de plateformes est aussi un enjeu des années à venir. Mais la transformation du salariat est à appréhender dans sa totalité. En se questionnant, bien sûr, sur la précarisation des ouvriers et la tertiarisation de l’économie, mais aussi sur le chantier central des ingénieurs, cadres et techniciens. Ils pèsent pour près de 50 % du salariat.
Si nous ne parvenons pas à les impliquer dans les luttes en partant de leurs revendications, nous ne pourrons pas construire de rapport de force majoritaire. C’est indispensable pour agir comme syndicat de classe dans les luttes sociales, et comme syndicat de masse dans les élections professionnelles.
La CGT a perdu sa première place (aux mesures de la représentativité nationale – NDLR) du fait des votes dans les deuxième et troisième collèges (ceux des cadres, ingénieurs et agents de maîtrise – NDLR).
Ce n’est pas la CFDT qui progresse, puisqu’elle baisse au profit de la CFE-CGC, mais bien la CGT qui n’a pas su s’adresser à ces salariés.



L’élection d’une cadre à la tête de la CGT n’était pas évidente. Redoutez-vous un procès en non-représentation des travailleuses et travailleurs ?

Sophie BINET :


Mon profil n’est pas entièrement une nouveauté. En réalité, l’élection de Philippe Martinez a déjà constitué une forme de transition. C’est un technicien supérieur, il était secrétaire général chez Renault de son syndicat Ufict (union fédérale des ingénieurs, cadres et techniciens – NDLR). C’était donc aussi un militant de l’Ugict (le syndicat dont Sophie Binet est la secrétaire générale – NDLR).
Mais c’est vrai : je n’ai pas le même vécu que les ouvriers ou les employés. Les cadres ne doivent pas voler la parole des ouvriers, ce sera une de mes grandes préoccupations. Au contraire, je travaillerai à ce qu’ils et elles soient davantage visibles dans le débat public : les ouvriers et les employés représentent la moitié du salariat et pourtant ils et elles sont absents des radars médiatiques.
C’est pour cela que nous avons élu beaucoup d’ouvriers et d’employés dans la direction confédérale. Le syndicalisme est un outil d’émancipation de classe dans les rapports sociaux à l’œuvre au travail. Le centre de gravité de la CGT ne va pas bouger.
Je suis secrétaire générale de l’Ugict – je vais bien sûr passer la main dans les prochains jours –, les délégués m’ont élue en connaissance de cause. Le signal envoyé vers les ingénieurs, cadres, techniciens et agents de maîtrise est évident. Mais la CGT doit rester le premier syndicat chez les ouvriers et les employés, c’est sa marque de fabrique.



La démarche d’ouverture de la CGT vers d’autres mouvements, notamment écologistes, a été durement critiquée durant le congrès. Va-t-elle se poursuivre ?

Sophie BINET :


Cela fera l’objet d’un débat de la direction. Et je ne prendrai aucune décision seule. Le document d’orientation traite des enjeux environnementaux du rapport avec les ONG et les associations, en rappelant que ces dialogues doivent se nouer à partir des principes de la CGT. Nous devons dépasser les contradictions entre le social et l’environnement, en partant du travail.
Ces luttes conjointes doivent partir de l’entreprise, de notre travail syndical, au quotidien. Si nous ne transformons pas l’appareil productif, nous ne répondrons pas aux enjeux environnementaux.
C’est aussi très important de souligner que les amendements votés ont renforcé les orientations féministes du document d’orientation, et notamment l’enjeu de lutter contre les violences sexistes et sexuelles, au travail, dans la vie comme dans la CGT.



Les congressistes ont insisté sur la nécessité d’un fonctionnement plus démocratique. Cela va-t-il conduire à des changements dans la vie de la CGT ?

Sophie BINET :


Les syndiqués ont envoyé des messages forts, il faudra les prendre en compte. La démocratie est une pratique quotidienne. Ce congrès a révélé une culture commune du débat, tout comme une opposition à toute forme de passage en force.
Les désaccords doivent être exposés pour, ensemble, les dépasser. Le but n’est pas de réaliser une synthèse molle, mais d’en appeler à notre intelligence collective.

 

Publié dans CGT 53e CONGRES

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