FIRMIÈRE : ELLE ABANDONNE LE MÉTIER – Le Billet d’Humeur du Docteur Christophe Prudhomme
REPRIS de Commun Commune
SOURCE : Page Facebook de Christophe Prudhomme
Léa a fait ses études d’infirmière avec enthousiasme, heureuse de s’engager dans une voie dont elle avait toujours rêvé. Son stage dans un service d’urgences l’avait enthousiasmée car elle s’était sentie intégrée dans une équipe.
Malgré une charge de travail importante, elle avait senti la motivation de l’ensemble des personnels dans une activité où chacun doit apporter sa compétence pour assurer la meilleure coordination possible dans un temps réduit. Lors de la prise en charge des patients les plus graves, alors qu’elle redoutait de ne pas être à la hauteur, elle avait apprécié la petite poussée d’adrénaline qui vous rend plus performant, notamment quand vous êtes bien encadré et que vous avez confiance dans vos collègues.
Le passage dans ce service l’avait convaincue que c’était dans ce type d’activité qu’elle souhaitait s’investir à la fin de ces études. Elle n’avait eu aucun problème pour obtenir un poste du fait du manque global de personnel mais aussi de la très grande rotation des effectifs dans les services d’urgence. Elle s’était vite intégrée et le travail lui plaisait. Cependant, les difficultés de fonctionnement de l’hôpital la faisaient souvent râler. Trop souvent, il fallait travailler en sous-effectifs et elle était régulièrement épuisée en fin de service.
Plus stressant encore était le fait de prendre son poste avec de nombreux patients alignés dans le couloir sur des brancards en attente de lits. Patients qui constituaient une charge de travail supplémentaire au détriment de l’accueil et des soins à prodiguer aux nouveaux patients arrivant dans le service. Cette situation était fatigante et démotivante car, malgré les pressions du chef de service sur la direction la situation ne s’améliorait pas et elle supportait de moins en moins ce qu’elle considérait comme irrespectueux pour les patients et surtout dangereux, car il était difficile de surveiller les patients dans ces conditions.
Puis est survenu, le drame. Une patiente déposée par les pompiers et en attente dans un couloir est retrouvée décédée sur son brancard. Elle avait 29 ans, avait pris des produits toxiques en fin de soirée lors d’une fête, mais était consciente sans signes de gravité évidents lors de son arrivée et, par manque de salle d’examen disponible, avait été laissée en attente sans surveillance particulière.
Pour Léa qui avait le même âge, le choc fut rude, d’autant plus rude que la direction de l’hôpital fit tout pour minimiser l’événement sans reconnaître que la principale cause était bien le manque de moyens, tant en personnel qu’en lits, dénoncé en permanence mais en vain. Elle a repris le travail mais elle prenait son poste avec l’angoisse de la répétition d’un événement similaire. Au bout de quelques mois, elle a fait le constat qu’elle ne supportait plus de travailler dans ces conditions et qu’un ressort était cassé.
Depuis quelque temps, son compagnon cuisinier avait le projet d’ouvrir son propre restaurant. Léa s’est alors dit que ce serait peut-être mieux pour elle. Elle a alors démissionné, fait quelques missions d’intérim, le temps de lancer l’affaire. Elle a maintenant complètement abandonné son métier d’infirmière et est très heureuse, avec de temps en temps un peu de nostalgie, mais aucun regret.
Docteur Christophe Prudhomme
Praticien hospitalier- SAMU 93