La CARLTON de Cannes : la lutte paye !
Dénonçant le manque d’effectifs et les conditions de travail incompatibles avec la réponse aux demandes croissantes de la clientèle internationale, les salarié·es de l’hôtel Carlton de Cannes se sont mis·es en grève le 12 août dernier avec l’appui de leur syndicat CGT. Vingt-quatre heures plus tard, ils ont obtenu l’embauche de 70 salarié·es en CDI, la préparation d’un plan d’amélioration des conditions de travail et une prime de 750 euros.
Un hôtel mythique pour les plus riches….
Face à la Croisette de Cannes, l'Hôtel Carlton est depuis plus d'un siècle la résidence privilégiée des plus riches du monde. Pour les séduire toujours plus, l'hôtel s'est lancé en 2014 dans une vaste campagne de rénovation en profondeur et la construction de 47 appartements de luxe. Le Carlton a même été fermé durant plus de deux ans et demi, avant de rouvrir le 13 mars 2023. Près de 400 millions d’euros ont été dépensés pour que le palace de la Croisette rivalise avec les plus grands hôtels de luxe du monde. Depuis dix ans, il est la propriété de l’État du Qatar qui le qualifie d’« écrin de la french rivera ». L’hôtel est même classé au titre des monuments historiques…
Inspiré du style néoclassique sur fond de Belle Epoque, la façade de l’hôtel coiffé de ses deux dômes attire tous les regards. Un jardin intérieur méditerranéen doté d’une piscine à débordement a même été créé, et les client·es peuvent y dépenser leur argent au bar qui trône en son sein. Les 340 chambres et suites totalement rénovées connaissent un succès appuyé, comme le prouvent les 68 millions d’euros de chiffre d’affaires déjà engrangés depuis la réouverture de l’établissement.
Des millions dépensés pour sa rénovation, mais pas pour les conditions de travail !
Mais derrière ce cadre idyllique, les coulisses sont beaucoup moins glamour.
En effet, la direction de l’hôtel a profité de la période des travaux pour opérer de nombreux changements affectant sérieusement les conditions de travail des salarié·es. Ces transformations d’ampleur ont abouti à la suppression d’espaces de travail au sein des étages, à la réduction en termes de superficie des réserves et de locaux prééexistants. Désormais, les salarié·es sont regroupé·es au sous-sol de l’hôtel sans éclairage naturel, et doivent supporter la lumière des néons toute la journée.
Le CHSCT avait déjà alerté la direction sur les mauvaises conditions de travail lors de la présentation des plans par l’architecte en 2018. La direction n’avait alors pas jugé utile de prendre ces alertes au sérieux, pas plus que les interventions de l’Inspection du travail à ce sujet.
Dans ces conditions, les salarié·es sont contraint·es à de multiples va-et-vient entre les espaces de travail situés au sous-sol et les étages où se trouve la clientèle, ce qui engendre épuisement et perte de temps.
L’hôtel n’a pas non plus prévu suffisamment d’ascenseurs, ces derniers sont d’ailleurs trop petits pour accueillir les chariots à bagages ou encore les tables du service d’étage. Par manque de place, la vaisselle s’entasse dans les couloirs du restaurant, entravant le passage des serveurs.
Alors que l’hôtel est flambant neuf, les remontées d’odeurs issues de canalisations et les fuites d’eau sont devenues quotidiennes. Les défauts de climatisation dans les chambres sont constants, les fours et les machines à glaçons tombent en panne sans cesse, le réseau wifi connaît de fréquentes déconnexions et la domotique n’est visiblement pas au point…
Pour ne rien arranger, la direction a largement sous-estimé le nombre de salarié·es nécessaires eu égard au haut niveau de prestations proposées à une clientèle habituée à être satisfaite sur le champ…
Confronté·es à ces conditions inacceptables, et avec l’aide d’un syndicat CGT fort et bien implanté (le syndicat a recueilli 70 % des suffrages lors des dernières élections professionnelles), les travailleur·ses du Carlton sont entré·es dans la lutte.
La grève, la solution !
Les revendications, élaborées de manière étroite entre les salarié·es et la CGT, étaient les suivantes :
l’embauche de personnels supplémentaires en CDI ;
l’amélioration des conditions de travail
Pour être sûre de se faire entendre, la CGT a envoyé directement les revendications par mail aux dirigeants qataris plutôt qu’à la direction opérationnelle de l’hôtel qui tentait par tous les moyens d’étouffer les réclamations salariales. Aussitôt l’envoi fait, le patron du groupe a effectué sa réservation depuis Doha pour se rendre au Carlton.
Le 12 août, 80 salarié·es de tous services (femmes de chambres, cuisinier·es, valets, technicien·nes) se sont mis·es en grève dès 5 heures du matin.
Puis à 11 heures au cours de la même journée, l’action s’est rendue plus visible. des banderoles de l’intersyndicale CGT, FO et CFE-CGC ont été installées devant le perron de l’hôtel face à la croisette, affichant les mots « Hôtel Carlton, salariés en colère » en anglais et en français.
Une belle victoire sous le soleil cannois…
Les dirigeants qataris peu habitués à la contestation syndicale – ni à la contestation tout court – se sont engagés à satisfaire aux revendications syndicales :
- passage de 70 salarié·es précaires en CDI
- 750 euros de prime Macron ;
- amélioration de l’ensemble des conditions de travail au sein de l’hôtel, notamment la réduction de la distance entre les espaces de travail et les espaces clientèle pour réduire la fatigue inutile ;
- instauration d’un parc de stationnement pour les vélos et les trottinettes.
Après plus de deux ans et demi de fermeture, la CGT a su démontrer son importance aux côtés des salarié·es combatif·ves et déterminé·es à défendre leurs droits et en gagner de nouveaux. Plus d’une dizaine de nouveaux·lles salarié·es ont d’ailleurs décidé de se syndiquer à la CGT à l’issue du conflit.
Montreuil le 6 septembre 2023
Rédigé par M.A