Le milieu culturel dénonce le bannissement des artistes sahéliens

Publié le par FSC

Incohérences et stupidités criminelles de la politique africaine, extérieure plus généralement du pouvoir macronien !

 

 

_______________

SOURCE : Mediapart

Le gouvernement intime aux structures culturelles françaises de suspendre leurs projets menés avec des ressortissants ou institutions maliennes, burkinabè et nigériennes, en raison du contexte sécuritaire. Une décision jugée « absurde », en France comme en Afrique.

Il y a de cela six mois à peine, le 27 février, Emmanuel Macron avait décliné, depuis le palais de l’Élysée, les priorités de sa politique africaine, et à l’écouter, les artistes devaient y jouer un rôle prépondérant. « L’objectif que nous devons poursuivre est d’avoir [...] une politique qui associe pleinement les entrepreneuses et entrepreneurs, les innovateurs, les sportifs, les artistes, les scientifiques [et] qui a vocation à ne pas être simplement de gouvernement à gouvernement, mais qui doit pleinement assumer de traiter avec la société civile des différents pays d’Afrique », avait-il fièrement annoncé.

Le président français avait affirmé l’ambition de développer « une politique plus simple, plus lisible ». Six mois plus tard, jamais n’avait-elle semblé plus indéchiffrable : loin de choyer les artistes africains, le gouvernement français vient en effet de les impliquer bien malgré eux dans la brouille qui l’oppose au Mali, au Burkina Faso et au Niger, suscitant une fronde puissante du monde de la culture.

Le 11 septembre, un mail expéditif est envoyé par le secrétariat du ministère de la culture aux directeurs et directrices des directions régionales des affaires culturelles (Drac), qui le répercutent auprès des structures culturelles. « Sur instruction du ministère de l’Europe et des affaires étrangères, il a été décidé de suspendre, jusqu’à nouvel ordre, toute coopération avec les pays suivants : Mali, Niger, Burkina Faso, indique le message. Par conséquent, tous les projets de coopération qui sont menés par vos établissements ou vos services avec des institutions ou des ressortissants de ces trois pays doivent être suspendus, sans délai, et sans aucune exception. »

Le courrier précisait : « Tous les soutiens financiers doivent également être suspendus, y compris via des structures françaises, comme des associations par exemple. De la même manière, aucune invitation de tout ressortissant de ces pays ne doit être lancée. À compter de ce jour, la France ne délivre plus de visas pour les ressortissants de ces trois pays sans aucune exception, et ce jusqu’à nouvel ordre. » Autrement dit, le milieu culturel français est sommé de couper les ponts avec les artistes et les institutions de ces trois pays dont les dirigeants, des militaires arrivés au pouvoir après un coup d’État, ont décidé de rompre militairement et diplomatiquement avec la France.

Le Mali a exigé – et obtenu – le départ des troupes françaises, mais aussi de l’ambassadeur, Joël Meyer, en 2022. Depuis, la France ne compte plus qu’un chargé d’affaires dans ce pays, Marc Didio (pressenti pour devenir le prochain conseiller Afrique d’Emmanuel Macron). Le Burkina Faso a également demandé aux troupes françaises de quitter son territoire en février dernier, et a exigé le remplacement de l’ambassadeur Luc Hallade. En août, la junte a refusé de donner son agrément au diplomate proposé par Paris pour lui succéder, Mohamed Bouabdallah.

Quant à la junte nigérienne, qui a pris le pouvoir le 26 juillet dernier, elle a demandé aux 1 500 militaires français de quitter le pays et déclaré l’ambassadeur Sylvain Itté persona non grata. Depuis plusieurs semaines, celui-ci est reclus dans l’ambassade, la France refusant de répondre aux injonctions d’un pouvoir qu’elle ne reconnaît pas et exigeant toujours le rétablissement dans ses fonctions du président déchu Mohamed Bazoum.

Incohérent

 

Cette brouille opposant Paris à trois pays de son ex « pré carré » est inédite. Mais jamais le monde de la culture n’avait imaginé y être directement impliqué. « C’était devenu compliqué ces derniers temps, indique Sébastien Lagrave, directeur du festival Africolor, qui invite depuis 34 ans des groupes africains (et notamment sahéliens) pour qu’ils se produisent en région parisienne. Au Mali, nous avons dû suspendre nos projets de coopération il y a un an après l’interdiction, par la junte, de tout financement français pour des organisations maliennes. Nous étions conscients aussi qu’avec la fin de l’aide au développement décidée par la France il y a quelques mois, la culture finirait par être touchée. Mais on ne pouvait pas imaginer une telle décision. »

Cette circulaire, poursuit Sébastien Lagrave, « est terriblement violente » : « Nous avions déjà connu des moments difficiles, comme des suspensions de visas avec un pays, mais jamais nous n’avions reçu des interdictions de ce type. » La programmation du prochain festival Africolor, prévu du 17 novembre au 24 décembre, est d’ores et déjà perturbée. Trois concerts risquent d’être annulés : deux de la chanteuse malienne Nahawa Doumbia, et un du BKO Quintet. « C’est le travail d’une année qui est mis à terre », déplore l’organisateur, qui se dit « triste » et « en colère ». « Pendant dix ans au Mali, on nous a expliqué qu’il fallait mettre en avant la diplomatie culturelle. Des choses ont été mises en place comme la Saison Africa2020. Ce changement de pied est incohérent ! »

Sébastien Lagrave n’est pas le seul à dénoncer une situation « absurde ». Le 13 septembre, le Syndicat national des entreprises artistiques et culturelles (Syndeac) a vivement réagi à la directive gouvernementale : « Ce message est totalement inédit par sa forme et sa tonalité, déplore-t-il dans un communiqué. Cette interdiction totale [...] n’a évidemment aucun sens d’un point de vue artistique et constitue une erreur majeure d’un point de vue politique. C’est tout le contraire qu’il convient de faire. »

Le syndicat constate que « cette politique de l’interdiction de la circulation des artistes et de leurs œuvres n’a jamais prévalu dans aucune autre crise internationale, des plus récentes avec la Russie, aux plus anciennes et durables, avec la Chine ». Interrogé par Le Monde, son vice-président, Bruno Lobé, rappelle que « la philosophie de la France vis-à-vis d’artistes vivant dans des pays avec lesquels elle est en conflit a toujours été de continuer à les inviter, sans jamais rompre le dialogue. Ces créateurs sont déjà empêchés de travailler par leurs propres gouvernants. Si nous en rajoutons une couche, ce sera pour leur viabilité mais aussi pour l’image de la France, une véritable catastrophe ».

Le réseau de musiques du monde « Zone franche », qui pilote le dispositif Visas Artistes, visant à fluidifier leur circulation, et qui s’apprêtait à communiquer sur le programme de ses « états généraux des musiques du monde », a également fait part de son désarroi.

« Ces mesures sont en contradiction avec les engagements internationaux de la France, indique-t-il dans un communiqué. Elles mettent en danger les artistes de là-bas, qui ne sont pour rien dans les errements diplomatiques entre nos pays, ainsi que les acteurs culturels français : les salles et festivals qui programment, les labels qui ont des projets d’enregistrements, et tout autre opérateur culturel qui travaille avec des artistes, qu’ils soient émergents ou internationalement reconnus, provenant de ces pays. C’est tout un écosystème musical national, par lequel la France rayonne habituellement dans le monde, et donc beaucoup d’emplois qui vont être impactés par ces mesures. »

Ouvrir le débat

 

Des associations des trois pays concernés craignent de voir leurs projets s’effondrer, et s’interrogent même sur leur avenir. Tourneur, directeur du Soko Festival à Ouagadougou, et de Yaara Music, un réseau de musiciens ouest-africains, Ibrahim Keïta est très inquiet. Plusieurs concerts de musiciens burkinabè prévus en France ces prochains mois ont d’ores et déjà été annulés, et la deuxième édition du Burkindi Heritage, un grand concert prévu en France en mai 2024, est en suspens.

Surtout, sa structure ne bénéficie déjà plus de l’appui de la coopération française. « Nous avions plusieurs projets avec l’ambassade et nous bénéficiions de l’aide de l’Institut français, qui nous fournissait du matériel et des locaux. Mais depuis quelques mois, nous n’avons plus de nouvelles, personne ne nous répond plus », témoigne-t-il. Il estime la perte à 20 000 euros en 2023. « C’est dommage d’en arriver à des mesures aussi extrêmes, alors que la culture peut jouer un rôle de fédérateur », souligne-t-il.

De nombreux artistes du continent ont réagi. L’écrivain franco-congolais Alain Mabanckou a tweeté : « C’est une aberration pour un pays qui avait été jusqu’alors perçu comme l’un des garants de la liberté d’expression et de mobilité. L’art a perdu ses ailes… »

La chanteuse malienne Rokia Traoré s’est pour sa part fendue d’un texte qu’elle a transmis à Mediapart : « Nous sommes nombreux, au Mali, au Burkina Faso et au Niger, à avoir été choqués par la nouvelle des consignes du ministère de la culture français [...] La démarche sur le plan diplomatique est inintelligible, elle est injuste sur les plans culturel, social et humain à l’égard des artistes, des festivals et des organisations culturelles qui vont en subir l’impact en France et dans ces pays du Sahel. Les raisons qui transparaissent de cette décision me semblent extrêmement mesquines. » Ce faisant, elle en appelle à l’ouverture d’un débat : « Peut-être est-ce là l’occasion de faire le bilan dans ces pays, afin de pouvoir estimer ce que toutes ces années d’assistanat de la France dans le secteur culturel nous ont réellement apporté ? »

Joint par Mediapart, le chanteur sénégalais Didier Awadi a également fait part de son incompréhension : « Les dirigeants français ont tout faux en tapant sur la culture. Cela n’a aucun sens, au moment où il faudrait construire des ponts, et non ériger des murs. Ce sont les artistes qui peuvent faire se rencontrer les peuples. C’est totalement contre-productif, cela va encore une fois attiser le sentiment anti-France dans ces pays et plus largement sur le continent. » Comme d’autres, Didier Awadi constate que cette directive intervient alors qu’il était déjà de plus en plus difficile, pour les artistes africains, d’obtenir un visa pour la France.

Hier soir, le chanteur sénégalais a participé à un concert organisé à Paris par le collectif pro-démocratie Tournons la page (TLP), dans le cadre d’une campagne citoyenne appelant à la limitation des mandats sur le continent. Mais il manquait plusieurs artistes à l’appel : Nourrath la Debboslam (Niger), Lyne des Mots (Côte d’Ivoire) ou encore Papy Kerro (République démocratique du Congo), lesquel·les ont rencontré des difficultés administratives qui ne leur ont pas permis d’obtenir le visa à temps.

On nous dit que c’est un problème technique. Mais ce n’est pas technique, c’est un choix.

Sébastien Lagrave, directeur du festival Africolor
Les délégations togolaise et sénégalaise du mouvement se sont quant à elles vu refuser leur demande de visa. « Cela n’a jamais été simple de venir en France, mais depuis quelque temps, c’est devenu quasi impossible », déplore une membre de TLP. Il y a un an, Afrique XXI indiquait que le taux de refus dans les consulats était particulièrement élevé depuis plusieurs années, notamment pour les étudiant·es. En 2019, sur 1 471 374 demandes de visa en provenance de 47 pays africains, 448 400 ont été refusées, soit un taux de 30,47 % – presque deux fois plus que la moyenne de l’ensemble des consulats français dans le monde (16 %).

Face à la fronde du milieu culturel, le gouvernement a tenté d’éteindre l’incendie, prétextant une mauvaise interprétation de la directive. Dans un communiqué d’abord : jeudi, le ministère de la culture a indiqué qu’« aucune déprogrammation d’artistes, de quelque nationalité que ce soit, n’est demandée ni par le ministère des affaires étrangères, ni par le ministère de la culture », et que chaque artiste ayant obtenu un visa pourrait se rendre en France.

Par la voix de la ministre ensuite : ce vendredi matin, Rima Abdul Malak a assuré sur RTL qu’il ne s’agit ni d’un « boycott », ni de « représailles ». « Tous les artistes qui ont déjà des visas et qui ont des tournées prévues ou des spectacles prévus, ceux-là vont pouvoir venir comme prévu. Tous ceux qui sont d’origine burkinabè, nigérienne ou malienne, mais qui vivent en France évidemment, ne sont pas du tout concernés », a-t-elle précisé.

Elle a expliqué la fin de la délivrance des visas par « le contexte sécuritaire extrêmement dégradé » : début août, la France a fermé ses services consulaires dans ces trois pays pour des raisons de sécurité. Fin juillet, l’ambassade de France avait été la cible de manifestants à Niamey. En septembre 2022, lors du coup d’État d’Ibrahim Traoré au Burkina, les Instituts français de Ouagadougou et de Bobo-Dioulasso avaient été saccagés par des manifestant·es, et l’ambassade avait été prise pour cible.

« Matériellement, il n’est pas possible aujourd’hui de délivrer des visas pour des artistes ou toute autre personne de ces pays pour venir en France », a encore dit la ministre. Une explication qui laisse perplexes nombre d’artistes, et pour cause : si, au Niger, il fallait bien se rendre au consulat pour effectuer sa demande de visa, au Burkina Faso et au Mali, tout se passait sur Internet depuis plusieurs mois, via un prestataire de service, la société Capago International. De fait, plus personne ne se rendait devant le consulat. « On nous dit que c’est un problème technique. Mais ce n’est pas technique, c’est un choix », estime Sébastien Lagrave.

Contacté par Mediapart, le ministère de la culture n’avait pas donné suite à nos questions au moment de la mise en ligne de cet article. Le ministère des affaires étrangères renvoie de son côté aux déclarations d’Emmanuel Macron. « Lorsqu’on dit qu’il n’y aura pas de visas ou qu’on annule tous les événements qui seraient faits en France avec tous les artistes venant du Burkina Faso, du Mali ou du Niger : c’est faux, ça ne se passera pas », a indiqué le chef de l’État ce vendredi. Une affirmation qui contredit la directive qui a mis le feu aux poudres, mais qui laisse perplexe le milieu de la culture.

Rémi Carayol

 

 

Pour être informé des derniers articles, inscrivez vous :
Commenter cet article