Un manifestant lors d'un rassemblement en soutien au peuple palestinien, à Paris, le 22 octobre 2023. © Emmanuel Dunand, AFP
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Dans Libération :
Cette interdiction n’est que politique.» Les avocats du Collectif national pour une paix juste et durable entre Palestiniens et Israéliens (CNPJDPI) n’ont pas mâché leurs mots. Juste avant d’aller plaider leur recours en référé liberté déposé contre l’interdiction de la manifestation prévue le lendemain en soutien au peuple palestinien, maîtres Elsa Marcel, Dominique Cochain et Vincent Brengarth avaient vivement critiqué ce vendredi 27 octobre l’interdiction de la mobilisation par le préfet de police de Paris.
La manifestation pour exiger un «cessez-le-feu immédiat» du conflit Hamas-Israël devait relier, à Paris, la place du Châtelet à celle de la République, avant que le préfet de police de Paris n’annonce son interdiction sur France Info jeudi 26 octobre. Cette manifestation, qui devait être une «déambulation dans Paris», est considérée par Laurent Nuñez comme «toujours beaucoup plus risquée qu’une manifestation statique». Se référant au rassemblement «statique» du jeudi 18 octobre, il a rappelé que les forces de l’ordre avaient procédé à 10 interpellations pour 15 000 manifestants.
Un argument fallacieux pour Me Elsa Marcel, qui a invoqué devant la presse vendredi dans les locaux de la Ligue des droits de l’homme, dans le Xe arrondissement de Paris, les différents débordements qui ont eu lieu lors du mouvement contre la réforme des retraites. «Si ces motifs suffisaient à interdire des manifestations dans Paris, alors il n’y aurait plus de rassemblements dans la capitale», ironise-t-elle.
«Il faut arrêter le discours criminogène»
«Les organisations qui ont déposé cette déclaration [de manifestation] sont des organisations qui, par les propos qu’elles ont pu tenir, pouvaient laisser à penser qu’elles étaient en soutien du Hamas», a déclaré le préfet. Ciblant plus spécifiquement l’association de Coordination des appels pour une paix juste au Proche-Orient-EuroPalestine (CAPJPO), une association militant pour la reconnaissance des droits du peuple palestinien, et le Nouveau Parti anticapitaliste.
De quoi faire bondir l’avocate Dominique Cochain, qui dénonce des propos «incohérents et inconcevables». L’avocate au bureau de Paris demande fermement d’«arrêter le discours criminogène» adopté par le préfet de police et le gouvernement d’Emmanuel Macron. «Que des citoyens demandent de cesser les bombardements sur des civils n’a rien d’un soutien à une organisation terroriste», soutient-elle en rappelant, elle aussi, que les deux rassemblements précédents se sont déroulés dans le calme, sans trouble à l’ordre public.
«Le trouble à l’ordre public peut être immatériel»
De son côté, le préfet de police considère que le «trouble à l’ordre public peut être immatériel», s’appuyant sur une décision du Conseil d’Etat «qui remonte aux années 80», selon Me Vincent Brengarth. Pour l’avocat de la Fédération Tunisiens citoyens des deux rives (FTCR) et Comité Action Palestine, ces justifications ouvrent la porte à des «interdictions systématiques sur des aspects purement idéologiques». Ce que le Conseil d’Etat avait déjà relevé le 18 octobre en désavouant les décisions du ministre de l’Intérieur. «Aucune interdiction ne peut être fondée uniquement sur [les consignes du ministre de l’Intérieur] ou sur le seul fait que la manifestation vise à soutenir la population palestinienne», rappelait la plus haute juridiction de France dans un communiqué.
Reste que Paris n’est pas la seule ville dans ce cas : les préfets de Nice et de Clermont-Ferrand ont également décidé de rendre les manifestations du 28 octobre illégales. Des arrêtés similaires avaient, entre autres, été déposés à Bordeaux, Brest, Lyon, Belfort ou encore Grenoble contre des rassemblements prévus le 21 octobre.
Epuiser les militants
Le président de l’Association France Palestine Solidarité (AFPS), Bertrand Heilbronn, est clair derrière ces interdictions incessantes se cache une stratégie d’épuisement : «Quand vous voyez la liste toujours plus longue des interdictions, je pense qu’on peut y déceler une volonté réelle d’user les militants. Tous n’ont déjà pas la possibilité d’aller au tribunal.»
Certes, la majorité des recours sont gagnés par les associations, à l’instar de la décision du tribunal administratif de Paris de retoquer l’interdiction préfectorale contre le rassemblement du jeudi 19 octobre place de la République, au motif qu’elle portait «une atteinte grave et manifestement illégale à la liberté de manifester». Mais ces audiences demandent une énergie aux requérants et permettent de laisser planer le doute sur la tenue ou non d’un rassemblement. «Mais je ne pense pas que cette stratégie sera payante, sourit Bertrand Heilbronn. La détermination militante est énorme.»
«On ne peut pas se taire.» Résolu, Omar Alsoumi du collectif Urgence Palestine n’entend pas étouffer son soutien au peuple palestinien, bien que la rhétorique des autorités française l’inquiète de plus en plus. «Ce massacre à Gaza doit cesser immédiatement. Nous revendiquons un cessez-le-feu immédiat !» conclut-il, rappelant la nécessité d’être unis pour la paix.
Ce qui n’a pas empêché le tribunal administratif de confirmer l’interdiction ce samedi, a appris Libération. «C’est une décision ignoble, c’est une politique de musellement», a réagi Me Elsa Marcel, avocate du CNPJDPI. «C’est d’autant plus choquant que cette nuit il y a eu de graves événements dans la bande de Gaza et que c’est normal que des personnes puissent avoir envie d’exprimer leur colère».
Sur les réseaux sociaux, l’appel à manifester est maintenu malgré l’interdiction. «C’est sûr qu’il y aura des gens dans la rue à Paris cet après-midi. Mais qu’est-ce que ça va donner ?», s’interroge l’avocate.