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Publié le par FSC

REPRIS de : https://assawra.blogspot.com/2023/11/a-gaza-les-hopitaux-au-cur-de-la-guerre.html

SOURCE : Par Madjid Zerrouky et Ghazal Golshiri
Le Monde du 08 novembre 2023

 

A l’hôpital d’Al-Shifa, à Gaza, le 3 novembre 2023. STRINGER / REUTERS

 

Depuis le 7 octobre, le personnel des établissements de santé de l’enclave palestinienne travaille dans des conditions extrêmes, tout en abritant des milliers de réfugiés. Les hôpitaux sont aussi suspectés par Israël de servir de couverture aux opérations militaires du Hamas.

La situation désastreuse dans laquelle sont plongés les hôpitaux et le personnel de santé à Gaza continue de s’aggraver. Technicien de laboratoire travaillant depuis deux ans pour l’ONG Médecins sans frontières (MSF), Mohammed Al-Ahel est mort, dans la nuit du 7 au 8 novembre, dans le camp de réfugiés d’Al-Chati, dans le nord de la bande de Gaza, après un bombardement qui a entraîné l’effondrement de l’immeuble où il vivait.

Depuis le début de la guerre, le 7 octobre, 175 professionnels de santé et trente-quatre membres de la sécurité civile ont été tués, selon Mai Al-Kaila, la ministre de la santé de l’Autorité palestinienne, basée à Ramallah (Cisjordanie). Seize des trente-cinq hôpitaux de la bande de Gaza et cinquante et un centres de soin sur soixante-douze ont cessé leurs activités du fait des bombardements ou du manque de carburant.


Au cœur de la guerre, la pression s’accentue autour d’hôpitaux exsangues et surpeuplés dans le nord du territoire alors que l’armée israélienne ordonne aux civils de fuir en direction du sud de l’enclave palestinienne. Joints par téléphone, plusieurs praticiens et cadres médicaux témoignent de leurs conditions de travail de plus en plus compliquées : plus de 20 000 personnes auraient été blessées et admises dans leurs établissements, selon les autorités locales. Avant-guerre, les structures hospitalières locales pouvaient compter sur 3 500 lits, dont 2 000 dans le nord de l’enclave.


« Entre les hôpitaux qui sont obligés de se mettre en arrêt à cause des bombardements ou du manque de médicaments ou d’électricité, le nombre de blessés ne cesse d’augmenter.

Ce qui se passe est un crime absolu. Israël s’assure que ceux qui ne sont pas tués lors des attaques le soient à cause du mauvais fonctionnement des hôpitaux », accuse Ghassan Abu Sitta, un chirurgien de l’hôpital d’Al-Shifa, qui décrit une dégradation continue des conditions de soin. « A Al-Shifa, il y a 2 000 patients, alors que la capacité est de 600 lits. Beaucoup dorment désormais dans le parking de l’hôpital, faute de place par terre, à l’intérieur. »


Lundi 6 novembre, ce médecin a réussi à transférer six patients à l’hôpital Al-Ahli, distant de 3 kilomètres où deux blocs chirurgicaux et vingt lits ont été préparés à la hâte. « Parce que, à Al-Shifa, il n’y a plus assez de carburant pour faire fonctionner les générateurs et éclairer les salles d’opération. Dans l’après-midi, les panneaux solaires de l’hôpital ont été ciblés. L’établissement est couvert de poussière et de fumée à cause des bombardements qui ont eu lieu autour. » Les autorités israéliennes refusent jusqu’ici de permettre de ravitailler les hôpitaux en carburant, accusant le Hamas de garder ses propres stocks pour les opérations militaires.

« La chirurgie à même le sol »


Le carburant se raréfie, et les stocks de médicaments s’épuisent. Aucun des camions acheminant de l’aide humanitaire d’Egypte n’a pu accéder à la ville de Gaza, encerclée par l’armée israélienne, soumise à un blocus total. « Nous n’avons plus de morphine depuis dix jours, plus de lames chirurgicales ni de pansements, indispensables pour traiter les brûlures. Nous faisons des opérations chirurgicales avec du paracétamol », explique Ghassan Abu Sitta.


De retour de la bande de Gaza, qu’il est parvenu à quitter samedi 5 novembre, Louis Baudoin-Laarman, responsable de la communication MSF pour la Palestine, confirme les conditions de travail épouvantables de ses collègues palestiniens, dont une équipe est dépêchée à Al-Shifa : « Ils font de leur mieux, administrant des demi-doses d’anesthésique du fait de la pénurie de moyens. On traite des grands brûlés avec des pansements ou des anti-inflammatoires. Les besoins sont immenses, et nous avons peu de ressources. »


« Le type de blessure dont on parle, poursuit-il, qu’il s’agisse d’une brûlure grave ou d’une fracture, nécessite des traitements qui peuvent durer des mois et qui ne peuvent être garantis dans les conditions actuelles, alors que l’on parle de soins complexes, d’antibiotiques particuliers, car les plaies et les os peuvent s’infecter. »

« Presque tous les départements, la gynécologie, etc., ont été relocalisés dans d’autres hôpitaux. Parce que, à Al-Shifa, nous n’avons pas la capacité de les garder. Ici, il y a 28 000, parfois jusqu’à 30 000 personnes, abonde Joma Younis, infirmier au service des urgences. Dans mon service, il n’y a pas assez d’espace pour circuler entre les patients qui sont par terre. Dans le département chirurgical, ils sont également parfois opérés à même le sol, dans les couloirs. »


Parmi le million, environ, de Gazaouis déplacés par les combats depuis le 7 octobre, la recherche d’un abri a conduit bon nombre à s’installer sous des tentes, dans des camps de fortune à l’intérieur des enceintes hospitalières. « Les hôpitaux sont surpeuplés. Non seulement en raison du nombre de blessés, mais aussi parce que les civils viennent s’y réfugier. Il y a tellement peu de zones sûres, et même les hôpitaux ne le sont pas entièrement, que les gens, dès qu’ils perçoivent un peu de sécurité quelque part, s’y précipitent, jusque dans les couloirs… », explique Louis Baudoin-Laarman.

L’épuisement et la faim


Directeur de l’hôpital Al-Awda, à Tall Al-Zaatar, dans le nord de la bande de Gaza, Ahmad Mohana, témoignait aussi, mardi soir, d’une situation qui s’aggrave : « Les alentours immédiats de l’hôpital subissent cette nuit des bombardements qui ne s’arrêtent pas. Les blessés arrivent sans discontinuer aux urgences. Nous avons dû fermer des services qui devraient pourtant être considérés comme essentiels, comme la maternité. »
Ghassan Abu Sitta fait le même constat : « Hier [lundi], le seul hôpital traitant des patients atteints d’un cancer a été ciblé et a dû fermer. Samedi, c’était l’hôpital pour enfants. Nos patients, en maternité et en pédiatrie, ont dû être transférés dans une clinique privée. »


Après un mois de combats, de nouveaux périls guettent des soignants éprouvés psychologiquement par l’ampleur de leur tâche, l’épuisement et la faim, et pas épargnés, eux non plus, par la perte de proches : « Nous mangeons des biscuits, et nous arrivons à faire du pain avec de la farine et parfois des conserves. Je dors deux heures par nuit », raconte Joma Younis.
 

« J’arrive de temps en temps à rentrer chez moi, mais beaucoup de mes collègues ne sont pas retournés chez eux depuis le 7 octobre, et ils ont beaucoup de mal à joindre leur famille par téléphone. Beaucoup, parmi nous, sont encore sous le choc, parce qu’ils ont perdu des proches. J’ai moi-même perdu quatorze membres de ma famille, mon oncle et mes cousins. Ils vivaient dans le nord et ont écouté les avertissements israéliens pour évacuer vers le sud. Mais ils ont été tués là-bas. »


De déplacement des patients, il n’est pour l’instant pas question pour le docteur Mohana : « Il est très difficile de songer à transporter les plus cinq cents personnes sérieusement blessées hospitalisées dans le nord de Gaza. Où allons-nous aller ? Il n’y a pas de place dans les autres hôpitaux du territoire. »

« Négation de la souffrance » des Palestiniens


Dimanche 5 novembre, le porte-parole de l’armée israélienne, Daniel Hagari, a déclaré que les hôpitaux, dont celui d’Al-Shifa, servaient de couverture au Hamas et a présenté des vidéos destinées à convaincre que le mouvement islamiste avait, de longue date, conçu ses installations souterraines dans et à proximité de ces établissements de santé. « Les Palestiniens méritent de vivre ou de mourir en fonction de la définition israélienne de leur statut sécuritaire », réplique le docteur Sitta, qui ironise : « Le Hamas est une milice. Cette idée selon laquelle ce mouvement a un centre de commandement et de contrôle revient à le comparer à l’URSS qui se servait des hôpitaux comme d’abris pendant la guerre froide. C’est absurde. »


Face à ces accusations, le directeur général d’Al-Shifa, Mohammad Abu Salmiya, a publiquement demandé la venue d’experts internationaux pour constater, de visu, que son hôpital ne servait pas de base opérationnelle au Hamas.


« Le phénomène de la relativisation, voire de la négation de la souffrance de la population palestinienne aujourd’hui, va en s’aggravant », dénonçait, mardi, Claire Magone, directrice générale de MSF. « Ceci n’est pas un hôpital, nous dit-on quand un hôpital est menacé de bombardements, ou quand les autorités israéliennes multiplient les annonces enjoignant aux patients et aux blessés d’évacuer, sous peine de voir l’hôpital détruit. Ceux-ci ne sont pas des civils, nous dit-on aussi, après une frappe sur un camp de déplacés, et peut-être bientôt “ceux-là n’étaient pas des secouristes” si nous sommes nous-mêmes victimes de bombardements. »

 

A l’hôpital d’Al-Shifa, des personnes blessées après une attaque contre un convoi d’ambulances, le 3 novembre 2023. STRINGER / REUTERS
 
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