Menaces de viols, coups, humiliations... : les prisonniers palestiniens libérés racontent leur calvaire

Publié le par FSC

REPRIS de : https://assawra.blogspot.com/2023/12/menaces-de-viols-coups-humiliations-les.html

SOURCE : Pierre Barbancey
L'Humanité du 18 décembre 2023

À Ramallah, en Cisjordanie, des Palestiniens demande la libération des prisonniers devant les bureaux du Comité international de la Croix-Rouge. Abbas Momani/ AFP

 

Depuis le 7 octobre, le nombre de prisonniers palestiniens a explosé et leurs conditions de détention se sont aggravées. Nous avons rencontré certains d’entre eux, libérés le 25 novembre, qui relatent brimades, menaces et humiliations. Six détenus sont morts en deux mois.
Le 26 octobre, Lama Khater, 47 ans, journaliste à Hébron, dans le sud de la Cisjordanie, se trouve chez elle lorsque, en plein milieu de la nuit, elle entend des hommes parler. À peine le temps de s’habiller. Sa porte est défoncée par des soldats israéliens, tous cagoulés, à l’exception de l’officier.


« Ils ont commencé à tout casser, à vider le réfrigérateur et à jeter la nourriture par terre. L’officier a dit : ”On va te couper la tête, te brûler. Mon but est qu’aucun de ceux comme toi ne menace mon peuple, même s’il faut tuer 15 000 enfants “ » Lama est alors emmenée les yeux bandés, menottée et allongée dans un véhicule.


Vingt minutes après, on la fait asseoir, sans enlever son bandeau. L’officier lui lance : « Il y a 20 soldats autour de toi et je vais les laisser te violer comme vous l’avez fait à nos femmes. On va violer toutes les femmes. On va brûler ta maison avec tes enfants. » Lors de l’interrogatoire, ils veulent lui faire avouer qu’elle est du Hamas mais ne trouvent rien, ni sur son ordinateur, ni sur son téléphone.

10 000 Palestiniens en prison, contre 5 200 avant le 7 octobre


Elle est connue pour ses interventions contre l’occupation et contre les colons sur une station de radio de Hébron. Elle sera finalement libérée après être passée par la prison de HaSharon puis de Damon, dans des cellules de 2 mètres sur 2,50 mètres où les toilettes étaient répugnantes, les repas immangeables. « La vie est belle dehors. Mais la prison est une école d’apprentissage pour les Palestiniens », certifie Lama, un petit sourire aux lèvres.
Depuis le 7 octobre, date de l’attaque du Hamas, il ne se passe plus un jour sans que les troupes israéliennes ne pénètrent dans les villes et les camps de réfugiés, n’assassinent et n’appréhendent des dizaines de personnes. Les arrestations sont si importantes que le nombre de détenus a explosé. Deux semaines après le déclenchement des bombardements sur la bande de Gaza, ils étaient près de 10 000 en prison, contre 5 200 avant le 7 octobre.


Selon l’association de défense des prisonniers Addameer, ils seraient aujourd’hui 7 000, dont 62 femmes, 200 enfants (de moins de 18 ans) et, parmi eux, 2 070 sont en détention administrative (sans jugement et sans que leur dossier ne soit porté à leur connaissance, ni à celle de leur avocat), une situation renouvelable tous les six mois, éternellement si le « juge » en décide ainsi.


L’organisation israélienne de défense des droits de l’homme B’Tselem avance le chiffre de 1 310 prisonniers en détention administrative (dont 146 mineurs), contre 2 000 recensés les quatre premières semaines de la guerre. En 2022, Amnesty International a publié un rapport complet indiquant que la pratique de la détention administrative n’est qu’un exemple de la façon dont l’État israélien asservit les Palestiniens et réprime toute contestation de l’occupation.


Cette méthode n’est pas nouvelle. Depuis 1967, Israël a émis plus de 1 000 ordres militaires qui criminalisent un éventail d’activités de la vie quotidienne des Palestiniens comme brandir des symboles politiques comme des drapeaux, se trouver dans certaines zones sans permis, ou tout type de discours qui peut s’inscrire dans une accusation vaguement définie d’« incitation à ».


Par exemple, le moindre commentaire posté sur les réseaux sociaux, voire le simple partage d’une image, d’une vidéo ou d’un texte peuvent tomber sous le coup de cette « incitation ». Des décennies de preuves à l’appui, le rapport d’Amnesty International décrit ainsi une « politique israélienne intentionnelle visant à détenir des individus, y compris des prisonniers d’opinion, uniquement pour l’exercice non violent de leur droit à la liberté d’expression et d’association, et à les punir pour leurs opinions ».

« L’administration des prisons ne donne que deux repas pour dix prisonniers »


Qadoura Fares, en charge de ce que l’on appelle le Club des prisonniers, et proche de Marwan Barghouti, indique à l’Humanité que « depuis le 7 octobre, la situation est catastrophique dans les prisons. Les Israéliens se vengent. Pourtant, ces prisonniers n’ont rien à voir avec le 7 octobre. Ils les battent tous les jours, six sont déjà morts ». Il dénonce la dégradation des conditions de détention.
« L’administration des prisons ne leur donne que deux repas pour dix, leur a retiré leurs couvertures. Le Comité international de la Croix-Rouge (CICR) ne peut pas leur rendre visite et ne reçoit même plus les listes des nouveaux prisonniers, qu’ils soient de Gaza ou de Cisjordanie. Israël considère les détenus de Gaza comme des ”combattants illégaux“ et de nouveaux camps ont été créés pour eux dans le sud de la Palestine. Il veut reproduire Guantanamo. »


Addameer alerte également sur l’accès aux soins médicaux. « Ils ont fermé les cliniques pénitentiaires et empêché les prisonniers d’aller dans les hôpitaux et les cliniques externes, malgré la présence de certains patients atteints de cancer parmi les prisonniers qui ont besoin d’un traitement continu », a déclaré le groupe de défense des droits des prisonniers.


Mahmoud Katanani, 18 ans, relâché le 25 novembre lors d’un échange de prisonniers entre Israël et le Hamas, nous parle lui aussi de l’aggravation des conditions de détention : « On nous amenait juste un grand plat de riz pour dix, soit deux cuillerées chacun. La douche, c’était une fois par semaine, mais sans avoir le droit à des serviettes pour se sécher. On nous frappait à tout bout de champ, on nous changeait de cellule tout le temps. J’étais dans une détresse physique et morale terrible. On nous menaçait en permanence et on ne nous laissait pas dormir. La lumière ne fonctionnait pas dans la journée, seulement de 18 heures à 6 heures, sans qu’on puisse l’éteindre. »
Le 18 novembre, l’administration pénitentiaire a annoncé le décès de Thaer Samih Abou Assab, un résident de la ville de Qalqilya, en Cisjordanie, à l’hôpital Soroka, dans le sud d’Israël. Il purgeait une peine de dix-huit ans de prison dans le désert du Néguev. Aucune information n’a été donnée sur les raisons de ce décès.

Depuis 1967, 243 Palestiniens sont morts dans les prisons israéliennes


Mahmoud Katanani était avec lui en prison. Il raconte :

« Le 18 novembre, alors que les gardiens étaient en train de nous compter, l’unité spéciale Keter est entrée dans notre cellule. Ils ont commencé à nous frapper avec de grosses matraques. Leurs gants étaient renforcés comme des poings américains. Abou Assab a essayé d’éviter les coups en se mettant près des toilettes, mais il s’est retrouvé tout seul. Ils se sont acharnés sur lui, donnant des coups sur sa tête. Il a commencé à saigner. Quand ils sont partis, on a constaté qu’il était mort. On a appelé les gardiens, mais ils ne sont venus qu’au bout de deux heures. Ils sont venus prendre le corps puis ils nous ont dit qu’il était mort. Et ils ont dit que c’était nous qui l’avions tué parce que nous nous étions battus entre nous. »

Depuis 1967, 243 Palestiniens sont morts dans les prisons israéliennes.


Copiant son allié états-unien, Israël a promulgué, il y a une vingtaine d’années, une loi concernant les « combattants illégaux » qui permet aux autorités de détenir les Palestiniens indéfiniment sans contrôle judiciaire effectif. La loi définit un « combattant illégal » comme une « personne qui a participé directement ou indirectement à des actes hostiles à l’État d’Israël ou qui est membre d’une force qui commet des actes hostiles à l’État d’Israël ».
Le 13 octobre, Israël a modifié la loi afin de faciliter l’arrestation de Palestiniens soupçonnés. Cela concerne notamment les Palestiniens de Gaza arrêtés. Tel-Aviv ne les considère pas comme des prisonniers de guerre, donc s’affranchit des conventions de Genève.


Le 7 décembre, l’armée israélienne a exhibé des dizaines de prisonniers, en sous-vêtements, désignés comme « terroristes ». Mais aujourd’hui, personne ne sait où se trouvent ces quelque 500 prisonniers, très certainement détenus non pas dans des centres légaux, mais dans des camps militaires. Le ministre de l’Intérieur, en charge des prisons, n’est autre que Itamar Ben-Gvir, suprémaciste juif et colon d’extrême droite.

 

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