La bande de Gaza est affamée après quatre mois et demi de siège par l’armée israélienne

Publié le par FSC

SOURCE : Par Clothilde Mraffko
Le Monde du 22 février 2024

 

       Des Palestiniens déplacés par le conflit attendent de la nourriture dans une école publique à Rafah, dans le sud de la bande de Gaza, le 19 février. MOHAMMED ABED / AFP

 

L’aide humanitaire n’atteint plus le nord de l’enclave, coupé du monde. La destruction des réseaux d’assainissement et l’entassement des déplacés dans le Sud, où ils survivent dans des conditions déplorables, font craindre la propagation de maladies.

Les petites galettes, brun foncé, font office de repas. Dans le nord de la bande de Gaza, après quatre mois et demi de siège israélien, les habitants pétrissent désormais cet ersatz de pain avec des graines ou de la nourriture pour animaux moulue – juste de quoi rester en vie. « Nous n’avons pas d’autre choix, il n’y a pas de farine blanche, explique par téléphone Mohamed Siam, infirmier de l’ONG Médecins sans frontières (MSF) à l’hôpital Al-Shifa, dans la ville de Gaza.

On ne peut pas non plus retirer d’argent, toutes les banques ont été détruites. Les prix ont explosé. Certains produits sont disponibles puis, quelques jours après, on ne les trouve plus. » Dans cette zone où vivent encore quelque 300 000 Palestiniens, selon l’ONU, un enfant de moins de 2 ans sur six souffre de malnutrition aiguë, rapportait, le 19 février, le Programme alimentaire mondial (PAM).
« Il faut un cessez-le-feu urgent.

La faim commence à se faire sentir, les gens ont perdu beaucoup de poids. Chaque jour, des personnes âgées perdent la vie faute d’absorber assez de nutriments, parce que la nourriture n’est pas saine. On survit sans protéines naturelles, ni fruits ni légumes, rien…  », constate M. Siam. Dans le camp de réfugiés de Jabaliya, au nord de la ville de Gaza, les habitants « ramassent des herbes, des graines de n’importe quelle sorte, et se servent de ça pour survivre. Mais, surtout, les gens ne mangent pas.

ouvent, ils restent plusieurs jours sans un repas », décrit Caitlin Procter, chercheuse au Geneva Graduate Institute, qui a passé plusieurs années dans l’enclave et collecte quotidiennement des témoignages de Gazaouis depuis le 7 octobre 2023.


A Rafah, dans le Sud, où se concentrent plus d’un million de déplacés gazaouis et où l’aide est la plus largement distribuée, depuis novembre 2023, « il n’y a que de la nourriture en boîte de conserve », ajoute-t-elle. Les récoltes ont été anéanties dans les champs dévastés par les bulldozers et les bombardements israéliens, les poulets et poissons d’élevage tués et engloutis depuis des mois maintenant.

Le port de Gaza et la plupart des embarcations ont été pulvérisés par les bombardements. Les ONG Human Rights Watch et Oxfam ont dénoncé l’utilisation par Israël de la famine à Gaza comme arme de guerre. « La famine sera le crime de guerre le plus facile à poursuivre en justice parce qu’il est directement lié au siège », note Mme Procter.

Camions pillés


« Pas d’électricité, pas de nourriture, pas d’eau, pas de gaz, tout est fermé », avait annoncé, le 9 octobre 2023, le ministre de la défense israélien, Yoav Gallant. Quatre mois et demi plus tard, malgré les discours internationaux, l’aide reste indigente, coincée aux portes de l’enclave. Le 20 février, le Cogat, un organe du ministère israélien de la défense supervisant les activités civiles dans les territoires palestiniens occupés, détaillait ainsi que 98 camions contenant nourriture, eau, matériel médical ou équipements et quatre citernes de gaz étaient entrés dans la journée – pour subvenir aux besoins de quelque 2,3 millions de Gazaouis.


Les chargements n’entrent que par deux points de passage : Rafah, depuis l’Egypte, et Kerem Shalom, depuis Israël ; ils sont au préalable minutieusement inspectés par les Israéliens. Actuellement, « à Kerem Shalom, il y a quelques centaines de camions avec des cargaisons et, en Egypte, des milliers » qui attendent de pouvoir pénétrer à Gaza, regrette Scott Anderson, directeur adjoint des opérations de l’Office de secours et de travaux des Nations unies pour les réfugiés de Palestine dans le Proche-Orient (UNRWA) dans l’enclave.

Une fois entrés, les chargements atteignent surtout Rafah et les zones dans le Sud.
Le nord de la bande de Gaza, où subsistent aussi des zones de combats actifs, est aujourd’hui coupé du monde. Depuis début janvier, Israël a considérablement réduit les autorisations pour l’acheminement des convois via le checkpoint qui sépare le sud du nord de l’enclave, sur la route Salah-Eddine. Aurélie Godard, coordinatrice médicale à MSF, a accompagné un convoi de carburant, le 22 janvier, destiné à l’hôpital Al-Shifa, dans la ville de Gaza, après plusieurs essais infructueux les trois jours précédents.

« Les Israéliens, à chaque fois, soit ils n’avaient pas donné le feu vert, ou alors trois minutes avant que le checkpoint ferme, soit ils n’avaient pas envoyé le bulldozer pour déblayer la route…  », raconte-t-elle. Une fois le checkpoint passé, dans les faubourgs en ruine à la lisière de la ville, une foule « de jeunes hommes a assailli les deux voitures et le camion de carburant. Leur seule question était : “Où sont les camions de nourriture et d’eau ?” C’était des gens qui crevaient de faim. »


Le PAM avait repris, les 18 et 19 février, ses distributions dans le nord de Gaza après trois semaines d’arrêt à la suite d’une frappe israélienne sur un camion de l’UNRWA. L’organisation a annoncé, le 20 février, qu’elle suspendait à nouveau ses activités dans cette zone, faute de pouvoir assurer leur sécurité. En deux jours, ses camions ont été pillés ou visés par des tirs, l’un des chauffeurs a été frappé. D’autres cargaisons ont aussi été attaquées par les foules à Khan Younès et vers Kerem Shalom. Les organisations craignent une dégradation des conditions de sécurité : les Gazaouis manquent de tout et les derniers policiers qui subsistaient à Rafah se terrent, eux aussi visés par des frappes israéliennes. Scott Anderson, de l’UNRWA, assure cependant qu’aujourd’hui il n’y a pas « de preuve d’un détournement systématique de l’aide » des ONG internationales et de l’ONU à Gaza.

« Combinaison mortelle »
La bande de Gaza est en proie à la « combinaison mortelle » que forment « la faim et la maladie, a mis en garde, dans un communiqué, le docteur Michael Ryan, directeur exécutif du programme de gestion des situations d’urgence sanitaire de l’Organisation mondiale de la santé. Les enfants affamés, affaiblis et profondément traumatisés sont plus susceptibles de tomber malades, et les enfants malades, notamment ceux souffrant de diarrhée, ne peuvent pas bien absorber les nutriments. C’est dangereux et tragique, et cela se déroule sous nos yeux. » Depuis l’hôpital Al-Shifa, Mohamed Siam voit les infections se propager : « Il y a beaucoup de cas d’hépatite A, des grippes intestinales, surtout chez les enfants, des fièvres. » L’infirmier de 31 ans manque de médicaments pour les soulager.
La promiscuité entre déplacés et le manque d’accès à l’eau laissent craindre que des épidémies ne finissent par exploser. Les habitants fuyant les combats se sont retrouvés dans le Sud, jamais très loin de la ligne de front, et s’y entassent, sans organisation ni infrastructures. Gaza « était une prison avant et c’est toujours une prison, souligne Mark Zeitoun, directeur du pôle de recherche sur l’eau au Geneva Graduate Institute. Si les habitants pouvaient fuir les tueries et aller dans des camps, ils pourraient avoir accès à de meilleures conditions sanitaires. Mais comme ils ne peuvent pas fuir, ils sont exposés. »
L’enclave n’est plus gouvernée ; les services publics se sont effondrés, les infrastructures ont été largement détruites. « Les ordures sont partout dans les environs autour de ma maison. Les bulldozers [israéliens] ont emporté les pavés, les rues, les fondations des infrastructures urbaines, décrit M. Siam dans la ville de Gaza. Quand il pleut, tout s’écoule dans les rues. »

Or, le réseau d’assainissement a été anéanti par les bombardements et les coupures d’électricité. « Toutes les usines de traitement des eaux usées sont hors service, sauf celle de Rafah », affirme un expert palestinien de l’eau à Gaza, qui conserve l’anonymat pour des raisons de sécurité.


Le réseau d’approvisionnement a, lui aussi, été gravement endommagé : aujourd’hui, une seule usine de dessalement est encore opérationnelle, dans le Sud, note l’expert. Selon l’ONU, 83 % des puits d’eau souterraine ne fonctionnent plus.

« Les attaques sur le système d’eau, qu’elles soient intentionnelles ou non, ont un effet domino qui dure bien après que la poussière est retombée, met en garde M. Zeitoun. Si nous, la communauté internationale, ne sommes pas capables, au moins, de ralentir les hostilités, nous n’aurons pas seulement sur nos mains le sang de ceux qui ont été tués ou sont sous les décombres mais aussi celui des enfants en bas âge qui mourront de maladies. »

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