Gaza : entre menace d'offensive et espoir de cessez-le-feu, Rafah retient son souffle

Publié le par FSC

Elisabeth Fleury
L'Humanité du 25 mars 2024

       Les Palestiniens tentent de poursuivre leur vie quotidienne dans des conditions difficiles dans des tentes de fortune installées près de la frontière égyptienne alors que les attaques israéliennes se poursuivent, le 9 mars 2024, à Rafah, dans la bande de Gaza. © Abed Zagout / ANADOLU / Anadolu via AFP

À Rafah, des centaines de milliers de réfugiés s’entassent sous des tentes. Famine, maladie, détresse : entre menace d’attaque imminente et promesse de cessez-le-feu, la petite ville retient son souffle.

Le 3 janvier, Abou Kinan(1) sort de chez lui, une feuille de coloriages à la main. Il veut en faire quelques copies pour les rapporter à la maison, où ses trois jeunes enfants crèvent d’ennui. Trois kilomètres séparent la rue principale Salah El Din, où réside la famille, de la boutique où se trouve la photocopieuse. Il est 13 heures. Soudain, un bruit énorme. Un missile vient de tomber à quelques mètres de là.
L’ingénieur de 33 ans est projeté à terre. À travers la poussière épaisse, un vidéaste amateur immortalise la scène. On y croise un père en panique, son enfant blessé dans les bras. Un vieillard à l’agonie, dont la bouche s’ouvre et se ferme convulsivement. Abou Kinan, lui, est en position fœtale. Un ruban rouge vif barre la feuille blanche qu’il tient à bout de bras.
Deux jours à l’hôpital, sans analgésiques, puis retour à la maison. « Il fallait libérer de la place pour les autres », raconte-t-il. La blessure au crâne a pu être soignée, mais ses pieds et son dos restent criblés d’éclats. « J’étais au mauvais endroit, au mauvais moment, mais j’ai eu de la chance, dit-il. J’aurais pu mourir ce jour-là. »

Les prix des denrées alimentaires explosent


Dans la famille d’Abou Kinan, ils sont six frères et sœurs à se relayer, à Rafah, auprès des vieux parents. L’un en Norvège, l’autre en France, deux frères en exil leur viennent en aide comme ils peuvent. Un soutien décisif. « Tous les prix ont flambé. » Dix-sept euros le kilogramme de patates. Six euros celui de carottes. Une tête de chou-fleur : 6 euros. À 40 euros le kilogramme, l’agneau est inabordable. « Plus personne ne mange de viande », constate l’ingénieur. Les fèves en conserves, distribuées au compte-goutte par la Croix-Rouge et l’Unrwa, constituent la nourriture de base. Personne n’échappe à la faim. « On a tous perdu du poids. On ne se reconnaît plus. »


Dans les ruelles, sur les placettes… partout des tentes, des abris de fortune. On fait des heures de queue devant les toilettes collectives. Les poubelles s’entassent. « Les odeurs sont insoutenables », relate le père de famille. Des vendeurs d’eau potable sillonnent la ville mais, à 50 centimes le litre, rares sont les habitants qui peuvent se l’offrir. « On remplit des seaux avec de l’eau saumâtre, c’est moins cher. » Les enfants d’Abou Kinan ont des maux de ventre. Sa mère s’est blessée en tombant. Son père souffre des yeux. Impossible de trouver un médecin. « À Rafah, l’hôpital et les ambulances sont réservés aux blessés graves et aux urgences », dit le jeune homme.
Chaque jour plus nombreux, les drones israéliens sillonnent le ciel de Rafah. Parfois, les explosions sont si proches que les murs tremblent. « Les enfants ont peur, ils n’arrivent plus à jouer, ni à dormir », raconte Abou Kinan. Partout, la folie guette. « De plus en plus de gens parlent tout seuls, ont l’air bizarre. »


Un cessez-le-feu ? Le jeune père s’est accroché pendant des mois à cet espoir. Il dit ne plus y croire. « Ce qui se passe est une pièce de théâtre. Quoi qu’ils en disent, les États-Unis continueront à soutenir Israël et son nettoyage ethnique. » Sous la menace d’une attaque imminente, Rafah retient son souffle. « Même mes parents se sont rendus à l’évidence : notre seule chance serait de quitter Gaza. »

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( 1 ) Le prénom a été changé.

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