Sur la condamnation pour apologie du terrorisme du secrétaire de la CGT du Nord

Publié le par FSC

 

Jean Paul Delescaut et Sophie Binet

Jean Paul Delescaut et Sophie Binet

 

Sur la condamnation pour apologie du terrorisme de Jean-Paul Delescaut, secrétaire de la CGT du Nord

Il faut le dire clairement : quoi qu’il en soit de cette décision de justice parfaitement scandaleuse, le tract incriminé ne contenait aucune apologie des méthodes employées par le Hamas dans son attaque contre Israël le 7 octobre. On se croirait revenu au XVIIème siècle, on croirait lire un cas tiré des Provinciales de Blaise Pascal, où le philosophe montrait que dans les écrits des théologiens condamnés par le Parlement de Paris, ne figuraient même pas dans les textes incriminés ! Depuis Richelieu, les juges français restent fidèles à leur tradition de paillassons du pouvoir (ou bien est-il interdit de dire cela?).

Ils ne tiennent aucun compte non plus des faits. La condamnation porte sur un tract édité trois jours après le 7 octobre, alors qu’aucune évaluation objective des faits n’était faite, et elle n’est toujours pas faite – et que les médias ne diffusaient que la version israélienne.

Ils font aussi comme si absolument rien ne s’était passé depuis 1948 en Palestine. Le double standard est évident : les Palestiniens sont bien les seuls opprimés dont on exige à priori et dans tous les cas la non-violence.

Ce jugement est fondé sur des lois qui limitent la liberté d’expression « pour la bonne cause » et justifié par la jurisprudence de la condamnation en 2002 du répugnant général Aussarès pour son apologie de la torture pendant la guerre d’Algérie.

La bonne cause, c’était donc en l’occurrence de l’anticolonialisme de la vingt-cinquième heure, mais on voit la logique des limitations idéologiques de la liberté d’expression : sous prétexte de fermer la bouche à des fascistes anachroniques, il s’agit bel et bien de paralyser la gauche anti-impérialiste actuelle. Le wokisme anticolonial avant la lettre joue dans le jeu du colonialisme actuel.

On voit que dans cette « décision historique » il ne s’agit nullement en fait d’apologie du terrorisme ou d’autres manquements à la moralité mais d'exercer une intimidation politique et de s'attaquer à la CGT - et d'autres organisations dont LFI.

Dans leur communiqué triomphaliste, les plaignants communautaristes prétendent que la critique d’Israël et de Netanyaou est permise mais que l’apologie des méthodes terroristes contre Israël ne l’est pas, mais dès la phrase suivante amalgament au terrorisme l’antisionisme en ce qu’il nierait le droit à l’existence d’Israël. Et depuis quand s’il vous plait l’existence ou non d’un État est-il un tabou interdit d'expression ? Il ne semble pas interdit, par exemple, de démembrer la Yougoslavie, et de souhaiter le démembrement de la Russie ?

On voit bien que c’est véritablement ça l’enjeu ; or l’existence d’Israël c’est justement ce qui empêche l'existence de la Palestine.

Le terme de résistance n’est considéré par les cuistres du palais de justice que dans sa connotation floue de cliché laudatif. Or ce qui définit la résistance ce n'est ni le moyen utilisé ni l’excellence morale des participants, c’est le but, et pour atteindre un but louable, de mauvais procédés peuvent être utilisés et le sont même très souvent – va-t-il falloir interdire aussi l’œuvre de Machiavel ? D’ailleurs les résistants armés sont toujours qualifiés de terroristes par ceux qu sont chargés de les réprimer, et une des premières cibles de tout mouvement de résistance, ce sont les « collabos » c’est à dire les soutiens civils de l’occupant étranger ou du régime d’oppression qu’il s’agit de renverser. Les résistants si on suit le raisonnement des juges sont-ils donc des criminels de guerre ?

Faut au passage interdire aussi Franz Fanon, qui a fait l’éloge de la violence anticolonialiste ?

Le but de ce jugement et de mesures du même genre qui se multiplient en Europe - l'Allemagne étant comme par hasard particulièrement zélée - est de rendre indicible toute critique d’Israël et de ses soutiens en obligeant leurs adversaires à des contorsions sémantiques paralysantes. Mais la conclusion que beaucoup de gens risquent d’en tirer est qu’on ne peut pas critiquer Israël et comme Israël est officiellement et de facto l’État juif, qu’on ne peut pas critiquer les juifs.

Si un tel constat poussait un certain nombre de critiques d’Israël vers l’antisémitisme, ça ne déplairait pas du tout aux sionistes, qui trouveraient cela parfait pour les discréditer. Mais c’est un calcul risqué qui finira par se retourner contre eux.

En effet la paranoïa provoquée par l’antisémitisme réel ou fantasmé, parfaitement illustrées par les déclarations de Serge Klarsfeld ou de BHL pousse Israël et ses amis inconditionnels à des fautes de plus en plus graves.

Le génocide (sera-t-il bientôt interdit de dire ce mot ?) de Gaza est de ces crimes politiques qui sont plus que des crimes, des fautes - comme disait Talleyrand. A cause de ce crime perpétré en leur nom, le capital de sympathie dont les juifs bénéficiaient en Occident, pour leur contribution au progrès, à la civilisation moderne et à ses révolutions, et à cause de leur souffrance aux mains des nazis, y compris chez de nombreux antisionistes qui leur reprochent justement de renier leurs anciennes valeurs, s’amenuise au point de disparaître, et il est déjà tombé bien en dessous du niveau zéro partout ailleurs dans le monde.

Il est vrai qu’Israël est une « démocratie », tout comme l’était le régime d’apartheid (user de ce ce mot sera-t-il interdit aussi?) en Afrique du Sud. Une telle qualification met à nu ce que nos sociétés tiennent pour la démocratie.

Cette décision est « historique » en effet aussi parce qu’il s'agit d'une déclaration de guerre à la CGT, qui avec ses limitations est un des rares contre-pouvoirs au capital et à ses agents qui subsistent encore dans notre pays.

GQ, 19 avril 2024

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