Un soldat franco-israélien visé par une première plainte pour « actes de torture » à l’encontre de Palestiniens

Publié le par FSC

Par Stéphanie Maupas et Madjid Zerrouky
Le Monde du 16 avril 2024

Après la diffusion d’une vidéo diffusée à la fin de février par un proche du soldat sur les réseaux sociaux qui mettait en scène des prisonniers palestiniens violentés, quatre associations ont porté plainte devant la justice française.

Une plainte pour torture visant Y. O., un soldat franco-israélien, a été adressée le 11 avril au procureur général de Paris. L’homme est « actuellement au service de l’armée israélienne », énonce la plainte « contre X » déposée par Gilles Devers, avocat au barreau de Lyon, au nom de quatre associations : l’Association des Palestiniens de France - Al Jaliya, Justice et droits sans frontières (JDSF) et le Mouvement du 30 mars, basé à Bruxelles. Les plaignants reprochent à Y. O. d’avoir commis un crime de guerre par « actes de torture » dans le contexte d’une « attaque militaire génocidaire ».


Fin février, dans une vidéo de cinquante-huit secondes réalisée par le militaire et diffusée sur la messagerie Telegram, on peut voir un prisonnier dans une combinaison blanche, les yeux bandés et les poignets attachés dans le dos. Il essaie de descendre d’un camion. Le soldat de l’armée israélienne commente la scène qu’il filme lui-même : « Tu as vu ces enculés, mon neveu, ces fils de putain. Allez descends, fils de pute… sur les pierres… Là, enculé de ta mère… » Le prisonnier descend du camion. « Tu as vu ce fils de putain. Là, regarde, il s’est pissé dessus. Regarde, je vais te montrer son dos, tu vas rigoler, regarde ! » Le prisonnier est maintenant dos à la caméra. « Ils l’ont torturé pour le faire parler. Tu as vu son dos. »

« Supériorité, mépris, provocation »


Dans la séquence suivante, des détenus sont assis par terre. « Ah, fils de putain, continue l’auteur de la vidéo. Fermez vos gueules, bande de salopes. Ah, vous étiez contents le 7 octobre, bande de fils de putes. » Selon la plainte, les prisonniers sont transférés vers une prison israélienne qualifiée de « secrète ». Dans une troisième séquence, on les voit dans un autobus. « Ils sont soumis à cette torture bien connue de l’armée israélienne, écrivent les avocats dans leur plainte, [qui leur impose] des heures durant une musique obsessionnelle. »


Selon les plaignants, après un interrogatoire initial, les prisonniers seraient alors « triés ». Certains sont relâchés, d’autres conduits en Israël, et « placés au secret, dans des conditions de détention inhumaines, puis jugés pour des incriminations liées au “terrorisme” par des tribunaux militaires ignorant tout droit de la défense ». L’Etat hébreu les considère comme des « combattants illégaux » et leur refuse la protection prévue par la 3e convention de Genève.


L’avocat des plaignants estime que Y. O. « porte au plus haut l’humiliation en passant parmi les Palestiniens menacés et prostrés sur le sol avec une attitude odieuse faite de supériorité, de mépris, de provocation ». Selon la plainte, il a fait « le choix vicieux de filmer ce jeune Palestinien, sachant que le simple fait de filmer un prisonnier, surtout dans cette précarité, est une atteinte illégale à sa dignité ».


Au-delà du cas du soldat incriminé, les plaignants dénoncent une politique plus générale de torture. « Cette agression est vécue par l’opinion israélienne comme légitime, après tout un travail de déshumanisation des Palestiniens, qui d’ailleurs explique ce recours apaisé à une politique générale de torture », écrivent les avocats. Ils joignent aussi des documents qui démontreraient le mode opératoire de l’armée israélienne. Dans la bande de Gaza, « les soldats israéliens procèdent à d’impressionnantes rafles, poursuivent-ils, qui s’accompagnent immédiatement de violentes humiliations – mises à nu au prétexte de mesures de sécurité, positions vexatoires, entraves douloureuses, coups généralisés – avant de premiers regroupements sur place, dans des locaux réquisitionnés ».

« Crimes de guerre »


A Lyon, où il se trouve, le neveu du militaire a diffusé la vidéo sur les réseaux sociaux fin février. Il commente alors : « Je suis bien content qu’elles soient sorties ces vidéos, comme ça, vous savez dans le monde entier que quand nous on attaque des terroristes, on les torture. »
D’abord timorée sur la question des Franco-Israéliens engagés au sein de l’armée israélienne – et qui seraient environ 4 000 selon les autorités israéliennes, la position de la diplomatie française a évolué après la diffusion de la vidéo. « La binationalité, c’est une double allégeance. On n’enquêtera pas sur ce que feront les Franco-Israéliens vis-à-vis de leurs obligations militaires en Israël », déclarait, Christophe Lemoine, porte-parole adjoint du Quai d’Orsay, le 14 mars.


« La justice française est compétente pour avoir connaissance de crimes commis par des ressortissants français à l’étranger y compris dans le cadre du conflit en cours », précisait pourtant le même diplomate le 21 mars. Un rétropédalage sans doute suscité par le contenu de la vidéo, devenue entre-temps virale sur les réseaux sociaux.
« Au-delà de cas individuels identifiés, il est désormais clair que l’armée israélienne a commis des crimes de guerre et des crimes contre l’humanité à Gaza. Le caractère massif de ces violations, associé à la présence importante de soldats franco-israéliens dans les rangs de l’armée israélienne, augmente la probabilité que des ressortissants français aient pu y participer », estime Johann Soufi, avocat spécialiste du droit international.

« Dès lors, la France, signataire des conventions de Genève et du statut de Rome de la Cour pénale internationale, est juridiquement obligée d’enquêter pour s’assurer qu’aucun de ses ressortissants n’est impliqué dans ces crimes et, le cas échéant, poursuivre ceux qui seraient suspectés d’y avoir contribué. » Pour l’avocat, « il est important de préciser que la participation à un crime de guerre ou à un crime contre l’humanité ne se limite pas à commettre un meurtre, un acte de torture ou un viol ». Et d’ajouter : « Entraver l’aide humanitaire ou attaquer un hôpital, par exemple, y compris en tant que complice, constitue aussi un crime au regard du droit international et du droit français. »
Dans un premier temps, la justice doit d’abord se prononcer sur la recevabilité de la plainte.

 

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