Au Canada, les campus mobilisés pour obtenir la fin des investissements des universités en lien avec Israël
Par Hélène Jouan
Le Monde du 04 juin 2024
Une contre-manifestation devant le campement de protestation en soutien aux Palestiniens, sur le campus de l’Université McGill à Montréal (Canada), le 2 mai 2024. PETER MCCABE / REUTERS |
Des campements en soutien à la cause palestinienne persistent sur plusieurs campus depuis plus d’un mois, en dépit des recours devant la justice et des vacances universitaires.
A l’instar de leurs voisines américaines, les universités canadiennes ont vu depuis la fin du mois d’avril, des campements d’étudiants consacrés à la cause palestinienne fleurir sur leur campus. A l’université de Colombie-Britannique à Vancouver, à l’ouest du pays, à Calgary ou Edmonton en Alberta dans les Prairies, à l’Université de Toronto en Ontario, ou encore à McGill et à l’Université du Québec à Montréal (UQAM), quelques dizaines, parfois quelques centaines d’étudiants ont installé des tentes de fortune bardées de pancartes appelant à la « liberté pour la Palestine » ou exigeant du Canada de « cesser d’armer le génocide », en référence aux ventes d’armes canadiennes à Israël.
Ils y dorment la nuit à tour de rôle pour éviter tout démantèlement, organisent le jour des manifestations pour réclamer un cessez-le-feu à Gaza ; ils entendent surtout obtenir de la direction de leurs facultés, qu’elles mettent fin à toute coopération, financière ou académique, en lien avec Israël.
Au centre-ville de Montréal, quelques dizaines d’étudiants, réunis sous l’égide des associations, Solidarité pour les droits humains des Palestiniens et Voix juives indépendantes, tiennent le siège depuis le 12 mai dans un petit square adossé au complexe des sciences de l’UQAM. Sur les murs en verre du bâtiment, l’inscription « Université populaire Al-Aqsa », du nom de l’université de Gaza, a été apposée à la peinture. Malgré une large banderole arborant « zone libre », l’entrée du campement est soigneusement filtrée.
Keffieh autour de la tête et lunettes noires, Ishar accepte, sous couvert d’anonymat, d’enfreindre la règle qui exige que seuls des porte-parole désignés répondent aux journalistes. « La mobilisation des étudiants de Columbia (Etat de New York) le 17 avril, nous a montré la voie : il s’agit d’un mouvement révolutionnaire qui fait tache d’huile dans le monde entier. Il nous appartient, à nous, étudiants, de demander des comptes à nos universités sur leur degré de complicité avec un gouvernement “génocidaire” ».
Les grandes universités canadiennes disposent en effet, par le biais de leurs fondations, largement alimentées par des dons privés, de véritables trésors de guerre. Avant de distribuer des bourses étudiantes ou de doter leurs centres de recherche de subsides supplémentaires, elles font fructifier leurs avoirs en achetant des actions de grandes entreprises, canadiennes ou étrangères. Les étudiants propalestiniens réclament que ces investissements soient rendus publics, et qu’il soit mis fin à toute participation dans des sociétés liées, directement ou indirectement à Israël.
« Faire pression sur le gouvernement »
A McGill, l’université anglophone de Montréal, les associations McGill Hunger Strike for Palestine et Students for Justice in Palestine, ont mis au jour une liste d’une cinquantaine d’entreprises participant selon eux « au génocide en Palestine », pour un montant de quelque 73 millions de dollars (49 millions d’euros) sur un fonds de dotation globale de 1,8 milliard de dollars (1,2 milliard d’euros) en 2023. Parmi les sociétés visées, l’entreprise américaine de défense Lockheed Martin ou encore la française Safran, qui disposent de contrats avec l’armée israélienne.
« Il y a trente ans, mon père se battait sur ce même campus pour réclamer, déjà, que son université ne transige pas avec ceux qui n’ont cessé d’opprimer son peuple », explique Ali, un étudiant canadien d’origine palestinienne dont une partie de la famille vit en Cisjordanie. « Je suis là à mon tour, dit-il en désignant les tentes installées sur le gazon face au bâtiment principal de l’université, pour faire pression sur le gouvernement canadien afin qu’il mette un terme définitif à son soutien à l’Etat sioniste, et pour que la direction de McGill entende nos revendications ».
Chaque établissement a sa propre stratégie pour tenter de mettre fin à l’occupation de son campus. Le conseil d’administration de l’UQAM a joué la carte du dialogue et adopté le 29 mai, une résolution demandant à sa Fondation, qui gère 50,3 millions de dollars (34 millions d’euros), de s’assurer « de n’avoir aucun investissement direct dans des fonds ou compagnies qui profitent de l’armement et de divulguer chaque année la liste de ses investissements ».
En plus d’appeler à un cessez-le-feu immédiat entre Israël et le Hamas, la résolution condamne par ailleurs toute attaque contre des établissements d’enseignement supérieur en Palestine. Les douze universités de Gaza ont été détruites ou endommagées par l’armée israélienne depuis le début de la guerre. La direction promet enfin de faciliter l’accueil d’universitaires palestiniens.
Actes « d’intimidations »
La victoire pour les étudiants est symbolique, puisque en réalité l’UQAM avait déjà fait savoir qu’elle ne disposait « d’aucun placement dans des entreprises liées à l’armée israélienne » ; mais, l’engagement de la direction de l’université permet aux organisateurs de la mobilisation d’affirmer que « leurs demandes minimales » ont été satisfaites. Ils sont prêts, à lever le camp.
A McGill, la situation reste plus tendue. Si le président de l’université, Deep Saini, s’est dit ouvert à faire preuve de plus de transparence sur les fonds investis, voire à étudier la possibilité de mettre fin aux investissements dans les entreprises d’armement, il s’est fixé pour ligne rouge de refuser les appels au boycott des institutions universitaires israéliennes. « La mission de McGill est de faire progresser les connaissances, et non de les limiter. Le libre-échange d’idées et l’engagement universitaire sont une puissante force bénéfique dans le monde », écrivait-il le 29 mai, dans une lettre envoyée à la communauté enseignante et étudiante de son établissement.
Dans la même missive, le recteur, qui se dit attaché à « la liberté d’expression », s’émouvait des actes « d’intimidations, de harcèlement et de discriminations » perpétrés à l’encontre d’étudiants ou de professeurs de confession juive. Le 26 mai, un mannequin représentant le premier ministre israélien, Benyamin Nétanyahou, vêtu d’un costume rayé, a été pendu à la porte d’entrée de l’université. « Rien de tout cela n’est une manifestation pacifique ; cela est conçu pour menacer, contraindre et effrayer les gens. C’est totalement inacceptable. » McGill a tenté, en vain jusqu’à présent, de réclamer devant les tribunaux, l’évacuation du campement.
L’université de Toronto s’en remet également à la Cour supérieure de l’Ontario pour tenter d’obtenir que les manifestants quittent les pelouses du King’s College Circle. Les cours sont terminés dans toutes les universités canadiennes, mais l’épreuve de force entre étudiants et directions pourrait se prolonger une partie de l’été.