GAZA : les journalistes et la liberté d'informer CIBLE de l'état israélien
En rappelant que jusqu'à l'heure actuelle les journalistes ne peuvent pas pénétrer à Gaza pour pouvoir massacrer à l'abri du regard du monde
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Julia Hamlaoui
L'Humanité du 25 juin 2024
Un consortium de médias internationaux a enquêté pendant quatre mois, sous l’égide de Forbidden Stories, sur les journalistes tués à Gaza. Des reporters délibérément pris pour cible, selon les témoignages recueillis et les analyses effectuées, et « une des plus flagrantes attaques contre la liberté de la presse jamais connues », selon le directeur du Comité de protection des journalistes.
L’enquête, livrée ce mardi 25 juin par un consortium de médias internationaux, sous l’égide de Forbidden Stories, porte sur des milliers d’heures d’images et de sons en provenance de la bande de Gaza, sur l’analyse des dizaines de cas dans lesquels des journalistes ont été tués ou blessés. Et elle démontre qu’au moins une partie de ces frappes était « délibérée », selon le terme retenu par le Monde qui fait partie du consortium. Une nouvelle alerte, alors que les organisations de journalistes dénoncent cette situation depuis des mois.
Selon des chiffres compilés par Arij (un groupe de médias basé en Jordanie, également membre du consortium), au moins 40 journalistes ou travailleurs des médias ont été tués alors qu’ils se trouvaient à leur domicile. Quatorze ont été tués ou blessés ou présumément visés alors qu’ils portaient leur veste de presse à Gaza, en Cisjordanie ou dans le sud du Liban, 18 ont été tués ou blessés dans des frappes de drones à Gaza. Quatre ont été tués ou blessés dans des frappes de drones alors qu’ils portaient leur gilet presse. Et au moins 40 journalistes travaillant pour des médias affiliés au Hamas ont été tués, selon cette étude.
« C’est un ciblage, et nos gilets presse nous exposent »
L’armée israélienne a immédiatement dénoncé de « fausses accusations selon lesquelles elle vise des journalistes », prétendant qu’elle « ne blesse pas intentionnellement des journalistes, qui ont pu être touchés durant des frappes aériennes ou des opérations visant des cibles militaires ».
Pourtant, les analyses des experts consultés par le consortium, spécialistes notamment de l’usage des drones, les multiples témoignages recoupés par des images ou des sons disent bien autres choses. À l’instar de ces deux frappes successives qui, le 13 octobre 2023, dans le sud Liban ont tué Issam Abdallah, un journaliste de l’agence Reuters âgé de 37 ans, blessé eux de ses collègues de Reuters, deux de la chaîne Al-Jazira, et deux de l’Agence France-Presse. Ou cette autre frappe qui en janvier a causé la mort de deux journalistes : Hamza al-Dahdouh, fils de Waël al-Dahdouh, chef du bureau d’Al Jazeera, déjà endeuillé par l’assassinat de son épouse et de ses deux enfants, et Moustafa Thuraya, collaborateur de l’AFP.
Deux exemples parmi de nombreux autres. Au point que, à l’image de l’angoisse de beaucoup de ses collègues, Hossam Shabbat, reporter pour Al-Jazira dans le nord de la bande de Gaza confie dans les colonnes du Monde : « Je porte un gilet presse, ainsi qu’un casque. Nous essayons toujours d’être identifiés comme des journalistes afin que l’armée d’occupation n’ait aucun argument pour nous prendre pour cible. Mais ces derniers temps, nous considérons notre gilet comme quelque chose qui nous expose et nous met en danger. Les forces israéliennes attaquent délibérément les journalistes. C’est un ciblage, et nos gilets presse nous exposent. »
Laurent Richard, cofondateur de Forbidden Stories, assure également dans un éditorial publié ce mardi que « les journalistes gazaouis savent depuis longtemps que leur veste presse ne les protège plus. Pire, elle les expose peut être davantage ». « C’est une des plus flagrantes attaques contre la liberté de la presse que j’ai jamais connues », ajoute Carlos Martinez de la Serna, directeur du Comité de protection des journalistes (CPJ), interrogé par le consortium.