Le monde d’aujourd’hui à la lumière de l’analyse par Lénine de l’impérialisme

Publié le par FSC

 

 

Le débat en visio du 24 mai dernier a été très utile, un débat riche animé par Fanny Chartier après les introductions de


- Franck Marsal, sur la situation de l’impérialisme aujourd’hui, un siècle après Lénine
- Stéphanie, une militante d’un grand industriel de l’armement, sur le vécu des salariés
- Leila Moussavian-Huppe, membre de la commission internationale du parti, sur la position du dernier congrès sur l’OTAN

Hervé Poly avait rappelé l’appel signé de 1000 communistes et sympathisants pour la paix intitulé "Avec les peuples, rassemblons pour la paix et la coopération !"

Un compte-rendu vidéo et texte est en préparation, mais voici le lancement du débat par Hervé Poly (en vidéo) et la première introduction de Franck Marsal qui situe bien l’enjeu historique pour les communistes.

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L’objectif est de faire le point sur notre analyse de l’impérialisme aujourd’hui et d’ouvrir le débat sur cette question.

Revenons au tout début. Le parti se réfère souvent à Jaurès. C’est un bon point de départ. Mais il faut aussi resituer le débat par rapport à Lénine. Jaurès est mort à la veille de la 1ère guerre mondiale. Il n’a donc pas pu formuler d’analyses sur ce qui s’est déroulé et sur le bilan des analyses formulées avant la guerre et sur les erreurs qui ont été révélées par le déclenchement de cette guerre.

En particulier, il n’a pas pu analyser les raisons qui ont mené à l’échec et l’effondrement de l’Internationale ouvrière, dite « 2nde internationale », qui rassemblait des partis puissants qui s’étaient engagés à s’opposer à la guerre mais qui ont finalement voté pour la plupart d’entre eux les crédits de guerre dans leur pays contre le pays voisin et envoyant donc les ouvriers se combattre les uns les autres dans les tranchées.

De ce point de vue, la grosse différence entre l’analyse de Lénine et l’analyse de Jaurès se situe dans une analyse beaucoup plus profonde du développement du capitalisme à travers la phase impérialiste comme une explication de la montée inéluctable vers la guerre. C’est cette analyse qui a permis, peu à peu, au fil du temps de construire une opposition à la guerre.

La vision de Jaurès était fondamentalement pacifiste, c’est à dire il faut s’opposer à la guerre, il faut que l’on fraternise et il faut que chaque classe ouvrière s’oppose à la guerre. Elle ne fournissait pas les éléments théoriques et pratiques suffisant pour faire ce que va réussir Lénine, c’est à dire d’abord, arriver à renverser le capitalisme dans un premier pays (la Russie) puis ensuite mettre fin à la guerre par la montée des mutineries et des conseils ouvriers en Allemagne et en Autriche.

C’est important de revenir à ça car ça a beaucoup d’actualité. C’est important aussi de réanalyser tout ce qui s’est passé depuis les analyses de Lénine en 1915 - 1916, car, bien sûr le monde à évolué et, en général, le premier argument qu’on nous oppose, est « tout ça, c’est vieux et il faut prendre en compte le monde tel qu’il est aujourd’hui ».

Pourtant, si on revient à 1914, on a déjà un élément que l’on peut directement resituer aujourd’hui. C’est, dans la justification de l’entrée en guerre, le poids des arguments qui s’appuie sur la diabolisation de l’adversaire. Un des arguments qui va être utilisé en Allemagne et en Autriche pour justifier l’entrée en guerre, c’est la diabolisation du régime tsariste, « on se bat contre le Tsar, contre l‘autocratie tsariste ». En France, c’est à peu près le même argument qui est utilisé, cette fois contre le Kaiser et l’autocratie allemande.

On voit que les ressorts de la justification de la guerre n’ont pas beaucoup évolué, on diabolise l’adversaire, on simplifie tout et cela permet de justifier à peu près tout et n’importe quoi.

Revenir à des analyses matérialistes, à la situation du capitalisme, est donc encore aujourd’hui essentiel et on n’a pas les bons outils théoriques si on ne franchi pas ce cap là.

Alors, qu’est-ce qui a changé ; qu’est-ce qui est constant et encore valable dans l’analyse de Lénine ?

L’analyse de Lenine repose essentiellement sur quatre éléments :

 

  • 1) la concentration du capital économique, de la production, l’apparition du monopole qui est l’aboutissement de la concurrence capitaliste La constitution des syndicats patronaux, les trusts.
     
  • 2) La mainmise de ces monopoles à la fois sur les matières premières et sur les débouchés, le partage du monde par ces trusts,
     
  • 3) La fusion du capital industriel, du capital financier et le rôle des banques
     
  • 4) La politique coloniale : Lénine analyse le monde de 1915 et en 1915, le monde est dominé par le colonialisme et en particulier les deux empires principaux que sont l’empire britannique et l’empire français.

On voit bien déjà que dans ces éléments, il y a des points qui sont encore présents et constant aujourd’hui. La concentration monopoliste du capital n’a pas cessé d’augmenter. Les champs se sont un peu modifié, on est passé du charbon au pétrole, les nouvelles technologies sont apparues, mais les mécanismes de concentration, de monopoles et de cartels sont encore tout à fait dominants aujourd’hui, ils sont même devenus plus puissants et on a franchi des degrés nouveaux de développement de cette concentration.

La fusion du capital industriel, du capital financier et des banques s’est également développée et approfondie. On le voit à plein d’égards. C’est également extrêmement important.

En revanche, on tombe sur des premières différences, qu’il est intéressant de développer.

La première chose qui change, c’est l’apparition, dès 1917, de la révolution socialiste et l’existence d’états socialistes. Ça, Lénine en parle. Lorsqu’il dit « impérialisme, stade suprême du capitalisme », ça veut dire et il l’explicite que la tâche à l’ordre du jour, c’est la révolution socialiste. Seule la révolution socialiste va permettre de dépasser ce stade, de lutter contre la guerre, de triompher, de parvenir à la paix et d’ouvrir un nouvel avenir pour l’humanité.

Sans revenir en détail sur l’histoire des pays socialistes, il est important de noter qu’il y a toujours des pays socialistes, certains ont certes disparus ou se sont transformés, mais il existe toujours des états socialistes et donc nous sommes toujours dans cette lutte concrète pour le socialisme.

Le deuxième élément qui a radicalement changé après 1945, et qui est la conséquence directe du premier, c’est la fin du monde colonial. Quand je dis que c’est la conséquence directe du premier, c’est que le rôle de l’URSS, du mouvement communiste international dans la libération des pays colonisés, est absolument essentiel.

Il n’est pas seul, mais il est absolument essentiel. Ça change radicalement le monde, avec d’un côté, un mouvement de libération, que je ne développe pas, et d’un autre côté, l’opposé à ce mouvement de libération, c’est que, comme le colonialisme n’est plus possible, l’impérialisme va inventer de nouvelles manières de dominer le monde, c’est le néo-colonialisme.

Cela va entraîner des modes de domination différents. On passe notamment d’une domination politique directe et d’une différence de statut entre la personne colonisatrice et la personne colonisée. Les différences s’estompent, elles ne disparaissent pas tout à fait : avoir un passeport malien et avoir un passeport états-unien, ce n’est pas tout à fait la même chose, mais les différences s’estompent et on va jouer sur d’autres ressorts de domination, la domination indirecte, financière, économique, technologique, informationnelle ...

La troisième chose qui change radicalement après la seconde guerre mondiale, c’est une reconfiguration complète des empires tels qu’ils existaient.

Les deux grands empires qui se partageaient le monde, à savoir la France et l’Angleterre sortent radicalement affaiblis de la guerre et émerge un nouvel acteur, les USA, qui seuls vont avoir les moyens de dominer largement le monde capitaliste.

Ils vont être présents militairement dans tout l’ouest de Europe et au Japon. Ils vont maîtriser les principales sources d’énergie mondiales, notamment le pétrole. Ils vont contrôler 80 % de la production industrielle d’après guerre, etc, etc.

Ils vont avoir une domination politique. Cela change radicalement les choses. On ne peut pas avoir une analyse correcte de la situation sans pointer le statut très particulier des USA dans le monde et la matière dont ils ont assis leur domination sur l’ensemble du monde capitaliste, puis essayer d’élargir ensuite sans cesse cette domination sur l’ensemble du monde. (cf. les analyses développées par Jean Claude Delaunay sur l’impérialisme global).

[ les résistances ]

C’est un des éléments de la guerre, des guerres d’aujourd’hui, puisque, évidemment, cette domination, cette volonté de domination suscite des résistances. Sur ce point, une petite précision : la domination impérialiste a toujours suscité des résistances, quelle que soit sa forme, quelles que soient les situations dans lesquelles elle s’est appliquée.

Et je crois qu’il est important de dire que les résistances à l’impérialisme ne sont pas nécessairement des résistances qui viennent uniquement du mouvement ouvrier, du mouvement socialiste ou communiste, c’est à dire qui viennent uniquement des catégories progressistes de la société.

A partir du moment où la domination impérialiste est une forme de domination qui va s’exercer de manière totale sur un pays entier et sur un ensemble de couches sociales de ces pays, il y a des résistances, cela a toujours existé, qui peuvent se cristalliser sur des couches sociales ou des assemblages de couches sociales qui peuvent être extrêmement divers et qui n’ont pas spontanément un caractère révolutionnaire, socialiste ou communiste.

Dans les choses qui sont nouvelles, il y en a deux dernières qui nous amènent directement à l’actualité.

Dans les développements ultérieurs après cette première phase de destruction des empires coloniaux et de reprise en main de l’ensemble du camps capitaliste par les USA, il y a un phénomène de développement économique, une montée en puissance de la classe ouvrière mondiale, qui fait qu’on a basculé d’un monde qui était essentiellement rural, qui se prêtait donc à la colonisation, avec une production auto-centrée vivrière, à un monde qui est aujourd’hui essentiellement urbain et industrialisé ou en voie d’industrialisation.

Aujourd’hui, nous avons une classe ouvrière qui est numériquement et économiquement plus puissante qu’elle n’a jamais été. Nous avons également un développement technologique et surtout, nous avons eu une évolution des processus de production qui fait que de plus en plus, les USA ont perdu leur caractère de centralité dans les processus de production et en particulier dans la production industrielle.

Le dernier élément qui a changé depuis les analyses de Lénine, c’est que nous avons désormais un pays, la Chine, dirigé par le parti communiste chinois, doté d’une économie socialiste de marché, qui est en train de devenir le centre de l’économie et de l’industrie mondiale à beaucoup d’égards.

La Chine ne domine pas tous les secteurs, il y a quelques secteurs qui lui échappe, mais on sent bien qu’il y a une puissance de développement qui change radicalement la situation, à la fois sociale, économique, financière, géopolitique et probablement militaire du monde. Donc, on voit bien que ceci est porteur d’enjeux extrêmement puissants et que, une bonne raison, une partie des causes des conflits actuellement en cours, c’est le raidissement de l’empire états-unien face à cette perte de domination qui se présente pour lui et dans sa volonté d’aller chercher à travers la guerre le maintien d’une position dominante qu’il est en train de perdre par rapport à d’autres sphères.

[La guerre en Ukraine : l'enjeu de la Crimée]

Je voudrais ici faire une remarque spécifique sur l’enjeu de la guerre actuelle en Ukraine qui n’a peut-être pas été suffisamment développée.

Quel est l’intérêt stratégique de l’impérialisme dans cette guerre ? Ce qui me frappe, c’est la concomitance entre les événements en Ukraine, ce qui se déroule en Géorgie et ce qui s’est passé il y a quelques mois en Arménie. Quand on suit la route qui part d’Europe, et qui passe par la Crimée. On appelle la Crimée la « tour de contrôle de la Mer Noire ». On sent bien que la Crimée reste l’enjeu : il est frappant de voir que la plupart des armes les plus efficaces fournies par l’OTAN ou dont dispose l’Ukraine sont d’abord utilisées pour frapper la Crimée alors que les batailles les plus difficiles que mène l’armée ukrainienne ne se déroulent absolument pas en Crimée, elles se déroulent dans le Donbass.

C’est dans le Donbass que l’armée de Kiev est en difficulté, mais c’est en Crimée qu’elle utilise ses armes les plus efficaces jusqu’ici. Si on part de la Crimée, qu’on arrive Géorgie, qu’on veut absolument faire adhérer à l’UE et à l’OTAN, on arrive en Azerbaïdjan, sur le terrain du conflit Arménie / Azerbaïdjan de ces derniers mois, puis au pétrole de la Mer Caspienne et de l’Asie Centrale.

Je pense que c’est un enjeu majeur pour l’impérialisme d’ouvrir une route vers ces sources de pétrole et de disputer à la Russie le contrôle direct ou indirect qu’elle peut avoir sur ces routes. On a bien une guerre qui du point de vue de l’OTAN a des enjeux impérialistes, c’est d’accéder à des sources d’énergies aujourd’hui essentielles dans le monde.

Dernière chose, pour conclure cette analyse, sur les aspects les plus pratiques, je dirai deux choses.

La première, c’est la manière dont Lénine a formulé les enjeux dans un contexte extrêmement tendu, où dans chacun des pays des millions de gens étaient portés vers la guerre, c’était la transformation de la guerre impérialiste en guerre civile et en révolution. Ce que, dit autrement, Karl Liebknecht a formulé en disant « l’ennemi principal est dans notre propre pays ».

Ce qui tranchait assez radicalement par rapport à un discours pacifiste classique et qui pouvait être un enjeu d’action. Ceci n’a pas changé, même si les formes, aujourd’hui, il faut les adapter. Je pense qu’en particulier aujourd’hui, sur le terrain de la propagande, notre objectif principal doit être de lutter contre la propagande de guerre telle qu’elle est menée dans notre propre pays, chacun. C’est un enjeu essentiel, c’est un enjeu essentiel du texte et de ce qui nous manque aujourd’hui pour agir contre cette guerre.

[L'objectif : le socialisme]

Deuxième point de conclusion, je pense qu’on ne peut pas aujourd’hui porter cette question de la paix, cette question de la lutte contre la guerre, la perspective d’un autre avenir pour le monde, sans porter la perspective d’une société socialiste.

A partir du moment où on analyse les causes de la guerre comme étant l’impérialisme et l’impérialisme comme le stade ultime du capitalisme, l’enjeu principal est de remettre à l’ordre du jour la question du socialisme. C’est ce que nous avons essayé de faire depuis plusieurs années et plusieurs congrès. A partir de cet enjeu du socialisme, c’est expliquer pourquoi on peut, cela devient une possibilité pratique, changer les bases qui nous mènent à la guerre aujourd’hui et les renverser, vers un monde de développement, de coopération, de partage et vers un monde dans lequel chacun pourra accéder à une vie digne dans un contexte de paix.

 

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