A Gaza, le naufrage du ponton humanitaire américain

Publié le par FSC

Par Louis Imbert
Le Monde du 05 juillet 2024

 

Acheminement des camions d’aide humanitaire du quai flottant construit par les Etats-Unis, avant d’atteindre la plage sur la côte de la bande de Gaza, le 25 juin 2024. LEO CORREA / AP

 

L’installation maritime, qui devait permettre de livrer de la nourriture à une population affamée en contournant le blocus terrestre de l’enclave côtière imposé par Israël, n’a quasiment jamais fonctionné.
S’il fallait résumer le naufrage de la politique américaine à Gaza, le ponton aménagé sur la côte de l’enclave palestinienne en mai, afin d’y livrer de l’aide humanitaire, serait un cas d’école. A la fin du mois de juin, l’ouvrage a été remorqué pour la troisième fois à l’abri, dans le port israélien d’Ashdod. Le mauvais temps le rendait par trop instable. Le vent ne souffle pourtant pas bien fort dans la région.


Plusieurs responsables américains ont dit à l’agence Associated Press qu’il pourrait ne pas être réinstallé au large de Gaza. Les Etats-Unis abandonneraient là ce projet qui a coûté 212 millions d’euros, pour un résultat dérisoire. Il n’a permis de distribuer que 4 000 tonnes de nourriture environ dans l’enclave, où près de 2 millions de personnes souffrent de la faim. C’est à peine l’équivalent de deux cents camions, la moitié de ce qui entrait à Gaza chaque jour avant la guerre.


« Ce projet était grotesque dès le premier jour, une simple diversion. Les Américains auraient mieux fait de convaincre Israël de laisser passer les camions par la route, depuis leur port d’Ashdod. En deux mois, le projet a sombré dans le ridicule », résume un haut administrateur des Nations unies. Le président américain, Joe Biden, avait lui-même annoncé cette tentative le 7 mars, peu après le massacre dit « de la farine ». Un rare convoi de nourriture escorté par l’armée dans la métropole de Gaza avait été pris d’assaut par une foule affamée. Des soldats avaient ouvert le feu. Près de cent vingt morts avaient été recensés par les autorités de santé locales.

Un aveu d’impuissance


Les quantités que l’armée américaine se dit alors capable d’acheminer apparaissent déjà très limitées. Son autonomie est aussi relative puisqu’elle dépend des Israéliens pour sécuriser ses bateaux et la côte, où « pas une botte américaine » ne doit se poser. En réalité, ce projet est déjà un aveu d’impuissance.
Les Etats-Unis ont cessé à l’époque de promouvoir une sortie diplomatique par le haut : ils n’évoquent presque plus la possibilité de relancer la solution à deux Etats après-guerre. Ils n’ont pour horizon que l’hypothétique libération d’otages à la faveur d’un cessez-le-feu négocié avec le Hamas. Face à la famine qui guette, ils échouent à convaincre leur allié israélien de rouvrir les frontières terrestres de l’enclave.


A la mi-avril, le Programme alimentaire mondial (PAM) est recruté pour distribuer cette aide. Dans la galaxie des Nations unies, l’agence est historiquement la plus proche de l’administration américaine. Elle est dirigée par Cindy McCain, veuve de l’ancien sénateur et candidat à la présidentielle de 2008 pour le parti républicain John McCain. Un mois plus tard, le 18 mai, le PAM récupère sur la côte un premier chargement, qui n’atteindra jamais ses entrepôts de Deir Al-Balah : il est pillé en route par la population.
Le 25 mai, des vents forts et une mer houleuse endommagent le ponton et font s’échouer trois navires américains qui opéraient à proximité. Trois militaires sont blessés. Une vidéo, tournée depuis la côte par des soldats israéliens hilares, montre ce qu’il reste de l’installation à demi submergée.


Puis le 8 juin au matin, Israël informe le PAM qu’un nouveau chargement sera prêt à être acheminé dans la journée. Le ponton a été reconstitué à Gaza la veille. L’organisation a à peine le temps de mobiliser ses équipes que des coups de feu retentissent dans Deir Al-Balah. L’armée a lancé le raid qui permettra de libérer quatre otages du Hamas, aux prix de 274 morts palestiniens, selon le ministère de la santé gazaoui. Selon l’armée israélienne, les otages et un soldat blessé, qui succombera plus tard, ont été ramenés jusqu’à la base israélienne aux abords du ponton, pour y être évacués par hélicoptère.


C’est l’un des principaux legs de ce projet américain : il a contribué au développement de la route militarisée de Netzarim, qui coupe l’enclave en son milieu, et isole la métropole dépeuplée de Gaza de son arrière-pays, au sud. Israël a bâti sur la côte un important complexe militaire et logistique pour sécuriser et stocker les livraisons, et faciliter leur acheminement.

« Un manque de motivation »


Le PAM ne relance pas ses livraisons après le 8 juin. « Nous attendons une évaluation du département sécurité des Nations unies, qui porte sur l’usage qui a été fait de ces installations durant le raid, mais surtout sur la sécurité des routes que nous empruntons pour acheminer cette aide », précise aujourd’hui Shaza Moghraby, une porte-parole du PAM. L’armée mène des raids réguliers dans la région, depuis deux autres bases avancées aménagées le long du « corridor » de Netzarim.


Mais le problème concerne toute l’enclave. Après une série d’incidents, le secrétaire général des Nations unies, Antonio Guterres, a interrompu, fin juin, toutes les opérations de l’ONU à Gaza durant quarante-huit heures, suscitant de nouvelles tractations avec l’armée. « Tout l’environnement opérationnel est devenu presque impossible à Gaza. L’espace pour les humanitaires ne cesse de se réduire, à cause des frappes de l’armée et des munitions non explosées disséminées sur les routes », plaide Mme Moghraby. Les attaques de gangs gazaouis contre les convois affectent aussi la sécurité du personnel humanitaire.


Le PAM a demandé à l’armée de mettre en place une meilleure coordination et de l’autoriser à faire usage de matériel de communication comme le système d’Internet satellitaire Starlink. L’armée craint que celui-ci ne tombe aux mains du Hamas. Elle multiplie les messages de défiance envers l’ONU et le PAM, affirmant qu’« il n’y a pas de pillages ni de problèmes de sécurité, seulement un manque de motivation ». Depuis la fin du mois de juin, le PAM a collecté un stock d’aide arrivé par le ponton, qui s’était accumulé sur la base côtière israélienne, et risquait d’y pourrir. Mais vu l’incertitude qui plane sur le dispositif américain, l’agence se garde de s’engager plus avant pour l’avenir.
 

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