Israël menace la vie de Marwan BARGHOUTI

Publié le par FSC

Parce que fondamentalement Netanyahou et ses affidés ne veulent pas d'interlocuteur avec qui négocier, le repoussoir Hamas n'étant qu'un prétexte !

Pour leurs complices ici il en va de même !

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Gwenaelle Lenoir
Médiapart du 09 juillet 2024

 

Une grande fresque murale représentant Marwan Barghouti, dans le camp de réfugiés de Jabalia, dans le nord de Gaza, le 16 avril 2023. © Photo Majdi Fathi / NurPhoto via AFP

 

Le dirigeant du Fatah incarcéré depuis plus de vingt ans et très populaire parmi les Palestiniens est aujourd’hui considéré comme un recours possible pour l’après-guerre de Gaza par nombre de diplomates. Les autorités israéliennes refusent obstinément sa libération.

Ramallah (Cisjordanie).– Une figure familière devenue icône : un visage un peu rond, regard déterminé, moustache et cheveux bruns, des poignets menottés levés au-dessus de la tête en signe de victoire. Tout le monde, en Cisjordanie et dans la bande de Gaza, connaît Marwan Barghouti. Même celles et ceux qui ont 20 ans et moins – soit la moitié de la population, née alors qu’il était déjà dans les geôles israéliennes.
Condamné en 2003 par un tribunal militaire israélien, en plein cœur de la deuxième Intifada, à cinq peines de prison à perpétuité pour avoir, ce qu’il nie, commandité un attentat dans lequel cinq Israéliens ont été tués, enfermé depuis, le dirigeant du Fatah n’a en fait jamais quitté la scène palestinienne.


Il y fait même des retours en force périodiques, et c’est le cas depuis la guerre d’Israël contre Gaza et la Cisjordanie déclenchée après les massacres du 7 octobre 2023.
Son nom ressurgit dans les conversations des expert·es et des diplomates quand il s’agit de l’après-guerre à Gaza. Et il n’est pas tiré du chapeau au hasard. Israël et ses alliés occidentaux refusent tout rôle au Hamas. L’État hébreu ne veut pas non plus de l’Autorité palestinienne, de toute façon absente de Gaza depuis son éviction en 2007 et totalement décrédibilisée auprès de la population palestinienne.
Les chancelleries se disent que, malgré sa condamnation, Marwan Barghouti présente beaucoup d’avantages.


En premier lieu, il est très populaire. « Il peut être la personnalité de consensus de toutes les factions palestiniennes et de toutes les franges de la population. Il est vu comme un dirigeant courageux, non corrompu, qui défend l’unité du peuple, les droits des femmes et des enfants, et considère que la démocratie est la seule source de légitimité », affirme Qaddoura Fares, président de la commission aux affaires des prisonniers et autres détenus.
Sur les murs de son grand bureau, où défile un nombre impressionnant de personnes, le portrait de Marwan Barghouti côtoie ceux de Mahmoud Abbas, président de l’Autorité palestinienne depuis 2005, et Yasser Arafat, leader historique.

Sa popularité ne cesse de croître


La dernière étude trimestrielle du Palestinian Center for Policy and Survey Research (PCPSR), conduite fin mai 2024, note un accroissement de la popularité du détenu le plus célèbre de Palestine. En cas d’élection présidentielle avec trois candidats, il arrive largement en tête devant Ismaël Haniyeh, chef de la branche extérieure du Hamas, et Mahmoud Abbas, président de l’Autorité palestinienne. En cas de duel avec Ismaïl Haniyeh, il est aussi en tête, avec 60 % d’opinions favorables.
Il est également le premier nom qui surgit spontanément en réponse à la question « qui pour présider l’Autorité ? » sans suggestion de patronyme.


« C’est vrai qu’on ne le connaît pas, on n’a jamais eu l’occasion de l’entendre, de voir sur le terrain ce qu’il ferait, nuancent Heba et Hadi, deux jeunes de 20 ans qui se positionnent à gauche sur l’échiquier politique. Mais tant qu’il est en prison, c’est un révolutionnaire. Et nous avons besoin de révolutionnaires. Notre lutte nationale n’est pas terminée, loin de là. »
Natif de Kobar, village de Cisjordanie proche de Ramallah, Marwan Barghouti incarne à lui seul la lutte nationale palestinienne : engagé à 15 ans dans le Fatah, parti de Yasser Arafat, arrêté une première fois à 19 ans, partisan de la lutte armée, dirigeant régional lors de la première Intifada, rallié au processus d’Oslo, déçu par lui, élu au Conseil législatif, actif lors du soulèvement armé de 2000 et totalisant un quart de siècle en prison.


« Il a tout connu et tout fait : la résistance, l’activisme étudiant, le soutien aux négociations et à la lutte non violente, affirme son fils cadet, Arab Barghouti, 33 ans, un des piliers de la campagne internationale pour la libération de Marwan Barghouti. Il a été élu dans toutes les instances représentatives du Fatah et de l’OLP et rempli ses mandats au nom du peuple. Il a rencontré des officiels israéliens partout dans le monde, et il a compris que la seule voie était la paix, mais une vraie paix, sans compromission, dans la liberté et la dignité. »
Que Marwan Barghouti ait tenu tête, lors de son procès en 2003, aux juges militaires israéliens, leur niant toute légitimité, qu’il soit emprisonné depuis tant d’années, lui donne une grande pertinence. La question des prisonniers est en effet centrale dans la société palestinienne, et il n’est pas une famille qui n’ait au moins un de ses membres passé par la case prison ou encore détenu.
Comme l’immense majorité des Palestiniennes, son épouse, Fadwa, elle-même avocate, et leurs enfants ont passé des heures et des heures de trajet, de fouilles et d’attente pour le visiter dans les différentes prisons où il a été enfermé.

Le professeur Barghouti


Son fils Arab y a puisé une bonne partie de son éducation. Une enfance partagée par des centaines de milliers d’enfants palestiniens : la disparition du père en 2001, entré en clandestinité pour échapper à l’arrestation, l’occupation de la maison familiale par des dizaines de soldats israéliens, moyen de pression sur le fuyard, la nouvelle de l’arrestation, le 15 avril 2002, et les visites en prison.


« La première fois, j’avais 12 ans, raconte-t-il dans un café de Ramallah. Il avait les poignets et les chevilles entravés. Il avait l’air fatigué, à cause des interrogatoires. Mais il a souri. Jusqu’à mes 16 ans, je l’ai vu deux fois par mois. On se levait à 5 heures du matin, et on revenait à 2 heures du matin la nuit d’après. Pour quarante-cinq minutes de visite. » Après ses 16 ans, le droit de visite est restreint. Il ne voit son père qu’une fois tous les deux ou trois ans.


« Malgré tout, il suivait mon éducation. C’est lui qui m’a convaincu d’aller étudier la finance aux États-Unis », reprend-il. Encourager son fils dans cette voie : un comble pour un révolutionnaire biberonné aux luttes de libération nationale. Le reflet, pense Arab, de sa curiosité et de son ouverture intellectuelles. « Il lit huit ou dix livres par mois, avec une passion pour les biographies. Il a lu celles de tous les dirigeants israéliens historiques », affirme le jeune homme. Comme tous les prisonniers aux longues peines, Marwan Barghouti connaît très bien l’hébreu.


La prison, pour les Palestiniens, rime avec formation, éducation, échange entre les différents courants palestiniens. La détention est une université. Dans ce contexte, Marwan Barghouti est un des professeurs les plus respectés. Détenteur d’un doctorat en relations internationales de l’université de Bir Zeit, il est habilité à enseigner. Mais il est plus que cela : pour nombre de détenus, surtout plus jeunes, il est un mentor, mémoire vivante de la lutte nationale.


« J’ai étudié avec lui pendant ma détention, et en sortant j’ai pu passer un diplôme de science politique à l’université de Bir Zeit », raconte Jihad Manasra, 32 ans aujourd’hui, arrêté à 18 et emprisonné pendant huit ans. Il n’est pas le seul : quatre cents détenus ont bénéficié du programme académique créé par Marwan Barghouti en prison. « La veille du 7 octobre, il enseignait encore à deux cents prisonniers », assure Ahmed Ghneim, compagnon de route et directeur de la campagne pour la libération du « Mandela palestinien ».

Incarnation de la lutte et de l’unité nationale


Les locaux, dans un immeuble qui donne sur le mausolée de Yasser Arafat, sont ornés de portraits de l’icône sud-africaine. Les soutiens de Marwan Barghouti tiennent à la comparaison. C’est un bon argument de mobilisation. Mais pas seulement : elle est pleinement justifiée selon eux.


Un des arguments est le « Document d’entente nationale des prisonniers », signé en mai 2006 par les représentants de cinq des plus importantes factions palestiniennes, parmi lesquels Marwan Barghouti, pour le Fatah, rédacteur du manifeste, et le représentant du Hamas. Le texte prône l’unité des mouvements et l’établissement d’un État palestinien dans les frontières de 1967 – rejeté jusque-là par le Hamas.
Même si le « Document des prisonniers » n’aura pas de suite concrète, il assoit la stature de Marwan Barghouti, désormais chantre de l’union nationale et de la lutte non violente.


Son nom figure en tête de la liste présentée par le Hamas à chaque négociation d’échange de prisonniers. À chaque fois, refus des autorités israéliennes.
Pis : « Depuis le 7 octobre, il est à l’isolement, sans visites ni radio, assure Ahmed Ghneim. Nous savons, par un avocat israélien qui l’a vu, qu’il a été battu sévèrement deux fois, les 6 et 12 mars, et laissé saignant à terre pendant des heures. Il est à peine nourri et ne pèse plus que 50 kilos. »


« On lui enlève le matelas à 5 heures du matin, la lumière est allumée jour et nuit, on lui passe l’hymne national israélien à très haut volume, il a été déplacé plusieurs fois, reprend Arab Barghouti. Nous sommes inquiets pour sa vie. »
La mort ou la vie de Marwan Barghouti, dans les semaines qui viennent, constitueront à elles seules un message politique délivré par les autorités israéliennes.

 

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