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Souveraineté industrielle : le triste bilan de sept ans de macronisme

Publié le par FSC

 

 

Macron réindustrialisation
© Compte twitter de l’Élysée

Souveraineté, réindustrialisation, planification : depuis la pandémie, la rhétorique présidentielle a pris une étrange inflexion étatiste. Face au chaos globalisé, le temps est à la protection du tissu productif français et la défense des fleurons nationaux. En même temps, la majorité présidentielle continue de vanter l’attractivité de la France pour les capitaux étrangers. La communication de l’Élysée ne tarit pas d’éloges sur cette politique, qui mêlerait ouverture au monde et planification industrielle, en multipliant les « coups de com » – récemment, le rachat des turbines Arabelle au géant américain General Electrics. La réalité dit tout autre chose. En 2017, la part de l’industrie dans le PIB était de 13,8 % ; elle avait chuté à 12,7% en 2022. Des entreprises hautement stratégiques ont continué d’être rachetées par des puissances étrangères. Et les subventions d’État, censées propulser les secteurs d’avenir, ont surtout consisté en un transfert massif d’argent public vers des capitaux privés – sans conditions.

Le bilan d’Emmanuel Macron était peu reluisant, avant même son élection. Ministre de l’Économie en 2014 et 2015, il avait cédé la branche « énergie » d’Alstom à General Electric alors que des alternatives existaient1. La perte de souveraineté industrielle était considérable : les usines et les brevets permettant de produire les turbines des centrales nucléaires, des barrages hydroélectriques et des centrales à gaz, des éoliennes en mer et les équipements pour les réseaux électriques avaient été abandonnés aux Américains. La suite est connue : suppressions d’emplois dans toutes les branches, fermeture de plusieurs sites et retour – dans la douleur et au prix d’une perte de souveraineté – de la capacité de produire les turbines Arabelle. Mais cet exemple n’est pas le seul : les entreprises Technip, Ecopla et Gad font les frais du manque d’intérêt du ministre Macron pour l’industrie.

Ce n’était pas le fruit du hasard : son programme de 2017 ne mentionnait pas l’industrie. La start-up nation faisait miroiter un tout autre horizon aux « entrepreneurs » : « innover » pour vendre un concept à de grandes entreprises (américaines de préférence) et devenir millionnaire sans avoir rien produit.

La pandémie de Covid a montré la faiblesse stratégique d’un pays qui n’a plus la capacité de produire des objets utiles pour la vie quotidienne ni pour le fonctionnement des chaînes de production. Quelle fut la réaction du président Macron ? Des discours vibrants, l’ajout du concept de « souveraineté industrielle » dans la titulature du ministre de l’Économie et des Finances, et d’énormes baisses d’impôts s’ajoutant aux précédentes baisses décidées depuis 2014.

Une certaine politique industrielle a bien été mise en place, fondée sur la priorisation de certains secteurs jugés stratégiques. Cette sélection est, au mieux, discutable. L’hydrogène est un secteur énergétique dont le cycle de production-transport-usage n’est pas compatible avec l’impératif de sobriété énergétique. Les usines de batteries, malgré les plantureuses subventions dont elles ont bénéficié, ne sont pas compétitives face aux productions chinoises ou américaines dans un marché globalisé. Quant au quantique : est-ce la priorité, quand des Français ne parviennent plus à se soigner faute d’antibiotiques et que le curare a manqué en 2020 pour les unités de réanimation ?

Au-delà de ces choix contestables, l’inflexion « industrielle » de la politique du président ne brille pas par ses résultats.

Pillage industriel maquillé en « attractivité »

Les partisans de la majorité présidentielle ne cessent de vanter « l’attractivité » de la France pour les capitaux étrangers. Derrière cette apparente bonne nouvelle, il faut lire l’acquisition d’entreprises françaises par des milliardaires et des fonds de pension étrangers. Vallourec, fabriquant de tubes en acier destinés aux infrastructures énergétiques, a été acquis par le fonds Apollo, basé aux États-Unis. Peugeot Société Anonyme (PSA) a été de facto racheté par l’italien Fiat et son siège social installé… aux Pays-Bas ! Quant à Exxelia, une PME produisant des équipements de très haute technologie pour le Rafale, le médical ou les télécommunications, elle a été acquise par une entreprise américaine2

Le rapport annuel de 2023 de la Direction générale du Trésor, chargée de contrôler les investissements étrangers en France, ne peut qu’inquiéter3. En 2023, pas moins de cent trente-cinq investissements étrangers ont été autorisés, portant sur des entreprises contribuant à « l’exercice de l’autorité publique » ou susceptibles de « porter atteinte à l’ordre public, à la sécurité publique ou aux intérêts de la Défense nationale ». 67 % de ces investissements proviennent d’un État hors Union européenne.

Si la Direction générale se veut rassurante en indiquant qu’elle a imposé des conditions à soixante de ces investissements, celles-ci sont, au mieux, très limitées. Elles ne peuvent, par exemple, porter sur le maintien de l’emploi en France. Et il faut ajouter que les investissements étrangers dans des secteurs stratégiques vont bien au-delà d’un simple changement juridique de propriété : le transfert potentiel d’informations ou de technologies vers un pays étranger est considérable. Et on ne connaît que trop les pratiques d’espionnage industriel du Parti communiste chinois et de l’administration des États-Unis, intimement liées à leurs grandes entreprises, et au fait de tous leurs investissements étrangers.

Le nombre d’entreprises exerçant une activité relevant des « intérêts fondamentaux de la nation » acquises par des capitaux étrangers progresse chaque année : 124 en 2021,131 en 2022 et 135 en 20234. Et avant 2021 ? Le mystère demeure : ces rachats n’étaient tout simplement pas comptabilisés. On peut bien reconnaître au gouvernement le mérite d’avoir publié un rapport annuel permettant de documenter la perte de souveraineté industrielle dans des domaines relevant des « intérêts fondamentaux de la nation » – la loi PACTE en a créé l’obligation.

Alors qu’autour de cent trente « entreprises stratégiques », selon la catégorisation de l’administration, sont acquises par des investisseurs étrangers chaque année, combien d’investissement sont bloqués ? Deux seulement depuis la création du dispositif : le spécialiste de l’optronique pour la défense Photonis5 et les entreprises Velan SAS et Segault fabriquant de la robinetterie pour le nucléaire (toutes deux filiales françaises du groupe canadien Velan)6. Mais si des investissements étrangers sont susceptibles de porter atteinte à « l’ordre public » ou aux « intérêts de la défense nationale », selon les termes des rapports annuels sur la souveraineté industrielle, pourquoi ne pas en interdire davantage ? Derrière la rhétorique « souverainiste » de l’Élysée, c’est bien l’abandon de l’industrie aux forces déchaînées du marché qui perdure.

Subvention du privé grimée en planification industrielle

Autre argument mis en avant par la majorité présidentielle : le budget de l’Etat a été mis à contribution pour limiter la pression désindustrialisante du libre-échange. Les dépenses fiscales (20 Md€ par an), les baisses des cotisations sociales (90 Md€ par an) et des impôts de production (10 Md€ par an) visent explicitement à renforcer la compétitivité des entreprises et notamment celle les entreprises industrielles exposées à la concurrence internationale. L’État a également lancé les plans France Relance et France 2030 à la suite de la pandémie de Covid, dotés respectivement de 100 milliards d’euros et de 54 milliards d’euros. Des subventions massives ont été attribuées aux entreprises manifestant leur volonté d’en recevoir – souvent sans autre condition que celle de ne pas être en difficulté. Si Bruno le Maire ne cesse d’affirmer que la réindustrialisation est en marche, les agrégats macroéconomiques démontrent le contraire : la part de l’industrie dans le PIB a chuté de 13,8 % en 2017 à 12,7% en 2022.

Le Premier ministre Gabriel Attal a annoncé, dans son discours de politique générale du 30 janvier 2024, que « notre industrie revient avec 100 000 emplois industriels créés et la réouverture de 300 usines ! ». 100 000 emplois créés – d’une pérennité variable – pour plusieurs centaines de milliards d’euros d’aides publiques : motif de réjouissance ou manifestation supplémentaire de la collusion entre la majorité présidentielle et les intérêts financiers ?

Derrière ces effets d’annonce en grande pompe, une réalité demeure : la vague de délocalisations subie par la France continue de grever son tissu productif. Du fait de la structure de son économie, elle y est particulièrement exposée : les très grandes entreprises (plus présentes en France qu’ailleurs) ont une propension supplémentaire à délocaliser que celles de taille intermédiaire7 . Qui peut douter qu’une véritable politique de réindustrialisation passera par un rapport de force avec ses propriétaires ?

 
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