Voices for Gaza, le collectif d’artistes qui veut réhumaniser les Palestiniens

Publié le par FSC


Rachida El Azzouzi
Médiapart du 30 juin 2024

 

Un concert de solidarité se tient à Paris le 1er juillet à l’initiative du collectif d’artistes Voices for Gaza qui entend réhumaniser les Palestiniens et ne pas faire de la Palestine un sujet tabou dans le monde de la culture en France.

En quelques minutes, le millier de places s’est vendu, le concert a affiché complet. Plus d’une trentaine d’artistes se réunissent lundi 1er juillet sur la scène de La Cigale à Paris en soutien au peuple palestinien que déciment les bombes israéliennes depuis près de neuf mois à Gaza.

Parmi eux, Angèle, la star belge qui a signé la tribune appelant la France à reconnaître l’État de Palestine, ou encore la chanteuse française Zaho de Sagazan, qui a triomphé aux victoires de la musique et chanté lors de l’ouverture du Festival de Cannes, où une minorité d’artistes a tenté de briser discrètement la chape de plomb et de silence sur les victimes de Gaza à l’aide de pin’s pastèque, de robes-keffiehs ou aux couleurs du drapeau palestinien.

L’objectif de cette soirée caritative, baptisée Voices for Gaza, « Des voix pour Gaza », dont les fonds seront reversés à l’ONG palestinienne Medical Aid for Palestinians, est double, selon ses organisateurs, qui affichent « l’ambition d’écrire une nouvelle page plus juste de l’histoire, ensemble ».

« Il s’agit de sensibiliser le plus grand nombre à la situation terrible à Gaza et de récolter des fonds pour une aide humanitaire immédiate, explique à Mediapart le producteur et réalisateur de documentaires Frank Barat, membre du collectif d’artistes Voices for Gaza à l’origine du concert. On veut dire aux Palestiniens de Gaza : “Vous n’êtes pas seuls, on pense à vous et on ne vous abandonne pas, on est là.” Aussi bénin que ça puisse paraître. »

Le concert, qui entremêle musique, lectures, poèmes, performances, danses, est une déclinaison de Voices for Gaza, un projet qui s’épanouit sur instagram depuis mars et qui vise à amplifier les voix palestiniennes en partageant sur le réseau social des témoignages de Gazaoui·es, civils, médecins, humanitaires, déclamés face caméra par des personnalités françaises et internationales, majoritairement issues du monde du cinéma. Ils décrivent en des termes bouleversants la violence extrême qui s’abat depuis le 7 octobre 2023 sur l’enclave palestinienne : le chaos, la famine, les destructions, les massacres de dizaines de milliers civils.

« On est conscients que la lutte ne va pas se gagner sur Instagram, mais avec Voices for Gaza, on a tenu à réhumaniser les Palestiniens au-delà des chiffres et à faire comprendre qu’on a le droit de parler de tous les sujets en France, y compris de la Palestine, où la France est impliquée, que ce soit diplomatiquement, économiquement ou politiquement. » Frank Barat revendique « un processus tout à la fois d'éducation et de libération de la parole ».

Militant aguerri de la cause palestinienne, coordinateur du Tribunal Russell sur la Palestine de 2008 à 2014, il a signé des livres avec des figures intellectuelles engagées contre la colonisation et l’occupation de la Palestine, tels le linguiste américain Noam Chomsky ou l’historien israélien Ilan Pappé.  Il dit savoir « à quel point le sujet fait peur en France » : « C’est un chemin de compréhension qui peut être long ou rapide, prendre des routes différentes. Porter un minuscule pin’s pastèque au Festival de Cannes en symbole de la résistance palestinienne peut apparaître peu courageux mais c’est un premier engagement. De mon expérience, une fois qu’on a mis un pied dedans, il est très difficile de le sortir. »

Frank Barat assure recevoir des témoignages de personnalités françaises du monde de l’art et de la culture « soulagées de s’être autorisées à parler de la Palestine publiquement » : « Elles nous disent qu’elles n’avaient jamais pris la parole auparavant car elles avaient peur, se sentaient seules, craignaient des représailles. Elles nous disent que notre collectif les a rendues fortes. Désormais, chaque fois qu’elles ont un micro devant elles ou qu’elles donnent une interview, elles parlent de la Palestine, un microcosme de tout ce qui va mal dans le monde, mais aussi de tout ce qui pourrait aller mieux grâce à la solidarité internationale. »

Les premières discussions remontent à l’automne, peu après le choc du 7 octobre. Frank Barat veut traduire en français et soumettre à signatures une tribune d’artistes britanniques et américains qui appellent à « un cessez-le-feu immédiat et inconditionnel, à la libération de tous les otages détenus à Gaza, au respect du droit international ». Il active ses réseaux, craint d’encaisser des refus par dizaines. Le 22 octobre, le texte est publié dans L’Humanité : 93 artistes (principalement des actrices, acteurs et cinéastes), dont Adèle Haenel, Rachida Brakni, Juliette Binoche, marchent dans les pas de leurs consœurs et confrères anglo-saxons, appellent à la paix au Proche-Orient au nom de « notre humanité commune ».

« Des discussions se sont créées en privé, y compris avec des acteurs et actrices qui n’avaient pas voulu signer, au travers du réseau de signataires La Culture pour un cessez-le-feu, raconte Frank Barat. On s’est rendu compte que le problème principal de la Palestine, c’était la désinformation. Les gens connaissaient très peu le sujet, notamment à cause du traitement médiatique. Mais une fois qu’ils avaient les outils pour le comprendre, qu’on leur recommandait un livre, un article, une vidéo, ils réalisaient en peu de temps que tout ce qu’ils croyaient savoir était plus ou moins faux, que ce n’était pas une question de deux peuples qui se battent pour une terre, que c’était une question coloniale.»

C’est ainsi que des personnalités qui avaient refusé de signer la tribune dans L’Humanité ont signé deux mois plus tard en décembre une tribune beaucoup plus virulente dans Télérama dénonçant « l’inacceptable politique d’apartheid mise en place par le gouvernement israélien », alors que celle du quotidien communiste évoquait à peine l’occupation. Dans cette adresse au président français Emmanuel Macron, artistes et personnalités de la culture exigeaient que tout soit mis en œuvre pour que cesse le massacre. Parmi les signataires, Rebecca Zlotowski, Leïla Bekhti, Laetitia Casta, ​​Édouard Louis, Éric Cantona, Cédric Klapisch.

L'idée du concert est venue, plus tard, des professionnels de la musique. « Fin avril, précise Frank Barat, ils nous ont contactés en mode : “C’est bien ce que vous faites avec Voices for Gaza mais que fait-on dans le monde de la musique ? Il ne se passe quasiment rien. Il faut qu’on se bouge.” » Ils ont commencé à sonder leur réseau. Les premières réponses positives d’artistes, dont certains très consensuels, ont fusé.

Frank Barat, dont le collectif réfléchit à un plus gros concert à la rentrée au vu de la forte demande, avoue avoir été agréablement surpris : « Dans les boucles WhatsApp, je n’ai pas vu de messages disant : “J’essaie de convaincre Pomme, Angèle, Fianso, Vincent Delerm, Hatik, etc., mais c’est compliqué.” Ça s’est fait assez rapidement. Il ne s’agit pas d’être propalestinien ou pro-israélien, ce qui d’ailleurs, entre nous, ne veut strictement rien dire puisqu’il y a un pays occupant, un pays occupé. Il s’agit d’être pro-humanité. »

Et de citer l’emblématique héros anti-apartheid, l’archevêque sud-africain Desmond Tutu : « Être neutre dans une situation d’injustice, c’est choisir le camp de l’oppresseur. Si un éléphant pose sa patte sur la queue d’une souris et que tu te dis neutre, la souris n’appréciera pas ta neutralité. »
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