À Gaza les humanitaires confrontés à la « faillite morale » des États
TOUS les états ?
MAIS il y a un fait indéniable : la responsabilité particulière des états occidentaux et des Etats-Unis qui à plusieurs reprises se sont opposé à l'ONU au vote relatif à un Cessez le feu et à des sanctions contre les dirigeants israéliens et qui de surcroît ne cessent de fournir massivement l'état israélien en armes qui aggravent le massacre en cours !
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Pierre Micheletti,
L'Humanité du 16 août 2024
Le 19 août 2003, le siège de l’ONU basé au Canal Hôtel, à Bagdad, a été en grande partie détruit par un attentat à la bombe qui a coûté la vie à 22 personnes, parmi lesquelles le Haut-Commissaire des Nations Unies aux droits de l’homme, Sergio Vieira de Mello. Cette attaque visait la Mission d’assistance des Nations Unies pour l’Iraq (MANUI) alors accusée d’une subordination coupable, et dramatique pour la population civile, à la politique étrangère des Etats-Unis. En 2008, L’Assemblée générale des Nations Unies a désigné cette date comme Journée mondiale de l’aide humanitaire.
Vingt années se sont écoulées, et toujours les mêmes errements, comme si aucune leçon n’avait été tirée depuis le conflit en Iraq, sur les effets catastrophiques de la soumission des principes humanitaires au cynisme des logiques politiques. À Gaza, la population civile, et les acteurs humanitaires, en sont actuellement les victimes. Sauf qu’aujourd’hui les agences de l’ONU font preuve d’un courage politique que M. Vieira de Mello avait eu à peine le temps d’initier à Bagdad avant l’attentat qui lui ôta la vie.
L’ampleur de la catastrophe pour la population civile, depuis les massacres d’autres civils en Israël le 7 octobre 2023, est dramatique : au 15 mars, plus de 40 000 personnes auraient été tuées, dont plus de 16 00 enfants et 11 000 femmes. Près de 92 000 personnes auraient été blessées, selon les chiffres du ministère de la Santé contrôlé par le Hamas et jugés crédibles par l’ONU.
Les différents piliers de la sécurité alimentaires sont gravement altérés.
Le plan d’évacuation de la bande de Gaza, voté en 2004 créait les conditions d’un verrouillage total du territoire par Israël et de la maîtrise de tous les intrants : denrées alimentaires, fourniture d’eau, moyens de communication, fourniture d’électricité. Idem pour le contrôle du réseau d’évacuation des eaux usées (article 8). Une « perfusion » est ainsi mise en place, vitale pour la population. Toute violence politique, toute révolte populaire exposait dès lors, par mesure de rétorsion, à une réduction des flux et des frontières vers ce territoire que ceux qui le parcouraient ressentaient rapidement comme une prison à ciel ouvert.
La situation alimentaire dramatique qui prévaut aujourd’hui est la traduction, folle par son ampleur, de la capacité du voisin israélien à contrôler la perfusion. La disponibilité des denrées alimentaires sur le territoire est touchée sur ses différentes sources d’approvisionnement. Les pathologies liées à la promiscuité, à la mauvaise qualité de l’eau, au manque d’hygiène corporelle ou aux dégradations environnementales sont en forte augmentation. La gestion des déchets constitue un problème majeur. Là où les regroupements de populations sont les plus denses, on note la présence de matières fécales humaines autour des lieux de stationnement dans près de 80 % des cas. Le système de santé est détruit. Les hôpitaux continuent de subir de graves perturbations dans la fourniture de soins de santé dans la bande de Gaza.
L’UNRWA a atteint un niveau inégalé de morts et de blessés parmi son personnel.
Au 7 juillet 2024, soit 10 mois après le début de la violence débutée le 7 octobre, 197 personnels de l’UNRWA avaient perdu la vie. Traduisant une surmortalité majeure par rapport aux autres terrains de crise. En 2022, on avait ainsi dénombré, pour l’ensemble des agences onusiennes, partout dans le monde, 76 décès. En 2019 le taux d’incidence des décès dans le monde était de 31 pour 100 000 travailleurs humanitaires. Dans le cas de l’UNRWA à Gaza, cette incidence aura été, à ce jour, de 1 600 pour 100 000. Soit une mortalité des personnels de cette agence 54 fois supérieure à la moyenne des morts parmi les humanitaires sur les autres terrains de crise.
C’est en août 1949, en espérant poser un cadre protecteur sur les populations civiles en zones de conflit armé, et pour tirer les enseignements des violences dramatiques de la 2e guerre mondiale, que sera signée la 4e convention de Genève. Ce mois d’août 2024 constitue ainsi le 75e anniversaire de la publication de ces conventions. En décembre de la même année 1949, l’Assemblée générale des Nations Unies vota la constitution de l’UNRWA, comme une déclinaison concrète de la dynamique voulue par les pères fondateurs du Droit International Humanitaire (DIH) contemporain.
Mais malgré les constats dramatiques qui prévalent dans l’enclave palestinienne, ce Droit international n’est pas appliqué. La paralysie trahit une incapacité à exécuter dans les faits les décisions de justice prononcées par la Cour Internationale de Justice (prévention et répression du crime de Génocide dans la bande de Gaza) ou par la Cour Pénale Internationale (délivrance de mandats d’arrêt contre des dirigeants du Hamas et israéliens pour crimes de guerre et les crimes contre l’humanité).
Cornelio Sommaruga doit se retourner dans sa tombe.
« Ainsi tous les États sont-ils coresponsables pour que même au plus fort de toute guerre, y compris les guerres civiles, certains principes élémentaires d’humanité soient respectés, et qu’en particulier les blessés, les prisonniers et les populations civiles soient protégés. » M. Cornelio Sommaruga, président respecté du CICR (1987-1999), est décédé à Genève en février 2024. Il prononça le 30 mai 1995 un discours qui fait date dans la vie de l’institution qu’il représentait alors. Il évoquait en effet les 50 ans de la fin de la 2e guerre mondiale.
Il avait en la circonstance eu des paroles qui marquèrent les esprits et dont on mesure immédiatement la portée dans le contexte international qui prévaut au Proche-Orient : « Mais, croyez-moi, à chaque instant où nous assumons aujourd’hui nos responsabilités humanitaires face aux victimes de la guerre et de la violence politique, je me rappelle I l‘échec moral de notre institution face à L’holocauste lorsqu’elle n’a pas su dépasser le cadre juridique limité que les États lui avaient fixé ».
Le CICR a bien retenu les enseignements de son ancien président, cette organisation dénonçant dès le début de l’escalade militaire à Gaza, aux côtés des agences onusiennes et des ONG, le sort de la population civile. La formulation que nous a léguée M. Sommaruga concerne aujourd’hui le gouvernement israélien et ses alliés. Nul doute, qu’à terme, des dirigeants devront rendre compte de l’échec moral qu’aura constitué la paralysie politique face au drame de la population gazaouie.
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Pierre Micheletti, Membre de la Commission Nationale Consultative des Droits de l’Homme (CNCDH)
Ancien président d’Action Contre la Faim et de Médecins du monde - France
Dernier ouvrage paru : « Tu es Younis Ibrahim Jama », éditions Langage Pluriel.